J'écris. Pour un blog littéraire, il vaut mieux. J'écris de tout, pour les jeunes, les moins jeunes, des nouvelles, du théâtre, de l'humour et mes humeurs. La liste des courses, alors que d'autres dressent la liste de leurs envies... Mais je vous l'épargnerai ! La liste des courses, je veux dire. Donc, bonjour et bienvenue sur "Ah, vous écrivez ?" mon blog littéraire.
Bonne lecture et n'hésitez pas à laisser vos commentaires, sincères mais courtois !

vendredi 30 décembre 2011

Tentation.

Une histoire pour les fêtes.


Elle passe devant la vitrine sans regarder, il faut qu’elle résiste, ce ne serait pas raisonnable. Mais cent mètres plus loin, elle se ravise et fait demi-tour. Après tout, c’est la période des fêtes ! Elle pousse la porte de la boutique et entre. Les effluves magiques viennent lui chatouiller les narines. Dieu que cela sent bon ! Elle n’arrive pas à isoler chaque odeur mais il lui semble percevoir la vanille presque à coup sûr et la noix de coco, reconnaissable facilement. Un léger sillon de cannelle aussi et euh… peut-être une petite pointe de fruits rouges. Un plaisir pour les yeux, aussi, cette échoppe, avec ses présentations toutes plus appétissantes les unes que les autres ! Le paradis sur terre, ou bien l’enfer… Elle va céder à la tentation et le vague remords qui la traverse est bien vite chassé au loin… Elle sent déjà sur sa langue les saveurs fortes ou subtiles et les parfums délicats de la pistache, du gingembre ou du caramel. Elle a envie de tous les essayer, elle s’est privée depuis trop longtemps et ça n’a servi à rien ! Elle tutoie toujours les quatre vingt kilos pour son mètre soixante, malgré les efforts accomplis avec ce régime à la noix !! Ras le bol de tout ça ! Et puis, c’est Noël… Alors si elle hésite, ce n’est pas pour savoir si elle va céder à l’achat ou pas, mais bien parce qu’elle ne sait pas quelles variétés choisir. Tout lui fait envie, tout lui parait délicieux. Heureusement qu’il y a le prix qui la freine un peu, sinon…
Arrivée chez elle, elle déballe ses paquets sans attendre. A quoi bon mettre tout ça au pied de l’arbre de Noël ? Elle n’est plus une gamine et puis de toute façon, elle n’a pas fait de sapin cette année. Sa sœur et ses neveux ne viendront pas, ils vont passer les fêtes à Londres, il parait que là-bas, ils savent fêter Noël… Quant à ses parents, comme d’habitude ils passeront en coup de vent l’après-midi, histoire de dire bonjour et s’en repartiront vers leurs nombreuses obligations, non sans lui avoir offert le même cadeau inutile que les autres années. Il n’y aura qu’elle, en tête à tête avec son reflet dans le miroir de l’entrée. Une idée idiote, ce miroir ! Une idée de sa sœur « comme ça tu verras les progrès de ton régime, ça te stimulera ». Tu parles Charles ! Elle ne supporte plus de voir ses rondeurs hideuses à chaque fois qu’elle rentre chez elle. C’est décidé, demain elle l’enlève !
Sur la table basse, les boites entamées se partagent la place. Affalée sur le canapé, elle jette un œil morne sur l’écran de la télé. De temps en temps, elle se penche, plonge la main dans l’une des boites et la porte à sa bouche. Les saveurs éclatent entre ses joues, lui procurant une volupté sans pareille, en appelant d’autres. Bientôt, les boites se vident. Repue, elle se sent légèrement nauséeuse et va boire un peu d’eau à la cuisine. Ça passera, ce n’est rien, se dit-elle en étouffant dans l’œuf le sentiment de culpabilité qui pointe son nez. En revenant au salon, elle lorgne sur les quelques friandises restantes. Elle soupire. Tend la main. Les douceurs rejoignent son estomac sans autre forme de procès. Ce soir elle se couchera lourde et la bouche pâteuse et le goût d’amertume qui lui collera au palais ne sera pas forcément celui du cacao…
Lorsque ses parents la trouveront le lendemain, les pompiers accourus sur les lieux du décès seront formels : overdose de chocolat. Elle avait juste oublié que depuis deux semaines, elle portait un anneau gastrique…

samedi 22 octobre 2011

Les seconds rôles.

« Oh et puis ça va, hein ! Tu veux toujours avoir raison…
—Mais c’est parce que J’AI raison, ma chère ! C’est l’évidence même. Ils sont tous droitiers dans cette famille, je ne vois pas pourquoi le petit dernier serait gaucher…
—Et alors, c’est pas parce qu’il y a des générations d’imbéciles dans une famille qu’il faut que le benjamin en soit aussi un ! C’est quand même inouï cette logique !
—Rôôôhhhh mais c’est pas pareil, tu compares des choses incomparables. C’est pas une tare d’être droitier, non ?
—Non mais bon… il aurait bien pu être gaucher celui-ci… Tu aurais bien pu me faire ce plaisir… Sinon j’ai l’impression d’être inutile, moi !
—Inutile ? Mais non voyons ! Quand j’écrirai, tu tiendras la feuille. Et puis il faut deux mains pour pouvoir faire des lacets, deux mains pour accrocher puis remonter une fermeture éclair de blouson, deux mains pour taper sur un clavier d’ordinateur… Ma pauvre, tu ne te rends pas compte de ton utilité je crois !
—Oui, c’est vrai mais ce sont des seconds rôles…
—Ne sais-tu pas que les seconds rôles sont aussi importants que les premiers ?
—Mouais… à toi l’agilité, la force, la dextérité. A moi la maladresse, la faiblesse et l’à peu près… A chaque fois que ce gosse laissera tomber quelque chose par terre je sais bien que ce sera de ma faute. On dira « Que cet enfant est gauche ! » Et ce sera toujours toi qui auras le privilège de faire les choses intéressantes… tenir le stylo, la fourchette, le couteau, la raquette, passer les vitesses…
—Ah ben pour les vitesses, même s’il était gaucher, je le ferai quand même, je te signale qu’on est en France et qu’on roule à droite…
—Pfffff… encore une discrimination, tiens ! C’est pas drôle, les droitiers sont majoritaires dans ce pays, tout est fait pour eux et c’est tout juste si on commence à tenir compte des gauchers et à créer des outils adaptés pour nous, les mains gauches. Dis-moi donc un peu depuis quand est-ce que les ciseaux pour gauchers existent ? Hum ? C’est comme le droit de vote pour les femmes, ça…
—Hein ? Je vois pas le rapport ! Tu mélanges tout ma pauvre amie, tu dis n’importe quoi ! Nous ne sommes que les deux mains d’un gamin de cinq ans qui va devoir bientôt choisir sa latéralisation et la génétique veut que…
—La génétique, la génétique ! Non mais tu me fais marrer avec ta génétique ! Je te parle de droits, moi, de droits, tu m’entends espèce de gourde ?
—Oh ! Gourde toi-même ! Non mais dis donc, tu te prends pour qui pour me parler sur ce ton ? Je te dis que cet enfant sera droitier, comme son père et sa mère et il sera droitier, un point c’est tout !
—Et moi je veux qu’il soit gaucher et je me laisserai pas faire, c’est pas toi qui commande !
—SILENCE VOUS DEUX !!!!! Vous vous croyez où ? On entend que vous, vous n’allez pas arrêter de vous chamailler comme des chiffonniers ? Et puis ce ne sera pas vous qui choisirez, ce sera moi.
—Quoi ! Et qui tu es d’abord pour te mêler de nos affaires ?
—Ouais, c’est vrai, tu es qui toi ?
—Je suis le cerveau et c’est moi qui décide, vous n’êtes que des instruments, mes belles demoiselles ! A cause de vous cet enfant hésite depuis des mois entre ses deux mains. Alors je trancherai et vous vous inclinerez. Ne dit-on pas que la raison du plus fort est toujours la meilleure ? Et ici, le plus fort, c’est MOI !

