Un mort qui saigne sur un tapis
blanc hautes mèches, ça fait désordre. Aussi, avec Nico on s’est dit :
« Faut l’enlever de là. » Facile de le porter à deux, surtout qu’il
était pas bien épais notre macchabée. Mais voilà, on allait le mettre où ?
Déjà, le transporter jusqu’au
coffre de la bagnole, ça a pas été facile. Il gouttait sur le parquet,
tellement qu’on aurait pu nous suivre à la trace ! Arrivé à la porte du
salon, on s’est dit que c’était pas la bonne solution. Alors on a fait
demi-tour. Et une deuxième trainée rouge sur le sol, parallèle à la première.
On a reposé le corps sur le tapis blanc, on s’est redressé, on s’est regardé.
On a pensé la même chose. On a enroulé le bonhomme dans les hautes mèches, on a
scotché les bords avec un rouleau pour les colis qu’on a trouvé dans un tiroir
et on est reparti en sens inverse. Bien sûr, il a fallu nettoyer le sang
répandu par terre et puis le vide laissé par la carpette faisait un peu bizarre
mais on n’avait pas vraiment le temps de s’attacher à des détails pareils.
Là, je me suis félicité d’avoir
acheté un break. Il y a de la place, on peut mettre des choses encombrantes,
pour le mort c’était l’idéal. Surtout que j’ai eu 11% de rabais parce que je
l’ai acheté comptant, le break. Une affaire… Bref, en lui pliant un peu les
jambes, il rentrait pile, on n’a même pas eu besoin de rabattre les sièges
arrière. C’est Nico qui a pris le volant. Il a calé trois fois avant de
desserrer le frein à main qui l’empêchait de démarrer. Je sais pas trop où il a
la tête le Nico, des fois. Mais moi, fallait que je réfléchisse et quand je
conduis je peux pas. Martine et les gosses étaient partis depuis deux jours
chez Mamie Reine. C’était donc chez moi que le cadavre attendrait qu’on le
transporte dans un autre lieu. Parce que là, tout de suite, à minuit passé, pas
le temps de trouver un endroit sûr. En attendant, la remise au fond du jardin
ferait l’affaire. De toute façon, personne n’y mettait plus les pieds dans
cette cahute. Trop de bazar. Le jardinage, passé l’engouement des débuts, ça
n’avait jamais été mon truc.
C’est drôle mais le corps nous a
paru plus lourd qu’au départ, quand on a voulu le sortir de la voiture et le
transférer dans la cabane. On suait comme des bœufs de labour et j’ai bien été
content quand ça a été fini ! Derrière les sacs de ciment périmés, ceux de
vieux terreau et les outils cassés, on voyait rien de rien ! Ah, comme
j’ai apprécié la blonde qui me coulait, fraiche, dans le gosier… Nico il a rien
voulu boire pourtant il avait autant transpiré que moi, les gouttes lui
dégoulinaient encore le long des joues. Je l’ai trouvé bien pâlot et tout
silencieux.
—Oh, Nico, détends-toi, il risque
rien le macchabée, là où il est ! Martine revient que samedi prochain, ça
nous laisse six jours pour le déplacer, c’est suffisant ! Et puis, j’ai
une idée…
******
—Fred… Fred, j’ai des remords…
Je regarde Nico. Il se ronge les
ongles depuis une heure et je vois bien qu’il est pas dans son assiette.
Pourtant, ça s’annonçait sympa ce soir. Deux potes devant un match de
foot, sans les gonzesses, avec pizza et bière à volonté ! Mais non, faut
que le Nico il nous gâche la soirée !
—C’est vrai quoi, on n’était pas
obligé de le dézinguer, le Francis, on pouvait discuter…
Je soupire. Discuter, discuter, il
voulait rien comprendre ! On aurait pu discuter jusqu’au lendemain que ça
aurait rien changé ! Faut que Nico, il l’admette ça. Et puis de toute façon, c’est
fait alors ça sert plus à grand-chose de se poser ce genre de questions… Moi
j’aime pas quand on se triture le cerveau pour rien. Faut penser utile, c’est
ça qu’il faut. Et puis au moins, on n’a plus de soucis avec Francis.
—Pourquoi t’aurais des
remords ? Il l’a cherché, non ? Il avait qu’à cracher le morceau tout
de suite. Puis d’abord, faut jamais revenir sur ce qui est fait. C’est du
passé.
