Elle aime le rouge. Les roses, la
colère et la tyrannie, le sang. Elle, c’est ma femme, la Dame de cœur.
« Qu’on lui coupe la tête ! » est sa phrase préférée. Elle veut
et elle exige et le peuple obtempère, tétanisé. Ses désirs sont des ordres et nul
ne s’avise de la contredire, sous peine de mort. Moi ? On ne m’écoute pas,
je ne suis que le Roi de trèfle, le pauvre nigaud qui a, un jour de printemps,
épousé celle qu’elle n’était pas encore, la dame qui lui a donné son cœur. La
douce qui cultivait son jardin et voulait éradiquer les épines des roses. Mais
les épines ont gagné et ont éradiqué sa douceur, ne laissant derrière elles que
des égratignures. Alors, je joue aux cartes. Je marie les couleurs, je crée des
couples avec des doubles, huit de carreau avec huit de cœur, dix de trèfle avec
dix de pique. Mais le valet de pique et le valet de trèfle ne s’entendent pas.
« Je ne veux pas d’un pouilleux ! » s’exclame ce dernier. Dès
lors, le divorce est consommé et celui qui héritera du valet de pique en mariage
sera torturé. Impitoyablement. C’est la Dame de cœur qui l’a décidé. Aurais-je
dû choisir le Roi de pique comme compagnon ? Mais le pique pique, comme le
cœur coupe. Et je saigne. Pas moyen de sortir de ce jeu de cartes ! Assis
sur mon trône, je joue nuit et jour, contre moi-même. Elle, elle coupe des
têtes. Un jour… un jour peut-être, ce jeu à sens unique cessera et la
circulation à double-sens reprendra. Pour l’instant, mon double est prisonnier
de ce miroir dans lequel je m’affronte, je me confronte. J’ai décidé de passer
de l’autre côté, de le rejoindre enfin. Les éclats luisent sur ma main, sur mon
bras, sur tout mon corps meurtri. Rouge. Rouge sang. Comme elle aime. Et qu’on
me coupe la tête…
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