Roman érotique.

Elle était nue face à lui, mutine et ingénue à la fois. Les rayons du soleil pénétraient par la fenêtre et satinaient sa peau. Il approcha sa main droite de ses seins. Ses doigts tremblaient. Il avala sa salive, fit quelques pas dans sa direction. Il la touchait presque. Son souffle s’accéléra quand il posa sa paume gauche sur ses fesses. Doucement, lentement il descendit jusqu’à son…

« Fabien ! Les enfants ! A table ! Dépêchez-vous, ça va refroidir… »
Fabien sursaute, ferme les yeux et réprime un juron. Ça y est, l’inspiration a fichu le camp ! Bon sang mais Marion peut pas la fermer, non ? Il lui a dit cent fois que quand il écrit elle ne doit pas le déranger. Même pour manger. Surtout pour manger. Pourquoi ne comprend-elle pas qu’il n’en a rien à faire de manger quand il est en plein processus créatif ? Que sa nourriture dans ces moments-là, c’est la littérature ? De toute façon elle le fait exprès, il en est sûr… Elle ne veut pas comprendre. Fabien soupire, enregistre son texte et ferme Word. Il va les manger ses raviolis insipides, en espérant que sa femme ne va pas le barber avec ses histoires de nana… Plus vite il aura fini, plus vite il retournera auprès de ses chers personnages. Si au moins Marion savait cuisiner…

Cynthia, lascivement allongée sur le grand lit recouvert de satin rose, offrait son corps au regard fasciné de Marc. Un sourire coquin flottait sur ses lèvres pulpeuses. Marc ressentait une douce chaleur se diffuser dans ses reins et son bas-ventre. En une enjambée il fut près du lit. Il s’allongea près de la jeune femme et entreprit de…

« Mon chéri, tu préfères quel motif pour le papier peint du salon ? Les rayures vertes sur fond beige ou bien les petites fleurs mauves et jaune pâle ? J’hésite tu sais… »
Fabien clique précipitamment sur la croix en haut à droite, fermant le document sans enregistrer les dernières lignes écrites. L’idée que sa femme puisse lire par-dessus son épaule lui est insupportable. « Et merde ! » pense-t-il. Il s’efforce de contrôler sa voix qui grimpe toujours dans les aigus quand il est contrarié.
— Marion, je t’ai demandé de me laisser travailler cet après-midi. C’est pas compliqué non ? Tu sais bien que mon éditeur attend les derniers chapitres de mon nouveau roman. Si tu m’interromps tout le temps, comment veux-tu que j’avance ?
— Ok, ok ! Mais il faudra bien qu’on se décide pour la tapisserie, depuis le temps qu’on en parle. »
« Depuis le temps que TU en parles, ma chérie ! pense Fabien. Mais si tu savais comme, MOI, je m’en fiche de tes rayures et de tes fleurettes ! Si ça ne tenait qu’à moi, un bon coup de blanc sur les murs et basta ! »
La jeune femme quitte la pièce à contrecœur, une moue boudeuse dessinée sur les lèvres. En sortant elle lui lance :
— Tu n’oublies pas d’aller chercher les enfants à l’étude tout à l’heure, j’ai mon rendez-vous chez le coiffeur ! »

La chambre plongée dans la pénombre était silencieuse. Les longs cheveux dorés de Cynthia effleuraient sa peau en une caresse délicate. Leurs deux souffles mêlés s’exhalaient au rythme des mouvements de leurs corps. Le lit grinçait sourdement, et peau contre peau, les deux amants laissaient le plaisir les envahir. Cynthia roucoula un gémissem…

« Dring !!!! Dring !!!!!!!! » Fabien fait un bond sur sa chaise et un laps de temps s’écoule avant qu’il réalise que le téléphone sonne. « Pas moyen d’être tranquille ! Jamais ce bouquin n’aura de fin, je le sens… » Il se lève à regret et va décrocher.
— Oui ? Lui-même… Oui, je me souviens de vous ! Non, pas encore mais je… oui, je sais, je… écoutez, vous pouvez bien m’octroyer un délai supplémentaire… je sais que j’ai déjà du retard… Oui… oui… Non… vos fournisseurs, bien sûr, mais… et si je vous en verse la moitié la semaine pro… attendez ! … mais je ne l’ai pas la somme totale, moi, vous me faites rire ! … oui et ben je peux pas… les huissiers ! Mais attendez, il n’y a pas de quoi s’énerver ! … Je vais me débrouiller, laissez-moi 3 jours… Oui… oui… Oui je vous dis ! Merci… oui… au revoir ! »
Marion, les enfants, l’école, le papier peint et maintenant les factures ! Fabien se sent devenir fou. Et la vie alors ? Sa vie, ses textes, son roman ? Fabien se dit qu’il aimerait bien être à la place de Marc, l’amant de la belle Cynthia, son héroïne. Pas de soucis matériels, pas de coup de fil intempestif, pas d’épouse exigeante, pas de gosse. Une femme, mais fatale, sensuelle, dévouée, et du plaisir, rien que du plaisir… Une vie de personnage de papier, irréelle et dénuée de contraintes. Au lieu de cela… Fichu pour fichu, Fabien éteint son ordinateur et descend à la cuisine se faire un sandwich.


Le corps en sueur, Marc et Cynthia écoutaient les battements de leur cœur qui se calmait peu à peu. Ils se laissaient aller à la douce torpeur d’après l’amour, apaisés, heureux. L’épaule blanche de la jeune femme luisait dans le demi-jour. Marc humait l’odeur épicée — mélange de jasmin et de pain d’épice — de son parfum dans le creux de son cou. Soudain, il eut à nouveau envie d’elle. Brutalement, il l’agrippa et glissa sa main entre ses …


La porte s’ouvre. Fabien réprime un geste d’agacement. Qu’est ce que c’est, cette fois-ci ? Le chauffe-eau qui fuit ? La voiture qui veut pas démarrer ? Le petit dernier venu lui montrer ses gribouillis ? Le doigt prêt à fermer la fenêtre Word, Fabien fait mine d’être absorbé, de n’avoir rien entendu. Faire le mort ça marchera peut-être mieux que de s’énerver… Il faut qu’ils comprennent tous qu’écrire est un métier et qu’il a besoin d’être seul. Il sent pourtant la présence de Marion derrière lui. A l’oreille, il a reconnu sa démarche. Mais qu’est-ce qu’elle veut ? Pourquoi ne parle-t-elle pas ? Intrigué, il se retourne… et il reste muet de stupéfaction. L’œil agrandi de surprise, la mâchoire pendante, il contemple Marion. Sa lourde chevelure brune aux reflets cuivrés est dénouée sur ses épaules. Elle a maquillé ses lèvres de rose brillant et ses yeux verts sont délicatement éclairés de fard à paupière mauve. Ses longs cils battent lentement et un léger sourire détend ses traits. Tout en le fixant, elle fait glisser son peignoir de satin bleu jusqu’à ses reins, dénudant la moitié de son anatomie. Ses seins, petits mais bien formés, arborent fièrement leur galbe délicat.
— Mais… Marion…
Fabien ne peut en dire plus. Partagé entre l’étonnement et la consternation, il sait seulement que l’aiguillon du désir commence à le titiller. Brusquement, le peignoir glisse jusqu’au sol, dévoilant le corps nu de Marion. La jeune femme s’avance jusqu’à toucher Fabien et le doigt posé sur ses lèvres, murmure :
— Chuutttt… Depuis près de trois semaines, tu fais pousser des gémissements de plaisir à ton héroïne. Et pour moi, rien du tout ! J’en veux aussi ma part. Maintenant ! Et puis ça stimulera ton inspiration pour la suite ! Il n’y a rien de mieux que les travaux pratiques pour étayer une théorie ! »

lundi 3 octobre 2011

La vengeance est un plat qui se mange froid.

