J'écris. Pour un blog littéraire, il vaut mieux. J'écris de tout, pour les jeunes, les moins jeunes, des nouvelles, du théâtre, de l'humour et mes humeurs. La liste des courses, alors que d'autres dressent la liste de leurs envies... Mais je vous l'épargnerai ! La liste des courses, je veux dire. Donc, bonjour et bienvenue sur "Ah, vous écrivez ?" mon blog littéraire.
Bonne lecture et n'hésitez pas à laisser vos commentaires, sincères mais courtois !

vendredi 4 mai 2012

Un mort encombrant


Un mort qui saigne sur un tapis blanc hautes mèches, ça fait désordre. Aussi, avec Nico on s’est dit : « Faut l’enlever de là. » Facile de le porter à deux, surtout qu’il était pas bien épais notre macchabée. Mais voilà, on allait le mettre où ?
Déjà, le transporter jusqu’au coffre de la bagnole, ça a pas été facile. Il gouttait sur le parquet, tellement qu’on aurait pu nous suivre à la trace ! Arrivé à la porte du salon, on s’est dit que c’était pas la bonne solution. Alors on a fait demi-tour. Et une deuxième trainée rouge sur le sol, parallèle à la première. On a reposé le corps sur le tapis blanc, on s’est redressé, on s’est regardé. On a pensé la même chose. On a enroulé le bonhomme dans les hautes mèches, on a scotché les bords avec un rouleau pour les colis qu’on a trouvé dans un tiroir et on est reparti en sens inverse. Bien sûr, il a fallu nettoyer le sang répandu par terre et puis le vide laissé par la carpette faisait un peu bizarre mais on n’avait pas vraiment le temps de s’attacher à des détails pareils.
Là, je me suis félicité d’avoir acheté un break. Il y a de la place, on peut mettre des choses encombrantes, pour le mort c’était l’idéal. Surtout que j’ai eu 11% de rabais parce que je l’ai acheté comptant, le break. Une affaire… Bref, en lui pliant un peu les jambes, il rentrait pile, on n’a même pas eu besoin de rabattre les sièges arrière. C’est Nico qui a pris le volant. Il a calé trois fois avant de desserrer le frein à main qui l’empêchait de démarrer. Je sais pas trop où il a la tête le Nico, des fois. Mais moi, fallait que je réfléchisse et quand je conduis je peux pas. Martine et les gosses étaient partis depuis deux jours chez Mamie Reine. C’était donc chez moi que le cadavre attendrait qu’on le transporte dans un autre lieu. Parce que là, tout de suite, à minuit passé, pas le temps de trouver un endroit sûr. En attendant, la remise au fond du jardin ferait l’affaire. De toute façon, personne n’y mettait plus les pieds dans cette cahute. Trop de bazar. Le jardinage, passé l’engouement des débuts, ça n’avait jamais été mon truc.
C’est drôle mais le corps nous a paru plus lourd qu’au départ, quand on a voulu le sortir de la voiture et le transférer dans la cabane. On suait comme des bœufs de labour et j’ai bien été content quand ça a été fini ! Derrière les sacs de ciment périmés, ceux de vieux terreau et les outils cassés, on voyait rien de rien ! Ah, comme j’ai apprécié la blonde qui me coulait, fraiche, dans le gosier… Nico il a rien voulu boire pourtant il avait autant transpiré que moi, les gouttes lui dégoulinaient encore le long des joues. Je l’ai trouvé bien pâlot et tout silencieux.
—Oh, Nico, détends-toi, il risque rien le macchabée, là où il est ! Martine revient que samedi prochain, ça nous laisse six jours pour le déplacer, c’est suffisant ! Et puis, j’ai une idée…

