Les arbres de la
place arborent une crinière rousse, dont quelques cheveux tombés tapissent déjà
le sol. L’été est loin désormais et des senteurs mouillées de champignon et de
sous-bois flottent dans l’air. J’aime ces odeurs sauvages qui nous rappellent
la présence souveraine de la nature et la fuite inexorable des saisons. Lorsque
j’ai poussé la grille, elle a grincé dans le froid matin d’automne. L’école n’a
pas changé. Sa façade de pierre, percée de quatre fenêtres aux volets bleus se
dresse au milieu de la petite cour au macadam usé. De chaque côté du bâtiment,
le même gazon pelé, parsemé de fleurs de pissenlit, frissonne sous le soleil
pâle. Aucun cri d’enfants, aucun rire ne résonne ici. Ce sont les vacances de
la Toussaint et la petite école abandonnée attend sagement le retour prochain
des élèves. Lorsque j’étais moi-même enfant, j’ai étudié entre ces murs.
J’ouvre la porte doucement, le couloir étroit m’invite. Au fond, une salle de
classe : je m’avance, mes chaussures glissent sur le carrelage,
silencieuses. Et soudain, le passé refait surface, m’assaille, déploie ses
formes et ses couleurs. Le souffle court, le cœur en émoi, je m’assoie à un
petit bureau fané, lustré par tant de mains, par tant de manches. Le trou de
l’encrier est vide, le bois foncé strié de lettres et de dessins griffonnés
hâtivement ou creusés à la pointe du compas. Je revois mon instituteur en
blouse grise, la barbiche sévère et l’œil attentif. Je sens à nouveau le parfum
âcre de la craie, j’entends son crissement sur le tableau noir, le
bourdonnement monotone des voix qui psalmodient l’alphabet… Au premier rang, Annette
est assise, ainsi que Jacques, et François et Marie, ses longs cheveux blonds
épars sur ses épaules. La petite Marie de mon enfance, devenue jeune femme, a
épousé mon meilleur ami, le séduisant Paul, apparu un beau jour de septembre
dans la classe, et qui venait de la ville. Le nouveau comme on disait, comme on
a dit longtemps. Paul, l’enfant d’ailleurs et moi l’enfant du pays. Amis comme
les doigts de la main. J’étais témoin à son mariage, témoin de son bonheur et
de celui de Marie. Je soupire. Comme j’avais le cœur lourd, ce jour-là ! Un
goût amer dans la bouche. Je n’ai jamais rien dit, ni à Paul ni à Marie et j’ai
donné le change, j’ai souri, j’ai même ri. J’avais passé l’École Normale des
années auparavant et j’étais devenu instituteur. J’avais quitté le village,
muté à cinq cent kilomètres de là, dans une petite ville anonyme où mon propre
anonymat me convenait parfaitement. Dès lors, j’ai coupé les ponts avec tout le
monde. Aujourd’hui que l’heure de la retraite a sonné, ma présence ici après
presque quarante ans d’absence sonne comme un retour aux sources. La même
école, la même classe, toujours l’odeur de la craie et de la poussière qui danse
dans le soleil. Pourquoi suis-je revenu aujourd’hui ? J’ai appris que Paul
et Marie s’étaient séparés. Qu’est-ce que j’ai cru ? Quelle folle illusion
s’est emparée de moi ? Je sais pourtant qu’on ne recolle jamais les
morceaux du passé. Je sais aussi que ma place n’est pas ici, n’est plus ici. Je
vais retourner dans ma ville, anonyme parmi les anonymes et j’emporterai mon
secret avec moi. Je ne dirai jamais à Paul qu’il a été le seul, l’unique amour
de ma vie.
J'écris. Pour un blog littéraire, il vaut mieux. J'écris de tout, pour les jeunes, les moins jeunes, des nouvelles, du théâtre, de l'humour et mes humeurs. La liste des courses, alors que d'autres dressent la liste de leurs envies... Mais je vous l'épargnerai ! La liste des courses, je veux dire. Donc, bonjour et bienvenue sur "Ah, vous écrivez ?" mon blog littéraire.
Bonne lecture et n'hésitez pas à laisser vos commentaires, sincères mais courtois !
Bonne lecture et n'hésitez pas à laisser vos commentaires, sincères mais courtois !
jeudi 1 mai 2014
L'artiste
Il a des étoiles dans les yeux,
il rit il pleure pour de faux pour de vrai, qu’importe ! Sa vie c’est sa
passion sa passion c’est sa vie. Il saute il danse il virevolte il s’écroule.