Texte publié dans l'anthologie "Proverbes 1" aux éditions Griffe d'Encre.


Thibaut n’a pas avalé un seul petit pois depuis le début du repas. Immobile devant son assiette, à la table de la cuisine, il sent l’engourdissement attaquer ses jambes, ses cuisses, son torse, ses bras. Il lève sa main droite, la remue et attrape sa fourchette.
Du bout des dents pointues, il bouscule les petits pois, les avance, les recule, les tourne et les retourne, les met en rang par deux, comme des écoliers appliqués, puis les sépare, les range en file indienne, braves petits soldats en uniforme vert. À gauche de l’assiette, un petit tas, comme une montagne, puis un autre un peu plus haut. Dans la plaine de faïence blanche, les petits soldats sont en attente. La fourchette trace alors un sillon au milieu de la troupe, la dispersant. Quelques combattants se mettent en embuscade derrière les montagnes. Ils sont nombreux aujourd’hui, les fantassins verts. La fourchette les remet en rangs serrés. Au garde à vous, ils attendent le signal. Le combat va être rude, et Thibaut pense : toute piétaille a son calvaire.
Celui de Thibaut a commencé il y a longtemps. La bataille des petits pois n’est pas nouvelle. La marâtre ne cède jamais. La marâtre dit toujours non. La marâtre ne sourit jamais. La marâtre n’embrasse jamais. La marâtre dit toujours : qui trop embrasse mal étreint.
—Mange tes petits pois !
La voix gronde dans la cuisine. Thibaut, le nez toujours baissé sur son assiette, ne bouge pas. « Je la déteste, je la déteste, je la déteste ! J’les mangerai pas ses petits pois ! J’les déteste ! »
Un silence glacial règne. On entend le tic-tac de la pendule. Les bras croisés, appuyée contre la porte du frigo, la marâtre attend. Elle attend que Thibaut liquide son assiette, qu’il avale jusqu’à la dernière les écœurantes billes vertes. Elle a de la patience ! Tout vient à point à qui sait attendre.
Thibaut et ses petits soldats aussi attendent. Il n’est pas question qu’il les mange, ces petits pois. Il a tenu jusqu’ici, il ne va pas céder maintenant. Pour lui, qui ne consent pas se tait.
Il n’a pas besoin de lever la tête pour savoir que le regard de la marâtre est fixé sur lui. Il le sent agripper ses cheveux, chauffer ses oreilles, couler dans son cou, couler partout. Il sent sa brûlure sur sa peau, ce picotement désagréable qui lui chatouille les omoplates. Mais il ne mangera pas, il l’a décidé : qui ne dîne pas dort encore mieux.
Surtout, tenir bon. Jusqu’au bout. Ne pas pleurer. Il ne faut pas. Il ne veut pas. Elle serait bien trop contente !
Thibaut installe ses soldats en ordre de bataille. Sur le bout de sa fourchette devenue arme de lancement, il en sélectionne quelques-uns. Aujourd’hui, ce sera la victoire finale. Il l’a décidé. En silence, il donne l’ordre d’attaquer. Alors, d’un geste vif du plat de la main sur le manche de la fourchette, il catapulte ses obus sur l’objectif ennemi. Les billes vertes viennent s’écraser sur les joues de la marâtre. Une seconde d’éternité flotte dans la pièce. Thibaut attend la riposte. Le silence dure. Deux secondes, trois secondes, peut-être plus. Intrigué, il ose un coup d’œil. La marâtre, les yeux arrondis comme des sphères sombres, la bouche grande ouverte, des traces sales sur les joues, le regarde, muette de surprise.
Alors Thibaut lance la deuxième salve, identique à la première. Les boulets verts s’élèvent dans l’espace pour atteindre la cible. La marâtre, la bouche toujours ouverte, sursaute. Son expression de surprise s’est accentuée. Elle porte la main à sa gorge. Un léger gargouillis s’en échappe, un râle murmuré, bizarre, déplacé dans le silence de la cuisine. Ses pommettes ont rougi et les traces vertes de la bataille ont viré au gris. Thibaut croit voir une buée translucide traverser son regard, comme un voile brumeux sur la mer les soirs d’été. Un regard de poisson crevé. Elle bouge les lèvres, essaie de parler. Sur son menton, coule un filet de salive. Ses mains tremblent, les doigts s’agitent, les lèvres pâles remuent. Un sifflement ténu glisse dans l’air.
Thibaut regarde. Il attend. Il ne pense pas qu’une troisième salve sera nécessaire. Il va gagner la bataille. Le visage de la marâtre, devenu bleu, bascule sur son épaule. Ses bras retombent, son dos glisse le long du frigo. Thibaut entend le chuintement du tissu contre la porte. Les genoux ploient, le corps s’affaisse, les yeux se ferment. Un grognement rauque, un dernier gargouillis puis le silence.
Thibaut repousse son assiette au milieu de la table et se lève. En sortant de la cuisine, il regarde une dernière fois la marâtre et pense : on a toujours besoin de petits pois chez soi !

Dynastie.

Texte écrit pour les 807 de Franck Garot. http://les807.blogspot.com/



« C’est qui déjà, celle-là ? »
—La sœur de ma grand-mère.
—Celle qui a épousé un marin Colombien ?
—Mais non ! Elle, elle est entrée au couvent à dix-huit ans !
—Et celle qui a fondé sa maison de couture, c’était qui déjà ?
—Et ben c’était sa fille ainée, celle qu’elle a eu d’un premier mariage avec un acteur qui avait jamais de contrat !
—Ah, d’accord ! Mais… euh… la fille ainée de qui ? Pas de celle qui est entrée au couvent ?
—Mon Dieu que tu es bête ! Evidemment pas de celle qui est entrée au couvent ! Elle y est encore au couvent et à part Dieu, elle a jamais eu personne dans sa vie. Mais je t’ai déjà expliqué tout ça… tu m’écoutes jamais quand je parle…
Ça, c’est faux ! J’écoute quand elle parle. Mais entre Gertrude, Salomé, Jacqueline, la fille ainée de Françoise, celle de Nathalie et les deux petites filles jumelles de la sœur de la tante de sa grand-mère, moi, je m’y perds ! Ma Julie, elle a au moins 807 tantes, sœurs, cousines et grand-mères, alors… Vous vous y retrouveriez, vous ?


Songeur, j’ai posé ma main sur son ventre et j’ai murmuré :
—J’espère que celui-ci, ce sera un garçon…

Amen !