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—Fred… Fred, j’ai des remords…  
Je regarde Nico. Il se ronge les ongles depuis une heure et je vois bien qu’il est pas dans son assiette. Pourtant, ça s’annonçait sympa ce soir. Deux potes devant un match de foot, sans les gonzesses, avec pizza et bière à volonté ! Mais non, faut que le Nico il nous gâche la soirée !
—C’est vrai quoi, on n’était pas obligé de le dézinguer, le Francis, on pouvait discuter…
Je soupire. Discuter, discuter, il voulait rien comprendre ! On aurait pu discuter jusqu’au lendemain que ça aurait rien changé ! Faut que Nico, il  l’admette ça. Et puis de toute façon, c’est fait alors ça sert plus à grand-chose de se poser ce genre de questions… Moi j’aime pas quand on se triture le cerveau pour rien. Faut penser utile, c’est ça qu’il faut. Et puis au moins, on n’a plus de soucis avec Francis.
—Pourquoi t’aurais des remords ? Il l’a cherché, non ? Il avait qu’à cracher le morceau tout de suite. Puis d’abord, faut jamais revenir sur ce qui est fait. C’est du passé.
—Oui mais il a même pas parlé ! On est pas plus avancé qu’avant puisqu’il nous a pas dit où il avait mis son magot !
Il a pas tort. C’est vrai que Francis a pas lâché l’info. Il aurait fallu le torturer, juste assez pour qu’il crache au bassinet… Mais seulement, Nico c’est une petite nature, il aime pas la violence alors c’est toujours moi qui m’y colle et parfois, je m’énerve, alors voilà, le coup est parti tout seul. Il est mort avant que je réalise.
—Ouais bon, on aura qu’à fouiller sa baraque, maintenant qu’il y a plus personne… On la trouvera sa fichue cachette, c’est moi qui te le dis !
—Et quand c’est qu’on le trimballe ailleurs le cadavre ?
—Après-demain, les ouvriers du chantier coulent la dalle du gymnase. Ils vont faire ça vers dix sept heures à peu près mais le béton ça prend pas trop vite, alors dès qu’il fait assez sombre, nous on y va et on balance le macchab dans la purée ! Ni vu ni connu !
C’est mon idée et j’avoue que j’en suis fier… C’est pas Nico qui l’aurait eue celle-là ! Lui, à part avoir les jetons pour tout et pour rien… Si j’avais pas eu besoin de lui pour l’alibi, j’aurais fait cavalier seul, un vrai tocard ce Nico ! Seulement quand je dirai que j’ai passé la soirée chez lui et que sa dulcinée elle pourra confirmer, même si elle s’est couchée avant nous, on me fichera la paix. C’est que faut que je fasse gaffe, avec mon casier… Sandrine, elle s’est même levée pour aller pisser et elle m’a vu prendre une bière dans le frigo, une chance ! Elle sait même pas qu’on venait tout juste de rentrer et que le corps de Francis était bien au chaud dans ma remise, deux cent mètres plus loin… Il y est toujours d’ailleurs, j’ai vérifié en arrivant. La petite cabane au fond du jardin, c’est une idée super et c’est moi qui l’ai eue. 

