Mais Claire avait insisté, il lui
rappelle tant de bons souvenirs ! Il est vrai qu’il en a connu des
aventures, le vieux sofa !
Il avait été notre premier « vrai »
meuble à nous, celui que nous avions acquis grâce à notre première paie. Le
reste des pièces avaient été meublées par belle-maman et la débauche de vert,
de jaune et d’orangé qu’elle avait imposé dans le salon nous avait incités à
choisir une couleur plus neutre. La première chose qu’elle trouva à dire
fut : « Il jure avec le reste, ce divan ! » Eh oui,
belle-maman, c’est fait exprès ! Je me souviens avoir répondu :
« Et encore, je préférais le violet, c’est Claire qui n’a pas
voulu. » Le comble du mauvais goût fut atteint le jour de la pendaison de
crémaillère, lorsque Franck, mon meilleur ami, arriva les bras chargés de
coussins rouge vif, pour, affirma-t-il, « égayer un peu ton canapé ».
Un irrésistible fou rire nous avait secoués, ma femme et moi, amplifié par
l’air ahuri du pauvre Franck qui demandait sans cesse : « Ben
quoi, qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce que j’ai fait ? » On a disposé les coussins et ça faisait très
bien ! Et puis c’était confortable, douillet. Lovés ensemble devant nos
séries télé préférées ou enlacés pour des ébats amoureux, le canapé et ses
petits oreillers moelleux nous accueillait toujours avec générosité. Il eut à
affronter les apéros renversés, les chips écrasées, les griffes du chien puis,
plus tard, les régurgitations enfantines, les menottes poisseuses, les pipis
involontaires de l’apprentissage de la propreté. Plus tard encore, les gueules
de bois adolescentes et les bulles de champagne
des soirs de diplôme… Et puis un jour, fatigué, il a été relégué dans ce
bureau par un remplaçant en cuir beige. On ne prend plus guère d’apéro, le
chien est mort et les enfants partis vivre leur vie ailleurs.
De temps en temps, lorsque la
nostalgie m’étreint, je m’y assois et je laisse mes souvenirs remonter à la
mémoire, tout doucement… Que reste-t-il de cette époque ? Plus
grand-chose. La vie a fui et à l’image de ce vieux meuble, les êtres se sont
avachis, étiolés. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi ? Et
pourquoi garder ce témoin vivant de notre déchéance ? C’est Claire qui,
une fois de plus, a choisi le nouveau canapé. Qui a décidé de garder l’autre,
de me le refiler… Comme jadis sa mère, elle a meublé le studio de notre fils,
s’apprête à faire de même pour notre fille. Elle a aussi tout redécoré chez
nous. Je n’ai rien choisi. Jamais. Même
la couleur du vieux canapé, c’était déjà Claire. Les ressorts agressifs me
meurtrissent les reins. Et soudain il me prend des envies de tout bazarder, le
canapé épuisé, ma vie trop vite enfuie, Claire et ses décisions… Moi, du
ressort j’en ai encore un peu, c’est maintenant ou jamais et en premier lieu,
remettre la main sur le planning de passage des encombrants…
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