On lui a fait un petit lit douillet dans une boite en plastique, sur un matelas de riz. La couverture aussi était de riz, si bien qu’on ne le voyait plus du tout. Puis on a posé la boite sur le radiateur, avec une serviette à carreaux bleus pliée sur le dessus. (le fait que la serviette soit à carreaux bleus n’a strictement aucune importance, mais j’adore les petits détails inutiles !)
Bref, on l’a bien « cacouné », comme disait ma mère. C’est tout juste si on n’a pas prononcé une prière ! Mais attention, hein, pas la prière pour les morts ! Non, si on a suivi tout ce protocole, c’est pour qu’il ressuscite. Et on y tient, je vous assure !
Là, vous vous demandez : « Mais de QUI elle cause ? » et la curiosité vous fait trépigner.
J’ose à peine vous le dire… mais comme j’ai pitié, allez, je lâche l’info : celui qu’on voudrait bien voir revenir à la vie, c’est… l’i-pod de mademoiselle Khéops !
Parce que figurez-vous que le pauvre a subi un grave traumatisme, un véritable tsunami pour être précise. Lessivage, shampooinage, rinçage et essorage à 1100 tours/minute dans le lave linge ! Oublié avec ses écouteurs dans le « jean » de la miss (à qui on a pourtant répété cent fois de vider ses poches avant de mettre ses vêtements à la panière... ) on craignait qu’il ne fût perdu à tout jamais. Mais, à défaut d’écouter les conseils de ses parents, l’ado est débrouillard et après avoir infligé un électrochoc au moribond en le branchant sur l’ordinateur, il s’est rendu compte que l’appareil réagissait. Oh joie !! Et ni une ni deux, d’aller voir sur un forum avisé s’il n’y avait pas un moyen de réanimer l’agonisant. Parmi les solutions proposées par les internautes (et ados également, je présume) celle de réchauffer le pauvre appareil nous a semblé la meilleure. Après tout, la chaleur, c’est la vie, non ? Depuis hier, le mourant trône donc sur le radiateur poussé à fond. (ôtez-moi un doute, c’est bien le gaz qui vient d’augmenter ?)
Je ne sais pas si cette opération de la dernière chance va réussir mais je garde espoir, on dit bien « qui ne tente rien n’a rien ». Et puis aujourd’hui, c’est mon jour de chance : mon lave-linge m’a gratifiée d’un euro et vingt centimes, brillants de propreté et probablement échappés de la poche de survêtement de… monsieur Khéops ! (Y a pas que les ados, non, non !) Alors profitons-en ! Amen !

N.B. : Plus de 6 mois après la mésaventure, l’i-pod se porte comme un charme ! Je vais croire aux miracles, moi…

samedi 11 juin 2011

Aux USA aussi...

Téléshopping :

On nous propose aujourd'hui un support le long du lit, à glisser entre le matelas et le sommier, pour poser son... fusil ! Sans doute pour dégainer plus vite...

Ajoutez à cela le déodorant pour toutes les parties (odorantes !) du corps, même les plus intimes, et vous aurez l'assurance de passer une bonne nuit...

Extra-lucide...

La célèbre voyante Elisabeth Tessier a prédit à DSK une année géniale !!! Nous aussi, on l'est, sciés...

mercredi 18 mai 2011

Joli mois de mai...

Ou pas...

10 mai 1981 : élection de François Mitterrand à la Présidence de la République Française.

11 mai 1981 : mort de Bob Marley.

Le mois de mai ne réussit pas à tout le monde...

Festival...

Mélanie Laurent a déclaré qu'elle était payée pour officier en tant que maitresse de cérémonie du 64ème festival de Cannes. Cela représenterait deux mois de salaire. Oui, mais, deux mois d'un salaire de smicard ou de celui d'un PDG ?

samedi 7 mai 2011

Wind of Change.

Scorpions for ever...

Liaison.

J’ai fait sa connaissance un peu avant Noël, un samedi je crois. Il était beau, fort, carré d’épaules. Sûr de lui. Rassurant. J’ai tout de suite été conquise. Je ne me lassais pas de le regarder. J’avais envie de le toucher, j’hésitais. A son invite, je m’y suis risquée. Je suis vite passée aux caresses, timides au début, de plus en plus osées ensuite. Toujours tendres. Et puis, la première fois… Ah, cette première fois ! Elle a duré une heure et demie et ça m’a paru si court ! J’ai eu envie de recommencer, encore et encore. C’était si bon, à chaque fois j’étais comblée. Heu-reu-se !
J’aimais sentir ses courbes sous ma main, j’aimais le papouiller, le malaxer. J’aimais enfoncer mes ongles dans sa chair satinée. Le découvrir par petites touches. Et puis aller plus loin, jusqu’aux tréfonds de son intimité. En savoir toujours plus sur lui, lui arracher ses secrets. Je me contemplais dans son regard comme on se noie, m’engloutissais en lui. Nous ne faisions qu’un et le temps était aboli.
Ma famille s’est vite rendu compte de mon changement de comportement. Distraite, absente, je m’éloignais d’eux, je m’isolais souvent .Et surtout, j’étais heureuse et ça se voyait. Le soupçon puis la jalousie se sont installés. Je faisais pourtant attention, j’essayais de partager mais sans doute était-ce insuffisant… Il était là, omniprésent, occupant mes heures et mes pensées. Cette liaison devenait envahissante, ça ne pouvait plus durer. Un jour, il a fallu trancher…
— Bon, chacun aura le droit de l’utiliser deux heures, à tour de rôle. Le soir après manger j’aurai priorité étant donné que toi tu peux l’avoir dans la journée. Avant manger on peut le laisser au petit, il aime jouer lui aussi. Le week-end on avisera… Mais pas question de passer son temps dessus sinon on ne fera plus rien ! C’est d’accord ? »
J’ai bien dû accepter les conditions imposées par mon mari, c’était ça ou rien ! Mais que ça a été difficile de partager cet ordinateur tant aimé, lui qui avait bouleversé nos vies ! Lui qui, pour la première fois m’a initiée à l’informatique…
Un jour, il est mort et d’autres l’ont remplacé, tout autant chéris. Aujourd’hui, j’en ai un rien qu’à moi. Que c’est bon !

Ah, quelle poisse !

« Eh, mais, c’est qu’il bouge plus le bougre ! Pourtant, j’y suis pas allé si fort que ça, faut pas exagérer ! Il est sans doute groggy, c’est tout. Un bon seau de flotte sur la caboche et j’men vais te l’réveiller ! C’est bizarre quand même, il est si immobile … On dirait que … Merde, il respire plus ! Bon sang, je crois que je l’ai tué ! Merde, merde et merde ! Quelle guigne ! Qu’est-ce que je vais faire maintenant ? Ah, la poisse ! Fallait que ça m’arrive à moi ! Et le Fernand qui va se pointer d’un moment à l’autre pour m’aider à décharger le camion ! Faut pas qu’il voie ça ! Il est con le Fernand, il irait raconter ça à tout le village aussitôt sorti d’ici. Déjà qu’avec ma réputation … celle de meurtrier par dessus le marché ! Meurtrier ! Putain ! Pour quelques coups de pieds ! Sûr qu’il y en a eu un de mal placé qui l’a achevé, j’vois pas, autrement, parce que franchement, j’y suis pas allé si fort, ça non !
Bon, c’est pas l’tout, mais faut que je cache le corps avant que le Fernand ramène sa fraise. Mais où je vais le mettre ? Pas dans la grange, c’est sûr, on va décharger là. Bon sang, faut que j’me dépêche ! Et si je l’enterrais ? Dans le petit bois ! Ni vu ni connu, qui c’est qui irait le chercher là ? Pas le Fernand, en tous cas . Ni le Dédé. Quoique, le Dédé … L’est futé quelquefois ! Il pourrait me demander où il est et je lui répondrais quoi, moi ? C’est bien beau mon idée, mais là, maintenant, j’ai pas le temps de l’enterrer ! En plus, il a pas plu depuis dix jours, le sol doit être en béton, alors creuser …
Oh et puis merde, je règlerai ça plus tard : une chose après l’autre.
Je sais ! En attendant, je vais planquer mon cadavre derrière le hangar, entre le mur et le tas de ferraille du Jojo. Dire que j’ai râlé comme un voleur pour que le Jojo il vienne me débarrasser sa carcasse de bagnole pourrie ! Ben ça m’arrange bien qu’il soit pas venu ! Ah, c’est trop drôle ! S’il savait ça, le Jojo, sa tire qui va servir de planque à un macchabée ! Je me marre !
Bon, c’est pas l’tout, mon Nanard, bouge tes fesses !
Ouh ! Ce qu’il est lourd, le bougre ! Et il est encore chaud, beurk ! Ça me dégoûte ! Aussi il avait qu’à pas être aussi têtu, aussi collant ! Chiant, quoi ! Sans ça, je lui aurais pas flanqué sa rouste. Moi, faut pas me chercher, parce qu’on me trouve ! Et ça peut faire mal ! Putain, il pèse des tonnes, un vrai poids mort !
Ah, ça y est enfin. Je vais jeter cette vieille bâche sur le corps et j’irais me laver les mains. Le Fernand il va pas tarder, faut qu’il soupçonne rien, faut que je sois normal. Ah, quelle poisse ! J’ai pas de veine, quand même ! J’aurais p’têtre pas dû frapper si fort. Et puis avec tout ça, c’est râpé cette année pour l’ouverture de la chasse ! Je crois qu’il va me manquer. Faut dire qu’il y a pas mieux que les cockers spaniel anglais comme leveurs. Ils ont peur de rien ces chiens-là. Mais trop nerveux ! Décidément trop nerveux, c’est vrai quoi !
Tiens, v’là le Fernand ! »

