L’aube accroche des lambeaux gris à la fenêtre. Une pâle lueur découpe un carré clair sur le sol. Je me retourne dans mon lit. Encore une nuit sans sommeil. Une de plus. Je me demande ce qui est le plus dur, ne pas dormir ou trop réfléchir. Les pensées tournent en boucle sous mon crâne, accentuant chaque jour un peu plus la déchirure de mon âme. Pourquoi m’as-tu quitté ? Tu as brisé mes rêves en quelques mots tranchants comme des éclats de verre. Des myriades d’étoiles, froides comme la glace ont pris possession de mon cerveau. En rompant les vœux échangés il y a si longtemps devant monsieur le Maire, tu l’as fait exploser sans pitié, sans retour possible. Mes larmes, celles des enfants n’ont rien changé. Dépossédé de ce que j’avais de plus cher, je me morfonds, à la recherche de chimères. Oh, pauvre de moi, oublié, fatigué, trahi par celle en qui il avait déposé sa vie ! Comment pourrais-je maintenant simplement exister sans toi ? Mais je n’existe pas. Je n’existe plus. Pourquoi es-tu partie ?
Le jour se lève peu à peu. J’aperçois un pan de ciel laiteux, quelques nuages plus sombres. Il va faire moche encore aujourd’hui. Je me pelotonne sous les couvertures. En tournant un peu la tête, j’aperçois sur l’étagère au dessus de mon lit, mon porte-bonheur. Une petite boite en forme de tortue. Son bois vernis luit doucement dans la semi pénombre. En Chine, la tortue est signe d’une vie longue et heureuse. Longue et heureuse… Quelle ironie ! Le bonheur s’en est allé voilà plus de six mois, quand tu m’as quitté. J’aurais dû jeter ce symbole d’un amour éternel mais un lien invisible me lie à cette boite, me lie à toi. Elle est ma vie et ma mort. Mon espoir et mon désespoir. Elle est mon remords. Mon naufrage. On dit qu’elle cache dans sa carapace tous les secrets du ciel et de la terre.
Des mouvements derrière la cloison, des portes qui claquent, des mots murmurés, une chasse d’eau…. Il est sept heures et demie à ma pendule. Le jour s’éveille. Bientôt j’entendrai le pas de mes voisins, le grincement du bus au bas de la route, les appels dans le matin triste. Bientôt Marc frappera à ma porte. Et moi je n’aurai que l’envie de dormir, d’oublier.
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Marc, son trousseau à la main arpente le couloir étroit. En enfilade comme des rangs d’oignons, les portes d’acier sont encore muettes. Le jour naissant lèche les murs de sa langue de clarté pâle. L’espace se comble de lumière blanche. Arrivé devant le lourd battant, l’avant-dernier de la file, Marc cherche la bonne clé, celle de la cellule de son détenu modèle, comme il dit. Dans le fond, il l’aime bien, ce détenu. Il en a vu défiler des prisonniers, en trente ans de carrière. Des voleurs, des tueurs, de sombres brutes, des durs de durs, mais des gosses aussi, pleurant dans la nuit en appelant leur mère. Trois erreurs judiciaires également…
Monsieur Richard est différent. Il ne se mêle pas aux autres, il vit en marge. Il parle à mots pesés, à mots feutrés. On dirait qu’il rêve en paroles, il hésite, raconte et se raconte et Marc, souvent, n’ose l’interrompre. Il raconte sa vie, celle d’avant, sa femme, ses enfants, le divorce… L’incompréhension aussi… Alors, un gouffre de tristesse noie son regard sombre. Il parle souvent de la Chine, où il a vécu et d’où il a ramené cette tortue porte-bonheur dont il ne se sépare jamais. Une drôle de petite boite. En bois. Marc pense qu’il lui faudrait plutôt un gri-gri de réconciliation avec lui-même, pour lutter contre sa souffrance intérieure. Au fond, Marc a pitié…
Aujourd’hui débute le procès de monsieur Richard, on l’accuse d’avoir tué sa femme et ses enfants. Il promet d’être long, il y a tant de zones d’ombre… L’homme va-t-il parler, expliquer, se justifier, et se libérer enfin du poids de son crime ? Si crime il y a… ce qui n’a jamais été prouvé. On n’a pas retrouvé de corps, sa famille est officiellement « disparue ». D’ailleurs, Monsieur Richard a toujours nié. Il ne supportait pas son divorce, mais il aimait toujours sa femme. Elle l’a quitté mais il l’aimait. Et puis, il le répète souvent, les corps n’ont jamais été retrouvés.
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