« 5, 4, 3, 2, 1 … c’est ça l’ordre décroissant ! Du plus grand au plus petit. Tu comprends maintenant ? Et si tu comptes du plus petit au plus grand, c’est l’ordre croissant. »
Thomas s’efforçait d’expliquer sa leçon à un Félix de 8 ans apathique. Le gamin le fixait d’un regard morne, la bouche entrouverte, complètement déconnecté des réalités mathématiques du moment.
Le jeune homme soupira. Qu’est-ce qui pouvait bien se passer dans le crâne de ce gosse ? Quel désordre régnait donc dans les méandres de son cerveau pour qu’il ait autant de mal à assimiler des notions aussi basiques ?
—Une vrai buse ce Félix ! Tu peux pas imaginer… c’est la première fois que j’ai un gamin aussi peu doué ! avait-il dit à Claire, sa petite amie.
Elle avait souri. C’était ça les cours particuliers, on ne savait jamais d’avance sur qui on tombait… Et puis au moins, cet enfant avait vraiment besoin de lui, pas comme tant d’autres qui, victimes des ambitions scolaires toujours plus grandes de leurs parents, subissaient des cours dont ils n’avaient nul besoin.
—Et puis quoi, ça paie tes études !
Claire démontrait une fois de plus son pragmatisme. Mais Thomas voulait faire progresser Félix, l’échec qu’il vivait avec l’enfant le contrariait. Alors il cherchait des méthodes, des techniques, des astuces… en vain. Il avait même confectionné cinq cartes sur lesquelles il avait dessiné : 5 fleurs, 4 oiseaux, 3 maisons, 2 bonshommes, 1 voiture. Et il montrait à son élève que les objets diminuaient, qu’ils allaient décroissant… Félix contempla les cartes et demanda :
—Pourquoi tu leur as fait les ailes comme ça, à tes oiseaux ? Les oiseaux ça n’a pas les ailes comme ça…
Thomas se sentait impuissant. Le combat était perdu d’avance. Il finissait par se demander si le charmant bambin n’était pas déficient mental…
Ce mercredi soir-là, il arriva en retard pour la leçon du petit. Félix lisait en l’attendant. Un peu agacé par le silence du gamin, Thomas s’apprêtait à le rappeler à l’ordre lorsqu’il vit le titre de l’ouvrage qu’il feuilletait : « Les planches du Dictionnaire Universel d’Histoire Naturelle de Charles d’Orbigny. Portraits d’animaux. » Un oiseau au plumage coloré, s’étalait sur une page. La précision du trait, les détails techniques étaient remarquablement bien rendus.
—C’est un Ara rouge, ou Ara Macao. Il mesure entre 90 et 120cm et peut vivre jusqu’à 75 ans.
L’enfant parlait posément, le regard levé vers l’étudiant.
—Il y a aussi l’ara chloroptère qui a du vert dans son plumage à la place du jaune et l’ara hyacinthe, mais celui-là, c’est son ennemi, ils mangent tous les deux la même chose, alors…
Félix haussa les épaules, referma le livre et se dirigea vers le bureau sur lequel reposait son cahier. Il s’agenouilla sur une chaise et attendit. Thomas demanda :
—Tu as fait les exercices que je t’avais donnés sur les nombres croissants ?
L’enfant fit la grimace, le regard de biais.
—Mon cousin Jérôme, il m’a montré des trucs plus marrants, des zék… des zék… je sais plus le nom.
Il ouvrit son cahier et pointa le doigt sur un calcul : 4x – 5 = 2x + 1
Une équation ! Thomas louchait sur les chiffres, ébahi.
—J’ai calculé : x = 3. Je préfère ça que tes croissants. Tu savais que les aras rouges mangeaient des bananes ? Et même des noix de coco !
Jolie histoire ! Cela montre qu'on peut faire des choses plus compliquées (même en maths)quand on s'intéresse vraiment.
RépondreSupprimerCela faisait un bout de temps que je n'étais pas venue me promener du côté de tes écrits... Je viens de survoler (et lire : je suis championne de la diagonale) les quelques nouvelles et brèves dont je n'avais pas eu le loisir d'apprécier les petites touches d'humour, pourtant bien agréables à découvrir. Ta plus récente histoire m'a fait souvenir du jeune étudiant qui donnait des cours à mon fils et qui devait juguler la passion communicante d'Anselme pour les poissons. Par contre, mon blondinet ne m'a pas fait le coup de l'équation, mais je ne désespère pas, il est des déclics tardifs ! Quant à l'étudiant, lui, je suis sûre qu'il est incollable sur la population des rivières et des abysses... ^_^
RépondreSupprimerJ'ai été une nullité absolue en math jusqu'au BEPC. Dernier de la classe en cette matière, j'aurais pu désespérer Thomas. Car pour moi non plus les cours particuliers n'ont rien changé. Et puis, en seconde, miracle (enfin presque). De dernier je passais dans le trio de tête. Que s'est-il passé ? Un autre professeur, d'autres mots et les connexions qui se sont enclenchées...
RépondreSupprimerMerci pour tes écrits qui sont toujours aussi agréables à lire.
Pierre
Les choses les plus simples sont parfois les plus difficiles à assimiler !
RépondreSupprimerJ'aime ce texte.
Amitiés
Anne