La clé du bonheur.

—Eh ! Mais quel abruti, c’est pas possible ! Tu as claqué la porte et on est enfermé !
Frédéric contemplait Elsa d’un air étonné.
—Mais tu as la clé sur toi, je t’ai donné le trousseau hier soir !
Elsa s’agrippa les cheveux à deux mains et se mit à faire les cent pas.
—Je les ai oubliées sur ton bureau, gémit-elle.
—Ah ouais, et c’est moi l’abruti ! Tu manques pas d’air !
Frédéric soupira et alla s’asseoir sur un gros sac de linge. La pièce était la buanderie de l’hôpital où ils travaillaient et accessoirement, l’un des lieux de leurs ébats. Mais plus question de penser à la bagatelle pour l’instant ! Il faisait chaud dans le local et Elsa s’agitait de plus en plus
—Bon écoute, calme-toi, assieds-toi et réfléchissons plutôt au moyen de sortir de là.
Elsa s’arrêta de marcher et lui lança un regard noir.
—Des solutions, y en a pas des centaines, j’ai pas la clé, il faut que quelqu’un nous ouvre. Et personne doit être au courant de notre liaison, donc on doit pas nous voir ensemble. Tu piges le truc, là ? Qu’est-ce qu’il dit le gros malin, hein ?
Elle avait parlé lentement, en détachant les mots comme quand on s’adresse à un enfant pour qu’il comprenne mieux « ou à un imbécile, pensa Frédéric » et avait haussé le ton sur la dernière phrase. Frédéric ne releva pas. A quoi bon s’énerver ? Ils étaient amants depuis six mois — un record pour lui ! — et Frédéric se lassait déjà. « Cette relation ne m’apporte rien et ne peut que me nuire. » Comme si la jeune femme lisait dans ses pensées, elle dit :
—Si jamais quelqu’un vient à savoir que l’interne se tape le toubib responsable de son stage …
La phrase resta en suspens. Elsa se remit à marcher de long en large dans le local, sourde et muette aux soupirs d’exaspération de Frédéric. Soudain, ce dernier s’écria :
—J’ai une idée ! Tu téléphones à Marion, tu lui expliques que tu étais venue chercher des draps propres, que la porte s’est refermée, que tu peux plus sortir parce que t’as pas la clé ! Moi, je me cache derrière les sacs de linge. Quand elle arrive, tu sors avec elle et tu viens me rechercher après. T’as bien ton portable ? Ou ton biper ?
Au regard désespéré qu’Elsa lui jeta, il crut qu’il allait se mettre à hurler. « Non mais quelle gourde, cette nana ! Qu’est-ce que je fous avec une cruche pareille ? » Il se leva d’un bond. Un éclair de colère dansait dans ses yeux bruns. Il s’apprêtait à lui répondre vertement lorsqu’ils entendirent des pas derrière la porte. Puis une clé qu’on introduisait dans la serrure. Sans plus réfléchir, Frédéric plongea derrière un amoncellement de draps empilés dans un coin. Elsa les arrangea rapidement afin qu’ils le cachent et se retourna juste à temps. Marion ouvrait la porte.
—Oh ! Elsa, qu’est-ce que tu fais là ?
Celle-ci lui débita le scénario mis au point par Frédéric et les deux jeunes femmes sortirent du local en riant.
Une fois arrivée dans le bureau du médecin, Elsa chercha le trousseau. Mais son geste s’arrêta en chemin. « Et si je le laissais un peu moisir dans son cagibi, le toubib ? Après tout, c’était pas la joie ces derniers temps, ça lui fera les pieds ! Il est trop vantard, le mec, un jour il va manger le morceau et moi je vais me retrouver dans la panade ! » Elle rangea les clés dans le tiroir du haut. Un sourire détendit ses lèvres et elle sortit de la pièce en fredonnant.

jeudi 5 mai 2011

Bien renseignés !

Y a plus d’jeunesse !

« S’il vous plait, le rayon littérature générale, c’est de quel côté ?
— Au sous-sol madame. Mais je suis navré, vous devrez prendre l’escalier, l’ascenseur est en panne !
Regard apitoyé du vendeur. Là, j’ai pris un sacré coup de vieux… Pfffffffffffff !

Interactivité.

Quand on cherche des renseignements sur internet et que ça n’aboutit pas, on tombe la plupart du temps sur un message d’erreur laconique. Voici la fin de non recevoir que m’a envoyée mon ordinateur l’autre jour :
« Désolé mais vous cherchez quelque chose qui ne se trouve pas ici ! »
Ah ouais… l’est pas bête !

Post mortem.

Ce matin, la télé a recommandé aux internautes de ne pas taper sur Google « exécution de Ben Laden » et de ne surtout pas télécharger la vidéo correspondante, sous peine de voir un virus effacer tout le contenu des disques durs. Décidément, même mort il continue ses ravages, celui-là !

Ben Laden bis.

Des journalistes ont dit : « Ben Laden a été immergé dans la mer. »
Vous savez quoi ? Il y a des gens qui sont enterrés sous terre ! Si, si, je vous assure !
Et dire que j’ai été recalée au concours d’entrée au CELSA…

dimanche 27 mars 2011

Haut les filles !

Nouvelle critique ! Ces deux critiques sont parues sur Agora Vox les 05 février et 05 Avril 2011.