Il se relève il repart il reprend ses rêves là où il les a laissés jamais
longtemps jamais trop loin. Il ne les comprend pas toujours ils ne le
comprennent presque jamais. Les autres. Pourtant il écrit la vie leur vie, il
la chante il la danse il la montre il la transforme. Il les connaît par cœur
par corps là ou ailleurs, partout toujours. Il rit il pleure il dit… Et c’est
vrai et ça sonne et ça vibre. On l’aime on le déteste il est riche il est
pauvre il vit il meurt il sait mais ne sait pas. Pourquoi… Il a des étoiles
dans les yeux des rêves au creux des mains de la tristesse à revendre…
l’artiste.
Constance
« La première fois que je l’ai vue, elle ne m’a pas fait une forte
impression. J’avais cependant remarqué la finesse de ses chevilles et ses longs
cheveux bruns. Je me suis dit qu’ils allaient bien avec son prénom. Pour moi,
une Constance ne peut pas être blonde. Question de sonorité. Dès la deuxième
coupe de champagne, elle riait comme une petite fille, en éclats cristallins
qui éclataient comme les bulles de son breuvage. Je crois que c’est à ce moment
que je suis tombé amoureux. De son rire tout d’abord, puis d’elle tout entière
ensuite. Amoureux fou.
Rien n’était trop beau pour elle. C’était facile pour moi, j’avais gagné
au loto une somme pour laquelle il m’aurait fallu trimer plusieurs vies avant
de la rassembler. Mon salaire d’enseignant faisait pâle figure à côté. J’avais
quitté la profession. Les élèves ne me manquaient pas. A la place, je gérais
les conflits sociaux et les dividendes que me rapportait le groupe de presse
que j’avais racheté. Quoiqu’en injectant de l’argent frais dans une entreprise
au bord de la faillite, j’avais calmé bien des ardeurs syndicalistes. Et
garanti les emplois menacés. Au fil du temps, j’ai même développé l’activité,
plus florissante que jamais aujourd’hui. Au passage, je me suis octroyé la
rédaction en chef du nouveau magazine littéraire. J’ai toujours rêvé d’écrire. Et
puis quand tout cela m’ennuyait, je déléguais et je partais, aux Maldives, à
l’Ile Maurice ou ailleurs, là où mon inspiration du moment me poussait. Je
pouvais le faire. Parfois, je devais me le répéter pour en être bien sûr :
« Tu peux le faire, tu as l’argent, tu es riche ».
Ça, Constance l’avait bien compris, et plus vite que moi. Elle profitait
de mes largesses avec spontanéité et innocence, comme une petite fille à qui
l’on offre des cadeaux. Sans complexe. Au fond, ça ne me dérangeait pas, je
l’ai dit j’étais fou amoureux, et puis même en vivant sans compter, je pouvais
encore assurer la vie entière de plusieurs héritiers, si j’en avais eu, et l’appétit
vorace du fisc. Les bijoux, les voyages, les spectacles, les appartements, les
vêtements de luxe, je ne lui refusais rien. Pourquoi l’aurais-je fait, puisque
je pouvais lui offrir tout cela ? Son sourire enfantin et son rire en
cascade me payaient en retour.
Pourtant, quelque chose me tracassait. Constance préférait souvent
profiter de tout cela sans moi. Elle allait au spectacle avec ses amies,
partait en voyage avec elles. Elle s’éloignait, se détachait inexorablement.
Jusqu’au jour où j’appris, par hasard, qu’elle me trompait. Constance avait un
amant ! Un petit écrivaillon à deux balles qui venait de faire un petit
succès d’estime dans une petite maison d’édition. Ma petite vie éclatait. Je
fis une scène épouvantable à Constance et lorsque j’eus fini ma diatribe, un
rire de cristal, moqueur et léger s’échappa de la bouche en cœur de la garce.
Un rire de petite fille qui a cassé son jouet et en réclame un autre, jetant
l’ancien à la poubelle comme un vulgaire yaourt périmé. Mon sang n’a fait qu’un
tour. Je l’ai giflé à toute volée. Sa tête a heurté le rebord de la table en
marbre. C’est quand j’ai vu le filet rouge au coin de ses lèvres que j’ai
compris.
Et vous savez quoi, Maître ? Ce qui me manque le plus, c’est son
rire, son rire d’enfant espiègle, ce rire qui avait su si bien m’embobiner. »
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