—Oui mais il a même pas
parlé ! On est pas plus avancé qu’avant puisqu’il nous a pas dit où il
avait mis son magot !
Il a pas tort. C’est vrai que
Francis a pas lâché l’info. Il aurait fallu le torturer, juste assez pour qu’il
crache au bassinet… Mais seulement, Nico c’est une petite nature, il aime pas
la violence alors c’est toujours moi qui m’y colle et parfois, je m’énerve,
alors voilà, le coup est parti tout seul. Il est mort avant que je réalise.
—Ouais bon, on aura qu’à fouiller
sa baraque, maintenant qu’il y a plus personne… On la trouvera sa fichue
cachette, c’est moi qui te le dis !
—Et quand c’est qu’on le trimballe
ailleurs le cadavre ?
—Après-demain, les ouvriers du
chantier coulent la dalle du gymnase. Ils vont faire ça vers dix sept heures à
peu près mais le béton ça prend pas trop vite, alors dès qu’il fait assez
sombre, nous on y va et on balance le macchab dans la purée ! Ni vu ni
connu !
C’est mon idée et j’avoue que j’en
suis fier… C’est pas Nico qui l’aurait eue celle-là ! Lui, à part avoir
les jetons pour tout et pour rien… Si j’avais pas eu besoin de lui pour
l’alibi, j’aurais fait cavalier seul, un vrai tocard ce Nico ! Seulement
quand je dirai que j’ai passé la soirée chez lui et que sa dulcinée elle pourra
confirmer, même si elle s’est couchée avant nous, on me fichera la paix. C’est
que faut que je fasse gaffe, avec mon casier… Sandrine, elle s’est même levée
pour aller pisser et elle m’a vu prendre une bière dans le frigo, une chance !
Elle sait même pas qu’on venait tout juste de rentrer et que le corps de
Francis était bien au chaud dans ma remise, deux cent mètres plus loin… Il y
est toujours d’ailleurs, j’ai vérifié en arrivant. La petite cabane au fond du
jardin, c’est une idée super et c’est moi qui l’ai eue.
******
—Fred !
Freeeedddd !!! Le mort… le le le mort !!! Il, il a disparu !!!!
Allons bon, qu’est-ce qu’il a
encore inventé, le Nico ? Un macchabée refroidi depuis quatre jours, plus
froid que chez Picard, qui se fait la malle au beau milieu de la nuit ?
N’importe quoi !
—Fred, Fred… mais viens voir !
Il a disparu, je te dis !
Nico a la voix aigüe et qui
tremble, comme quand on va pleurer. Je lève la tête. Décomposé, le mec, blanc
comme ma chemise, enfin comme ma chemise était ce matin. Je sens que je vais
être obligé de laisser tomber l’aménagement du coffre du break. Pourtant faut
bien le protéger, j’ai pas envie de dégueulasser le tapis de sol avec le sang de
Francis ! J’ai trouvé un rouleau de plastique épais, bien souple, dans
lequel on va pouvoir enrouler le corps avant de le balancer dans le ciment.
Tout ça est aux petits oignons ! Nico me tire par la manche.
—Ouais, ouais, j’arrive… Je fais, agacé.
Franchement, il est trop nerveux,
ce mec. La porte de la remise est grande ouverte et les sacs de terreau
trainent partout. J’aime pas le désordre.
—Non, Nico, là t’es pas
sérieux ! Tu laisses tout dans le passage, t’aurais pu ranger un peu.
—Mais on s’en fout de
ça bordel, je te dis que le cadavre a disparu ! Le Francis s’est barré ! Oh, je le savais
que ça allait mal tourner, je le savais…
Mais qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?
Il m’agace, mais il m’agace… Il se tord les mains comme un possédé,
manquerait plus qu’il chiale ma parole ! Bon allez, Fred, t’énerve pas et
va voir dans la cabane, si ça peut le calmer…
Bon sang ! Mais c’est qu’il a
raison, le couillon ! Le tapis hautes mèches est plus là ! Envolé,
avec le mort dedans… Mais bon sang, comment c’est possible ? J’avale ma
salive sans arrêt, j’ai le gosier tellement sec que même une barrique de bière
pourrait pas le rafraichir. Et mon cœur, mon cœur, j’ai pas le souvenir qu’il
ait battu si vite ! J’arrive pas à réfléchir…
—Fred, j’ai peur, j’ai vachement
peur, ça sent mauvais tout ça, on fait quoi, dis, on fait quoi ? Mais où
qu’il est le Francis ?