Elles s’appellent Marguerite, Blanche ou Gloria. Aurore, Pia ou Cassiopée. Ou bien encore Salomé ou Lilas. Quelquefois, elles n’ont pas de nom… Elles se font belles, elles cuisinent pour leur chéri, elles travaillent ou elles tiennent la maison. Quelquefois elles sont heureuses, d’autres fois pas tant que ça. Comme celle-ci qui se gave de nourriture jusqu’à la nausée, pour tenter de remplir le vide de sa vie. Ou cette autre qui découvre avec terreur la face cachée de son jeune époux. Mais toutes sont à la recherche de quelque chose. Le bonheur ? Sans doute… mais aussi la reconnaissance ou même une autre vie.
Ces femmes, c’est nous. A travers leurs espoirs et leurs désillusions, l’auteur, Calouan, nous donne à voir leur quotidien, dans un recueil de dix-sept nouvelles au langage épuré, au style simple qui laisse entrevoir par petites touches, les fêlures des personnages (Haut les filles ! édtions Quadrature). Maniant l’humour et l’ironie aussi bien que l’émotion, elle nous entraine avec bonheur à suivre le destin souvent compliqué de ses héroïnes.
Blanche cuisine pour son amoureux parce que sa mère lui a dit « un homme bien nourri reste pour la vie ». Alors elle joue le jeu, pas forcément convaincue… et puis se prend au jeu, y prend plaisir ! Elle attend le jeune homme et nous aussi. Enfin il sonne à la porte…
Gloria est gynécologue. Femme épanouie, heureuse en ménage, elle communique par mail depuis quelques temps avec un homme qui s’occupe d’une association dont elle est membre. Et elle rêve, Gloria, à une possible idylle… elle se retrouve adolescente, soudain palpitante face à tous les possibles…
Pia aussi revit sa jeunesse grâce à la rencontre fortuite avec son premier amour. Pourquoi les choses n’avaient-elles pas marché à l’époque ? Va-t-elle mettre en jeu son mariage, sa famille pour rattraper le temps perdu ?
Au fil des pages du recueil, les nouvelles s’assombrissent. Du mal-être quotidien, banal, à la souffrance, le réel devient pesant.
C’est Anouk qui ne peut faire son deuil au décès de son mari, c’est Oriane qui aime tant la musique et fait une mauvaise rencontre le soir, en rentrant en métro, c’est Claire qui aurait bien aimé ne pas assister à ce repas de Noël en famille, une famille si parfaite…
Calouan nous parle d’amour, de solitude, de désespoir et d’espoir, de malheur dans des textes doux-amer, tendres et lucides. Des textes qu’on ne lâche plus dès la lecture commencée. Pour nous les femmes. Pour vous les hommes.

Calouan : « Haut les filles », éditions Quadrature. 15€.

vendredi 25 mars 2011

Harmonie familiale.

Avec persévérance et force cris, le gamin pleurait depuis près d’un quart d’heure.
—Mais fais taire ton gosse, bon sang !
—MON gosse ! Parce que c’est pas le tien peut-être ? C’est marrant la facilité avec laquelle tu rejettes ta paternité dès que ce gamin est désagréable.
—Charlotte, ça va, on va pas encore s’engueuler ! J’ai mal au crâne…
—C’est sûr, si t’étais pas rentré de tes agapes nocturnes complètement bourré, t’aurais pas mal à la tête.
Philippe soupira, se leva, attrapa l’enfant par la main et quitta la pièce. Charlotte le fatiguait. Il avait bien le droit de s’amuser quand même ! De retrouver ses potes, accueillants, eux, sans subir à chaque retour à la maison le chœur des pleureuses ! Elle et le petit… Pourtant, ils auraient pu vivre harmonieusement, ils étaient jeunes, en bonne santé, ils avaient du boulot, un bel appartement, ils étaient amoureux… Enfin, il le croyait, il voulait encore le croire … Au lieu de cela, il avait en permanence l’impression d’être entravé par un fil à la patte. Il regrettait de plus en plus souvent sa liberté de célibataire. Charlotte le sommait de se montrer toujours à la hauteur, responsable, infaillible, premier de cordée qui la guiderait et la protègerait dans la rude ascension de la vie. Et Philippe aurait bien coupé la corde, laissant tomber dans le vide le duo infernal.
Charlotte avait allumé la télévision et regardait d’un œil distrait un documentaire animalier. Des rires fusèrent par la porte entrouverte. Philippe avait réussi à calmer le petit. La jeune femme balança la télécommande sur le canapé. Elle, elle ne réussissait jamais à venir à bout de son fils. Elle n’avait jamais su y faire, elle se sentait tellement nulle ! Des larmes lui montèrent aux yeux, qu’elle refoula en reniflant avec bruit. Elle se leva d’un bond et vint se planter dans l’encadrement de la porte de la chambre.
Le père et l’enfant, complices, allongés sur la moquette au milieu des petites voitures éparpillées, ne pensaient plus à l’incident. Alors Charlotte, mauvaise, cracha :
—De toute façon, t’avais bien raison de me dire TON gosse, parce que c’est pas le tien ! T’es même pas capable de ça !

mardi 1 février 2011

Le crépuscule de Wallander.

J'inaugure aujourd'hui une nouvelle rubrique dans ce blog : critique littéraire. Le premier livre à essuyer les plâtres est celui de Henning Mankell : "L'homme inquiet".

Le crépuscule de Wallander.


Est-il nécessaire de présenter Henning Mankell ? Cet auteur suédois publié en France depuis un peu plus de quinze ans est le « père » —entre autre— de Kurt Wallander, commissaire de police dans la petite ville d’Ystad, homme taciturne, bougon, enclin à la dépression, qui n’en est pas moins un remarquable policier, observateur et intuitif. Au fil de ses enquêtes, un portrait nuancé, très critique et souvent sans concession de la Suède actuelle nous est donné à voir, portrait qui bat en brèche l’image lisse et propre que nous autres, latins, avons des pays scandinaves. Meurtres sanglants, mensonges, racisme font le lot quotidien de notre commissaire désabusé, dans un pays en proie au doute, entamé lui aussi par la crise depuis l’éclatement de sa bulle de neutralité.
C’est dire si les ouvrages d’Henning Mankell ont cette dimension sociologique, voire historique qui fait son charme. Sans oublier la psychologie des personnages, très développée. Mankell adore les zones d’ombres qui constituent chaque être humain et il en joue dans ses récits, campant des hommes et des femmes complexes, fragiles, en proie à leurs démons et leurs contradictions. Plus que de simples romans policiers, les ouvrages d’Henning Mankell constituent de véritables tableaux où le genre humain se présente sous toutes ses facettes.

Le dernier opus en date « L’homme inquiet », ne déroge pas à la règle. Wallander atteint désormais la soixantaine, il est fatigué, diabétique, connaît des troubles de mémoire passagers et s’interroge sur son avenir. La mort, celle qu’il affronte dans son métier, celle de ses proches, la sienne, le hante. Autour de lui, le monde change. Devenu grand-père d’une petite Klara, sa vie s’illumine soudain. Malgré ses ennuis de santé, il veut la voir grandir et s'en occuper.Il a acheté une maison à la campagne et compte bien y couler des jours heureux. Mais pas tout de suite, pas encore… Il veut d'abord prouver qu'il est toujours utile dans sa profession.
Mais ce bel ordonnancement va voler en éclat lorsque le futur beau-père de sa fille disparaît. L’homme, ancien capitaine de frégate dans l’armée, spécialiste de la lutte anti sous-marine, semblait inquiet et avait fait à Wallander des confidences sur le rôle des services secrets russes et suédois sous le gouvernement d’Olof Palme. Ecarté de l’affaire par ses supérieurs suite à une « faute » professionnelle et en raison de sa proximité avec le disparu, Wallander décide de mener sa propre enquête.
Peinture de la Suède des années 60 à 80, approche historique de la grande époque de l’espionnage, ce dernier volume des aventures de Wallander est aussi le récit sensible et bouleversant d’un homme qui voit approcher la fin de sa vie. La peur de la solitude, de la vieillesse et de la mort est omniprésente. C’est aussi l’occasion pour Henning Mankell de revenir sur le passé de son commissaire, prétexte à évoquer son parcours à travers les différentes enquêtes auxquelles il a eu à se confronter. « Les chiens de Riga », « La lionne blanche », « La muraille invisible » sont ainsi mis en exergue, venant rafraichir notre mémoire. Par ce biais, Wallander fait le bilan de sa vie et de sa carrière, revient aussi sur son enfance, ses anciens camarades, ses anciennes amours…
Sorte de testament, le récit n’en devient que plus riche, plus foisonnant, plus complet et plus complexe que les précédents. La vie du héros traverse l’enquête et inversement, dans une danse mouvante et émouvante, une urgence palpable. La détresse, le désespoir sont autant ceux du policier que ceux du siècle et c’est en cela que ce roman nous interpelle. Un style riche, une écriture parfaite nous offrent un texte prenant, gorgé de sensibilité. L’intrigue, quant à elle, est riche et complexe à souhait, se développant au fil des doutes du policier, en rebondissements, faux semblants et fausses certitudes qui ballotent le lecteur au gré de l’imagination de l’auteur. Un récit haletant, donc, une épopée personnelle, que l’on ne lit plus seulement pour connaître l’issue de l’enquête, mais pour accompagner Wallander sur son chemin, vers son crépuscule. Et l’on s’aperçoit que cet homme inquiet est aussi bien le disparu que Wallander … ou encore nous-mêmes.
Ainsi se terminent en beauté les aventures du célèbre commissaire, meilleur opus de la série selon moi. Adieu Mr Wallander.