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—Fred ! Freeeedddd !!! Le mort… le  le  le mort !!! Il, il a disparu !!!!                      
Allons bon, qu’est-ce qu’il a encore inventé, le Nico ? Un macchabée refroidi depuis quatre jours, plus froid que chez Picard, qui se fait la malle au beau milieu de la nuit ? N’importe quoi !
—Fred, Fred… mais viens voir ! Il a disparu, je te dis !
Nico a la voix aigüe et qui tremble, comme quand on va pleurer. Je lève la tête. Décomposé, le mec, blanc comme ma chemise, enfin comme ma chemise était ce matin. Je sens que je vais être obligé de laisser tomber l’aménagement du coffre du break. Pourtant faut bien le protéger, j’ai pas envie de dégueulasser le tapis de sol avec le sang de Francis ! J’ai trouvé un rouleau de plastique épais, bien souple, dans lequel on va pouvoir enrouler le corps avant de le balancer dans le ciment. Tout ça est aux petits oignons ! Nico me tire par la manche.
—Ouais, ouais, j’arrive…  Je fais, agacé.
Franchement, il est trop nerveux, ce mec. La porte de la remise est grande ouverte et les sacs de terreau trainent partout. J’aime pas le désordre.
—Non, Nico, là t’es pas sérieux ! Tu laisses tout dans le passage, t’aurais pu ranger un peu.
—Mais on s’en fout de ça bordel, je te dis que le cadavre a disparu !  Le Francis s’est barré ! Oh, je le savais que ça allait mal tourner, je le savais…  Mais qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?
Il m’agace, mais il m’agace…  Il se tord les mains comme un possédé, manquerait plus qu’il chiale ma parole ! Bon allez, Fred, t’énerve pas et va voir dans la cabane, si ça peut le calmer…
Bon sang ! Mais c’est qu’il a raison, le couillon ! Le tapis hautes mèches est plus là ! Envolé, avec le mort dedans… Mais bon sang, comment c’est possible ? J’avale ma salive sans arrêt, j’ai le gosier tellement sec que même une barrique de bière pourrait pas le rafraichir. Et mon cœur, mon cœur, j’ai pas le souvenir qu’il ait battu si vite ! J’arrive pas à réfléchir…
—Fred, j’ai peur, j’ai vachement peur, ça sent mauvais tout ça, on fait quoi, dis, on fait quoi ? Mais où qu’il est le Francis ?
Nico hulule comme une vieille chouette, ça me casse la tête, j’arrive pas à réfléchir bon sang !
—Tu vas te taire ou je t’assomme avec la batte de base-ball du gamin ?            
Fred, reprends-toi, calme-toi. Je ferme les yeux et je fais la respiration du petit chien, comme les femmes enceintes. Parait que ça détend. Et puis je me dis que Francis, il a pas pu partir tout seul, c’est pas possible. Alors si c’est pas possible qu’il soit parti tout seul, c’est que…
—Nico, y a quelqu’un qu’a pris le corps. 
—Hein ??!! Mais… mais, mais…
—Forcément ! On n’a jamais vu un cadavre s’en aller comme ça,  quelqu’un l’a volé. Il a dû nous voir quand on l’a caché.
—C’est qui ?
—Mais comment tu veux que je sache, bon sang ? Faut tout ranger, on y verra plus clair.
Alors j’ai remis le bazar dans la cabane, tout comme c’était avant et j’ai demandé la clef à Nico pour fermer le cadenas.
—Ben, je l’ai pas la clef, c’est pas moi qu’a ouvert, c’était déjà ouvert… Je croyais que c’était toi…
Et moi, je crois que je vais faire une attaque. A part moi, il y a qu’une personne qui sait où elle est rangée la clef de la remise. C’est Martine, ma femme. Et Martine, elle est pas là. Je cours jusqu’à la maison, Nico sur les talons. J’entends sa respiration dans mon dos. Faut qu’il arrête de fumer, Nico.
C’est bien ce que je pensais, le pot en terre cuite de la tante Henriette est vide.
—Mais… t’as pas un double ?
—Nico, la ferme !!! Tu parleras quand tu…
Eh ! Mais oui, tous les cadenas sont vendus avec deux clefs ! Je cherche partout, du coup, je vais bien finir par trouver ! Le cendrier en coquillage… les tiroirs du buffet de la cuisine… la boite à bijoux de la gamine… qu’est-ce qu’elle fout là, d’ailleurs ? Ces gosses qui rangent jamais rien ! Et ça, qu’est-ce que c’est ? Même le courrier qui traine ! Mais…
—Nico, ta Sandrine, elle écrit des lettres à ma femme alors qu’on habite à deux cent mètres ? C’est quoi ce délire ?
—Hein ?? Qu’est ce tu racontes ? T’es fou ? Ah ben ouais, c’est sa signature… Ben lis !
« Cher Nico et cher Fred,
C’est Sandrine qui écrie. Je sait que Nico et toi vous avez trucidé Francis pour son fric qu’il a gagné avec l’assurence-vie de Marion .C’est pas bien. Faut pas tué les gens, c’est monsieur le curé qui le dis. Mais c’est encore plus mal de caché le corps et de rien nous dire, à  Martine et a moi, ça, c’est moi qui le dis.  Vous voulez pas partagé, c’est ça ? Faut dire que depuis long temps vous partagez plus avec nous et faut bien le dire, vous etes un vrai pois pour nous. Alors avec Martine, on a décider de prendre le pognon, de faire disparaitre le cadavre  et de se tiré. Moi je le savait ou qu’il cachais son argent, Francis parce que tu vois Nico, Francis et moi on été comme qui dirait ensemble. Et on voulai partir tous les deux. Mais comme vous lavé tué avec Fred, ben au moins j’aurai pas tout perdu, j’aurai le mago. Je pars avec Martine (c’est elle qui ma dis ou été la clé ) qui es parti de chez mamy Reine et qui m’attends dans un endroi de rêve. Cherché pas le corps, vous le trouverez pas et si vous voulez nous retrouvé, c’est pas la peine, sinon on dit tout a la Police.
P.S. : Fred, tu oublira pas de cherché tes enfants chez Mamy Reine parce que on va mener la belle vie avec ta femme et on veux pas avoir les gosses dans les pâtes  et puis c’est aussi les tiens, faut que t’assume. Adieu. »
Je me souviens maintenant ! Le double, c’est le gosse qui l’a jeté dans les WC quand il était bébé ! Sale môme, il va voir ce qu’il va voir quand j’irai le chercher !

