« La première fois que je l’ai vue, elle ne m’a pas fait une forte
impression. J’avais cependant remarqué la finesse de ses chevilles et ses longs
cheveux bruns. Je me suis dit qu’ils allaient bien avec son prénom. Pour moi,
une Constance ne peut pas être blonde. Question de sonorité. Dès la deuxième
coupe de champagne, elle riait comme une petite fille, en éclats cristallins
qui éclataient comme les bulles de son breuvage. Je crois que c’est à ce moment
que je suis tombé amoureux. De son rire tout d’abord, puis d’elle tout entière
ensuite. Amoureux fou.
Rien n’était trop beau pour elle. C’était facile pour moi, j’avais gagné
au loto une somme pour laquelle il m’aurait fallu trimer plusieurs vies avant
de la rassembler. Mon salaire d’enseignant faisait pâle figure à côté. J’avais
quitté la profession. Les élèves ne me manquaient pas. A la place, je gérais
les conflits sociaux et les dividendes que me rapportait le groupe de presse
que j’avais racheté. Quoiqu’en injectant de l’argent frais dans une entreprise
au bord de la faillite, j’avais calmé bien des ardeurs syndicalistes. Et
garanti les emplois menacés. Au fil du temps, j’ai même développé l’activité,
plus florissante que jamais aujourd’hui. Au passage, je me suis octroyé la
rédaction en chef du nouveau magazine littéraire. J’ai toujours rêvé d’écrire. Et
puis quand tout cela m’ennuyait, je déléguais et je partais, aux Maldives, à
l’Ile Maurice ou ailleurs, là où mon inspiration du moment me poussait. Je
pouvais le faire. Parfois, je devais me le répéter pour en être bien sûr :
« Tu peux le faire, tu as l’argent, tu es riche ».
Ça, Constance l’avait bien compris, et plus vite que moi. Elle profitait
de mes largesses avec spontanéité et innocence, comme une petite fille à qui
l’on offre des cadeaux. Sans complexe. Au fond, ça ne me dérangeait pas, je
l’ai dit j’étais fou amoureux, et puis même en vivant sans compter, je pouvais
encore assurer la vie entière de plusieurs héritiers, si j’en avais eu, et l’appétit
vorace du fisc. Les bijoux, les voyages, les spectacles, les appartements, les
vêtements de luxe, je ne lui refusais rien. Pourquoi l’aurais-je fait, puisque
je pouvais lui offrir tout cela ? Son sourire enfantin et son rire en
cascade me payaient en retour.
Pourtant, quelque chose me tracassait. Constance préférait souvent
profiter de tout cela sans moi. Elle allait au spectacle avec ses amies,
partait en voyage avec elles. Elle s’éloignait, se détachait inexorablement.
Jusqu’au jour où j’appris, par hasard, qu’elle me trompait. Constance avait un
amant ! Un petit écrivaillon à deux balles qui venait de faire un petit
succès d’estime dans une petite maison d’édition. Ma petite vie éclatait. Je
fis une scène épouvantable à Constance et lorsque j’eus fini ma diatribe, un
rire de cristal, moqueur et léger s’échappa de la bouche en cœur de la garce.
Un rire de petite fille qui a cassé son jouet et en réclame un autre, jetant
l’ancien à la poubelle comme un vulgaire yaourt périmé. Mon sang n’a fait qu’un
tour. Je l’ai giflé à toute volée. Sa tête a heurté le rebord de la table en
marbre. C’est quand j’ai vu le filet rouge au coin de ses lèvres que j’ai
compris.
Et vous savez quoi, Maître ? Ce qui me manque le plus, c’est son
rire, son rire d’enfant espiègle, ce rire qui avait su si bien m’embobiner. »
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