mardi 11 janvier 2011

Téléachat.

Aujourd’hui j’ai regardé le téléachat. Oui, je sais… mais bon… bof… Allez quoi, me jetez pas la pierre ! Et lisez plutôt ce que j’y ai appris.

1. Super box, des bols avec couvercle qui passent au four à micro-ondes ET au congélateur. (pas simultanément, hein, l’un après l’autre…) Mais comme ce genre de propriétés est somme toute assez courant, le présentateur sort L’argument, LA caractéristique unique qui fera que la ménagère n’aura de cesse d’acheter ces articles exceptionnels : ILS SONT SOLIDES !!! La preuve ? L’animateur pose sur le sol un bol quelconque puis il marche dessus, précisant bien qu’il pèse 90kg. Bien sûr, l’objet se casse… Il pose alors les Super box et entreprend un trajet digne du parcours du combattant. Et là, miracle ! Les bols tiennent le coup ! C’est magique ! Ce qu’elle va être contente, la ménagère, de pouvoir stocker ses aliments ou les réchauffer dans des bols sur lesquels on peut faire des acrobaties !

2. Nous, les femmes, quand on prend du poids, c’est souvent localisé au niveau de la taille et du ventre. Et quand on veut en perdre, c’est bien évidemment de là qu’on voudrait maigrir. Et oui, je sais, ce n’est pas juste mais heureusement pour nous, il existe des pommades et autres crèmes qui ne demandent qu’à nous aider à faire disparaître nos bourrelets disgracieux. Il y a surtout LE gel de massage révolutionnaire. Témoin à l’appui : une femme, disons, un peu enrobée l’essaie. Une heure après montre en main, elle a perdu 2cm de tour de taille ! Mazette ! Efficace, le gel ! La fille est bluffée. Et elle annonce fièrement qu’elle a perdu ainsi 4cm en trois semaines !! 2cm en une heure, 4 en trois semaines… J’ai toujours été nulle en maths, mais… quelque chose doit m’échapper…

3. Après la cuisine et la beauté, le nettoyage de la maison. Ben oui, ça aussi ça fait partie des préoccupations matinales de notre ménagère. Pour aller vite, pour être performant, un nettoyeur vapeur 4 en 1. Et lui aussi il est super fort : en direct, devant nos yeux ébahis, il perce… un bloc de glace !! Vachement utile…

Pas de doute, 2011 commence fort, elle en a de la chance, la ménagère du XXIème siècle !

Dix petites minutes.

Dix minutes. Rien que dix petites minutes, vous savez docteur. Dix minutes de rien du tout. Si vite passées mais si longues, six cent secondes. Une éternité…

Il faisait beau. Beau mais froid. Le soleil réchauffait à peine le banc du square sur lequel Franck était assis. La lumière dorée rasait l’herbe rare, faisait briller l’humidité sur les brins chétifs. « On dirait des bâtons d’angélique » avait pensé le jeune homme. Il avait soufflé sur ses doigts gourds et griffonné quelques mots sur son carnet. Sa nouvelle avançait bien. Il s’était plu à penser que l’air vif de novembre y était pour quelque chose. Il aimait ces journées lumineuses et glacées où la nature semblait comme cristallisée sur elle-même, où les bruits avaient cette sonorité si particulière, presque métallique, où la légèreté du silence caressait chaque arbuste, chaque arbre, chaque objet pour s’en éloigner ensuite, laissant dans son sillage une douceur palpable. Il aimait aussi l’automne pour ses couleurs éphémères, fragiles.
Florian, assis dans le bac à sable, emplissait avec concentration la benne d’un camion en bois qu’il vidait sitôt pleine, pour la remplir à nouveau. En le regardant, un sourire avait illuminé le visage de Franck, déployant au coin de ses yeux de fines ridules en éventail. C’était fou comme les petits enfants pouvaient s’absorber totalement dans une activité, fermés à ce qui se passait autour d’eux. Florian ne percevait pas la présence des autres enfants. Méthodique, volontaire, il menait à bien son jeu sans cesse recommencé.
Franck avait reporté son attention sur le parc. Peu de monde à cette heure relativement matinale. Des pigeons picoraient des miettes rares, quelques couples se tenaient par la main, des personnes âgées marchaient à petits pas… La sérénité des dimanches matin.

Ne pas oublier son écharpe. Lucie m’avait dit : « Il a un début de rhume, couvre-le bien. » Il est un peu fragile, vous savez, depuis sa naissance… Il faut faire attention… Il faut faire attention aux enfants, docteur… Son écharpe… Je l’ai oubliée sur le dossier de la chaise…

Puis le parc s’était peu à peu rempli. D’autres enfants avaient occupé le bac à sable, mêlant leurs jeux à celui de Florian. Des cris, des rires et Franck avait rangé son carnet. Trop de bruit pour écrire. Une conversation s’était annoncée, cordiale, quelques phrases échangées dans la fraicheur d’un dimanche matin d’automne, garantes de bonnes relations de voisinage. Une conversation de dix minutes. Puis la matinée s’étirant, il avait fallu songer à partir. Le camion en bois de Florian gisait, renversé, dans le sable.

Un beau camion rouge et jaune, vous savez docteur. Pourquoi était-il là, seul au milieu du bac ? Je ne pouvais pas détacher les yeux de ce jouet. Ce n’était pourtant qu’un jouet, rien qu’un jouet… pourquoi est-ce qu’on s’attache à des détails, docteur, pourquoi ?