Un vieux canapé


Affalé sur le vieux canapé qui trône désormais dans mon bureau, je sens les ressorts triturer le bas de mon dos. Avachi, son tissu bleu indigo délavé, il ne ressemble plus à rien mais on l’a gardé. Quand on prend de l’âge, on devient bête, on fait du sentiment pour des vieilleries. Mon bureau n’avait pas vraiment besoin d’un canapé, je n’y reçois pas de clients. Heureusement pour eux, s’ils avaient dû supporter son inconfort !
Mais Claire avait insisté, il lui rappelle tant de bons souvenirs ! Il est vrai qu’il en a connu des aventures, le vieux sofa !
 Il avait été notre premier « vrai » meuble à nous, celui que nous avions acquis grâce à notre première paie. Le reste des pièces avaient été meublées par belle-maman et la débauche de vert, de jaune et d’orangé qu’elle avait imposé dans le salon nous avait incités à choisir une couleur plus neutre. La première chose qu’elle trouva à dire fut : « Il jure avec le reste, ce divan ! » Eh oui, belle-maman, c’est fait exprès ! Je me souviens avoir répondu : « Et encore, je préférais le violet, c’est Claire qui n’a pas voulu. » Le comble du mauvais goût fut atteint le jour de la pendaison de crémaillère, lorsque Franck, mon meilleur ami, arriva les bras chargés de coussins rouge vif, pour, affirma-t-il, « égayer un peu ton canapé ». Un irrésistible fou rire nous avait secoués, ma femme et moi, amplifié par l’air ahuri du pauvre Franck qui demandait sans cesse : « Ben quoi, qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que j’ai fait ? »  On a disposé les coussins et ça faisait très bien ! Et puis c’était confortable, douillet. Lovés ensemble devant nos séries télé préférées ou enlacés pour des ébats amoureux, le canapé et ses petits oreillers moelleux nous accueillait toujours avec générosité. Il eut à affronter les apéros renversés, les chips écrasées, les griffes du chien puis, plus tard, les régurgitations enfantines, les menottes poisseuses, les pipis involontaires de l’apprentissage de la propreté. Plus tard encore, les gueules de bois adolescentes et les bulles de champagne  des soirs de diplôme… Et puis un jour, fatigué, il a été relégué dans ce bureau par un remplaçant en cuir beige. On ne prend plus guère d’apéro, le chien est mort et les enfants partis vivre leur vie ailleurs.
De temps en temps, lorsque la nostalgie m’étreint, je m’y assois et je laisse mes souvenirs remonter à la mémoire, tout doucement… Que reste-t-il de cette époque ? Plus grand-chose. La vie a fui et à l’image de ce vieux meuble, les êtres se sont avachis, étiolés. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi ? Et pourquoi garder ce témoin vivant de notre déchéance ? C’est Claire qui, une fois de plus, a choisi le nouveau canapé. Qui a décidé de garder l’autre, de me le refiler… Comme jadis sa mère, elle a meublé le studio de notre fils, s’apprête à faire de même pour notre fille. Elle a aussi tout redécoré chez nous. Je n’ai rien choisi. Jamais.  Même la couleur du vieux canapé, c’était déjà Claire. Les ressorts agressifs me meurtrissent les reins. Et soudain il me prend des envies de tout bazarder, le canapé épuisé, ma vie trop vite enfuie, Claire et ses décisions… Moi, du ressort j’en ai encore un peu, c’est maintenant ou jamais et en premier lieu, remettre la main sur le planning de passage des encombrants…