Nico hulule comme une vieille
chouette, ça me casse la tête, j’arrive pas à réfléchir bon sang !
—Tu vas te taire
ou je t’assomme avec la batte de base-ball du gamin ?
Fred, reprends-toi, calme-toi. Je
ferme les yeux et je fais la respiration du petit chien, comme les femmes
enceintes. Parait que ça détend. Et puis je me dis que Francis, il a pas pu
partir tout seul, c’est pas possible. Alors si c’est pas possible qu’il soit
parti tout seul, c’est que…
—Nico, y a quelqu’un qu’a pris le corps.
—Hein ??!! Mais… mais, mais…
—Forcément ! On n’a jamais vu
un cadavre s’en aller comme ça, quelqu’un l’a volé. Il a dû nous voir quand on
l’a caché.
—C’est qui ?
—Mais comment tu veux que je sache,
bon sang ? Faut tout ranger, on y verra plus clair.
Alors j’ai remis le bazar dans la
cabane, tout comme c’était avant et j’ai demandé la clef à Nico pour fermer le
cadenas.
—Ben, je l’ai pas la clef, c’est
pas moi qu’a ouvert, c’était déjà ouvert… Je croyais que c’était toi…
Et moi, je crois que je vais faire
une attaque. A part moi, il y a qu’une personne qui sait où elle est rangée la
clef de la remise. C’est Martine, ma femme. Et Martine, elle est pas là. Je
cours jusqu’à la maison, Nico sur les talons. J’entends sa respiration dans mon
dos. Faut qu’il arrête de fumer, Nico.
C’est bien ce que je pensais, le
pot en terre cuite de la tante Henriette est vide.
—Mais… t’as pas un double ?
—Nico, la ferme !!! Tu
parleras quand tu…
Eh ! Mais oui, tous les
cadenas sont vendus avec deux
clefs ! Je cherche partout, du coup, je vais bien finir par trouver !
Le cendrier en coquillage… les tiroirs du buffet de la cuisine… la boite à
bijoux de la gamine… qu’est-ce qu’elle fout là, d’ailleurs ? Ces gosses
qui rangent jamais rien ! Et ça, qu’est-ce que c’est ? Même le
courrier qui traine ! Mais…
—Nico, ta Sandrine, elle écrit des
lettres à ma femme alors qu’on habite à deux cent mètres ? C’est quoi ce
délire ?
—Hein ?? Qu’est ce tu
racontes ? T’es fou ? Ah ben ouais, c’est sa signature… Ben
lis !
« Cher
Nico et cher Fred,
C’est
Sandrine qui écrie. Je sait que Nico et toi vous avez trucidé Francis pour son
fric qu’il a gagné avec l’assurence-vie de Marion .C’est pas bien. Faut pas tué
les gens, c’est monsieur le curé qui le dis. Mais c’est encore plus mal de
caché le corps et de rien nous dire, à Martine et a moi, ça, c’est moi qui le dis. Vous voulez pas partagé, c’est ça ? Faut
dire que depuis long temps vous partagez plus avec nous et faut bien le dire,
vous etes un vrai pois pour nous. Alors avec Martine, on a décider de prendre
le pognon, de faire disparaitre le cadavre
et de se tiré. Moi je le savait ou qu’il cachais son argent, Francis parce
que tu vois Nico, Francis et moi on été comme qui dirait ensemble. Et on voulai
partir tous les deux. Mais comme vous lavé tué avec Fred, ben au moins j’aurai
pas tout perdu, j’aurai le mago. Je pars avec Martine (c’est elle qui ma dis ou
été la clé ) qui es parti de chez mamy Reine et qui m’attends dans un endroi de
rêve. Cherché pas le corps, vous le trouverez pas et si vous voulez nous
retrouvé, c’est pas la peine, sinon on dit tout a la Police.
P.S. :
Fred, tu oublira pas de cherché tes enfants chez Mamy Reine parce que on va mener
la belle vie avec ta femme et on veux pas avoir les gosses dans les pâtes et puis c’est aussi les tiens, faut que t’assume.
Adieu. »
Je me souviens maintenant ! Le
double, c’est le gosse qui l’a jeté dans les WC quand il était bébé ! Sale
môme, il va voir ce qu’il va voir quand j’irai le chercher !