Franck avait pensé : « Il ne doit pas être bien loin, il était là il y a encore quelques minutes. » Son regard avait balayé les bosquets, les allées, le tour des bancs. Un enfant de trois ans ne disparaît pas comme ça. Un enfant de trois ans qui, dix minutes plus tôt, remplissait la benne d’un camion en bois. Franck avait cherché le petit bonnet bleu, la veste marine à capuche. Il avait demandé, décrit les boucles brunes. Il avait appelé. Les passants aussi avaient appelé, avaient ratissé le square. Ils avaient crié dans le froid. Florian n’était pas là. Indifférents, les oiseaux saluaient le soleil au zénith. Fond sonore habituel, des rires, des cris, la fraicheur d’un matin sans histoire, puis, au loin un klaxon, un dérapage, quelque chose d’autre… Franck avait perçu comme un changement. Par delà la grille, en bordure de rue, dix minutes de trop…

Docteur, si je viens vous voir, c’est pour oublier. Ou pour me souvenir. Je ne sais plus. Ce que j’ai ressenti ? Rien. Docteur, vous savez, quand on a de la fièvre et que notre cerveau est comme emmitouflé dans du coton. J’étais comme ça… Anesthésié. Je marchais et ce n’était pas moi. Je voyais le corps étendu mais ce n’était pas lui. Non, ce ne pouvait pas être lui. Non, docteur, pas lui ! Dites-moi que ce n’était pas lui ! J’ai oublié son écharpe sur le dossier de la chaise…

Elle avait disparu au coin de la rue, c’est tout juste si les témoins avaient pu distinguer la marque, une berline allemande blanche. Un autocollant rouge sur le flanc arrière… Tout de suite un attroupement s’était formé, une agitation avait saisi la foule. Franck avait couru hors du parc, la conscience soudain alertée. Du plus lointain de son être, une certitude. Les bras sur le côté, jambes repliées, ses cheveux qui s’échappaient du bonnet. Le petit visage pâle, calme. Il semblait dormir. Franck l’avait contemplé en silence, hébété. Un pan de chemise dépassait du blouson, indécent. Franck n’avait plus vu que ça.

Lucie me l’avait dit pourtant… Trois ans, il venait d’avoir trois ans. Il était si… absorbé par son jeu… si petit… Il a dû partir sans que je le voie. Dix minutes seulement, j’ai discuté dix minutes, docteur. Une vie peut donc finir en dix minutes ? Florian était là, vivant, heureux et l’instant d’après… il était… il était… Non, docteur, laissez-moi ! Laissez-moi hurler ! Laissez-moi frapper ! J’ai mal ! Si mal ! Mal de ces dix minutes enfoncées dans ma chair ! Laissez-moi ! Vous êtes là pour ça, docteur ! Moi aussi je suis mort ce jour-là !

Une trace rouge maculait la joue de l’enfant. Franck s’était agenouillé auprès de son fils et broyait entre ses mains le bonnet de laine. Quelqu’un avait passé son bras autour de ses épaules et voulait le forcer à se lever. Franck claquait des dents. La sirène de l’ambulance l’avait fait sursauter. Des bribes de mots étaient parvenues à traverser l’épaisse brume calfeutrant son cerveau, « état de choc », « hospitalisé », « prévenir », « femme ». Il avait regardé comme dans un rêve les médecins monter le corps de l’enfant dans l’ambulance. Il avait pensé à Lucie… Lucie… « Il est fragile depuis sa naissance, il faut lui mettre son écharpe… » Lorsque l’ambulancier avait recouvert le visage du petit, cela avait été comme un voile qui se déchire, une explosion dans sa poitrine… Un cri, un désespoir sans limite et puis les larmes…

Je peux le dire maintenant, docteur, je peux prononcer les mots. Cela fait trois mois que Florian est mort. Trois mois qu’au détour d’une rue un chauffard a emporté sa courte vie. Trois mois et pourtant… Dix minutes d’inattention de ma part et un enfant meurt. Mais qu’est-ce que c’est dix minutes ? Qu’est-ce qu’on en fait dans la vie de tous les jours, de dix minutes ? Rien, on les perd et c’est tout. Dix minutes de perdues, une vie rayée. Et ce chauffard, docteur, peut-être voulait-il gagner dix minutes, peut-être était-il en retard ? Perdre, gagner, c’est ça la vie ? La vie d’un enfant, suspendue à ces dix minutes… C’est drôle docteur, voilà que je philosophe ! De combien de temps, de combien d’années ma vie va-t-elle être remplie ? De combien de dizaines de minutes sans lui va-t-elle être plus pauvre ? Parfois, je voudrais ne plus penser, ne plus savoir. Vous savez que la semaine dernière j’ai enlevé toutes ses photos dans la maison ? Je ne pouvais plus les voir. Et ce matin je les ai toutes remises. Je ne pouvais plus NE PAS les voir. Ne pas LE voir. Vous comprenez ça docteur ? Vous avez déjà perdu un enfant ?

Puis les larmes avaient coulé, tièdes et silencieuses sur les joues. Le regard fixe, assis dans l’ambulance, Franck avait pris dans sa main celle de Florian. Il avait épié les signes d’un réveil, avec et contre tout espoir. Figés comme sur un instantané, les traits du petit garçon seraient désormais gravés dans sa mémoire. Ensuite, tout s’était enchainé : l’arrivée à l’hôpital, la course des médecins, leur empressement, la constatation du décès, le coup de fil à Lucie. Lucie… blanche et menue, muette comme un reproche… Les larmes de Lucie, la douleur de Lucie, son désespoir… Ils étaient restés longtemps assis par terre appuyés contre le mur d’un couloir, fondus, liquéfiés dans la peinture sale, incrustés à jamais dans le chagrin. Pourquoi ces dix minutes, cette faille dans l’espace-temps, avaient-elles ainsi bouleversé leur destin ? Pourquoi eux ? Pourquoi lui ?
Les jours avaient succédé aux jours, l’absence s’était installée, colonisant tout l’espace autour d’eux. Pourtant tout disait la présence, une moufle retrouvée, un jouet oublié, un biscuit préféré, les meubles et les murs… Une simple pensée, un geste, un courant d’air derrière les rideaux, et l’enfant reprenait vie dans leurs souvenirs, les laissant à chaque fois plus démunis. Ils vivaient avec lui sans lui. Et ce serait ainsi jusqu’à leur propre fin.
Franck avait désiré parler. Le silence l’étouffait. Cet homme, ce docteur des âmes l’écouterait, il était là pour ça. Un déversoir, un réceptacle à chagrin, Franck ne l’avait pas envisagé autrement. A peine si cet homme en était un. Il était une fonction et cette fonction maintenait Franck hors de l’eau depuis des mois.

Je ne sais pas combien de temps encore je vais venir ici pour parler, docteur. Je vous demande de me comprendre et en même temps je sais que personne ne peut comprendre. Je veux juste que vous m’écoutiez. Parfois j’entends des voix le soir… et le matin je crois qu’il est là, j’ai l’impression que son rire va jaillir comme avant… Je deviens fou, hein docteur, ça doit être ça… vivre avec un enfant mort. Docteur, vous ne dites jamais rien… Vous êtes comme une amphore qu’on remplit, vous êtes plein de nous, de nos problèmes. Vous ne vous videz jamais, docteur ? Dix minutes, dites-moi si c’est peu ou beaucoup, docteur, dites-moi pourquoi j’ai discuté dix minutes dans ce parc, pourquoi la vie de Florian était suspendue à ces dix minutes… Pourquoi cette auto blanche n’est-elle pas passée dix minutes plus tôt ou plus tard ? Vous savez, docteur, c’est le mot pourquoi qui revient toujours dans mes paroles… Vous vous demandez aussi pourquoi ? Pourquoi tous ces gens viennent déverser leur malheur dans votre giron ? Mais je m’égare, pardonnez-moi docteur. Dans dix minutes je partirai. Dix minutes… à vous parler, à vivre pour vous parler… Et vous passerez à autre chose. Vous ne dites jamais rien docteur mais vous n’en pensez pas moins, j’en suis sûr. Pourtant, dans dix minutes, vous quitterez votre cabinet, vous prendrez le volant de votre auto pour rentrer chez vous… elle est là, garée le long du trottoir, elle vous attend… c’est votre voiture, docteur, la berline blanche devant la porte ? Une allemande sans doute, plus costaud et ça vous pose un homme… Docteur, dites, c’est bien la vôtre, l’auto blanche ? Celle avec l’autocollant rouge à l’arrière… Docteur, écoutez-moi !