Dès que l’homme s’était présenté à lui, Rémi avait pensé : « Qu’est-ce qu’il me veut, celui-ci ? Est-ce que je le connais ? » Mais il n’eut pas le loisir d’approfondir la question. L’homme, que l’on venait d’appeler, tourna la tête et s’éloigna. Rémi retourna à son poste d’observation. D’autres personnes arrivèrent. Des hommes, mais surtout des femmes avec des enfants. A chaque fois Rémi s’approchait, mais les gens ne lui demandaient rien. Tout au plus lui jetaient-ils un regard, un sourire.
La matinée passa lentement. Rémi s’ennuyait. Si au moins quelqu’un venait lui parler ! Mais personne n’avait besoin de lui. Les visiteurs franchissaient l’entrée, prenaient un formulaire sur la pile installée près de la porte, et se dirigeaient vers les bâtiments. Rémi se levait avec peine et les suivait quelquefois du regard, puis revenait s’asseoir à sa place en boitant.
Vers midi, il eut faim, mangea un peu et revint à son poste. Il sentait la fatigue, s’étira et bailla. « Une petite sieste peut-être » pensa-t-il. Il se mit à somnoler tout en surveillant l’entrée du coin de l’œil. Une douce torpeur l’envahit, engourdissant ses membres douloureux. Mais l’après-midi, les visiteurs étaient nombreux, et le sommeil de Rémi fut souvent interrompu. Il se résigna donc à rester éveillé. Pour s’occuper, il observait les gens qui entraient et sortaient. Les beaux jours étaient là, les tenues légères dominaient. Les jupes dansaient autour des jambes nues des femmes, les hommes exhibaient leurs muscles à l’orée des manches courtes. Le soleil brillait, on était bien.
Rémi soupira. Il changea de place, se mit plus en vue. Peut-être quelqu’un allait-il l’aborder ? Mais l’après-midi s’écoula sans que personne ne vienne le voir.
Vers le soir, l’homme qui s’était approché de lui le matin apparut dans son champ de vision. Malgré son œil qui larmoyait, le seul valide — il avait perdu l’autre dans une bagarre — il le reconnut. Il était accompagné d’une jolie jeune femme dont le parfum rappela aussitôt des souvenirs à Rémi. C’était elle qui s’était occupé de lui le jour de son arrivée. En claudiquant parce que son dos lui faisait mal, il s’avança vers elle. Il n’était plus tout jeune et le ressentait cruellement. Sa cuisse gauche était encore douloureuse.
L’homme tenait une mallette à la main. Il regardait Rémi avec une expression indéfinissable. Il posa la mallette. Puis, l’ayant ouverte, il en sortit un flacon et une seringue. Il enfonça l’aiguille dans le bouchon et aspira le liquide transparent. Puis il la retira et tapota le réservoir en poussant légèrement le piston, pour éliminer les bulles.
Pendant ce temps, la jeune femme avait appelé Rémi et le tenait fermement. Elle murmurait des mots apaisants.
—Bon, vous êtes prête ? On y va, dit l’homme.
Leurs yeux se croisèrent. La jeune femme détourna les siens. Rémi gémit un peu au moment de la piqûre.
—Voilà, c’est fait.
L’homme poussa un profond soupir. Les traits tirés, le regard sombre, il ajouta, comme pour se justifier :
—Il ne fait pas bon être un vieux chien borgne et boiteux, hein, mon Rémi ? Les maîtres ne se sont pas bousculé aujourd’hui. Et nous, on ne peut pas te garder.
Il caressait le poil rêche du chien, qui le regardait de son œil humide. Bientôt, l’animal s’endormit. La jeune femme pleurait.
Tu sais quoi ?
RépondreSupprimerSuis tout triste.
Texte (très) réussi.
Il fonctionne aussi bien à la première qu'à la seconde lecture.
Je ne regrette pas d'être passée par ici.
RépondreSupprimerVraiment...
Superbe. Comme Rémi, j'ai l'œil humide.
Dire que j'ai failli passer à côté.
RépondreSupprimerRien à ajouter, Luna et Yu ont tout dit.
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerEt oui, bien sur, c'est efficace. C'est même bien écrit. Mais j'ai fini comme les trois autres, là au-dessus.
RépondreSupprimerTu vois, chaque acteur a ses propres moteurs et, par exemple, le mien pour pleurer sur scène, et sur commande, est de me remémorer un jour de salle d'attente de vétérinaire.
J'y étais venu faire faire une inoculation anodine et féline au sac à puces qui me servait de chauffe-pieds à l'époque. Le susdit matou était d'ailleurs occupé à me labourer les rotules, en protestation d'être là, quand je vis entrer un papa triste et son petit garçon blond, qui ne devait pas avoir plus de trois ou quatre ans, avec un vieux setter usé sur leurs talons. Le toutou avait l'air aussi fatigué que son pelage, qui avait peut-être était roux, un jour, il y avait longtemps. Quand ce fut leur tour (oui, ils sont passés avant moi, je m'étais encore planté dans l'heure du rendez-vous, ce que mes genoux commençaient à regretter), le papa a demandé à une gentille dame si elle pouvait surveiller son fils, pas longtemps, juste pendant la consultation. La vieille femme avait l'air douce et compréhensive et aimait les chats, elle dit, que, bien sûr, ce ne serait pas un problème.
Quand le papa était ressorti, pas aussi longtemps après qu'on aurait pu le penser, le petit garçon s'était précipité dans les jambes de son père pour lui demander des nouvelles et où était le vieux chien. Le papa était resté évasif, le chien devait resté ici quelques jours, pour aller mieux, que tout irait bien... L'homme, jeune, était en larme.
Aucun des adultes dans la salle ne pouvait détacher leur regard du lourd sac poubelle qu'il avait à l'épaule.
Maintenant, dans mon souvenir, le chien s'appelle Rémi.
Ce qui est ironique, c'était également le prénom du petit garçon.
Glups...
RépondreSupprimer