J'écris. Pour un blog littéraire, il vaut mieux. J'écris de tout, pour les jeunes, les moins jeunes, des nouvelles, du théâtre, de l'humour et mes humeurs. La liste des courses, alors que d'autres dressent la liste de leurs envies... Mais je vous l'épargnerai ! La liste des courses, je veux dire. Donc, bonjour et bienvenue sur "Ah, vous écrivez ?" mon blog littéraire.
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dimanche 13 juin 2010

Joyeux anniversaire !

Le vingt huit juin, un peu avant midi, il m’est arrivé une chose incroyable, que je ne suis pas prêt d’oublier : je suis mort ! Oui, mort ! Laissez-moi donc vous raconter.
Nos invités, Franck, Julie et Nono allaient bientôt arriver. Le tajine mijotait sur le feu, l’apéritif était installé sur la table basse et je mettais la dernière main à l’entrée. Ma spécialité, les petits choux au fromage. Alignés sur la tôle beurrée, ils attendaient le dernier moment pour être enfournés. Je commençais à nettoyer la salade lorsque Maria entra dans la cuisine.
—Chéri, tu as bientôt fini ? Il faudrait installer la table au jardin.
—Une petite seconde, mon amour, je finis de préparer la verdure et j’y vais !
—Oui, mais fais vite, ils vont être là d’un instant à l’autre et tu n’as pas encore dressé la table !
Agacé, je pensai : « Tu peux peut-être le faire, toi ! » Mais je savais bien que Maria attendrait que j’aie terminé, plutôt que de mettre la main à la pâte. Maria adore donner des ordres. Maria n’aime pas aider. Je m’abstins toutefois de faire la moindre réflexion. Maria est très susceptible.
Je poussai un bref soupir et m’essuyai sommairement les mains. Je me retournai. Dans ma précipitation, je heurtai le robot ménager qui bascula du plan de travail. Alors, tout s’enchaîna. Par réflexe je voulus rattraper l’appareil mais ne réussis qu’à agripper le cordon électrique. Celui-ci était endommagé : mes mains humides se retrouvèrent au contact des fils dénudés que je n’avais jamais pris le temps de rafistoler ! Or, le maudit appareil était branché … Une terrible douleur me traversa et la secousse qui suivit me projeta violemment au sol. Un silence opaque m’enveloppait. J’avais l’impression d’avoir le corps entier dans du coton. Puis, peu à peu des sons apparurent : le pépiement d’un oiseau, le souffle du vent, une tondeuse lointaine … Soudain, un hurlement domina l’ensemble. Je reconnus la voix de Maria. Sans doute attirée par le bruit de chute du robot, elle venait de me découvrir à terre. Le cri aigu s’étrangla dans sa gorge. Elle se jeta sur moi, me secoua, hurla mon nom. Ankylosé, je ne pouvais réagir. Elle sanglotait et l’expression d’horreur sur son visage ne me laissa aucun doute : je venais bel et bien de passer de vie à trépas en quelques secondes !

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Il y a maintenant six ans que Maria est veuve. Depuis, tous les vingt huit juin, Franck, Julie et Nono se joignent à elle pour commémorer le triste événement. Au début, je me disais que c’était un peu macabre, tout ça et que Maria n’était vraiment pas obligée de se livrer à ce morbide anniversaire. Seulement voilà, il se trouve que j’en bénéficie et je dois dire que ça ne me déplait pas. Parce que, voyez-vous, le jardin d’Eden est fort agréable, là n’est pas la question, nous avons tout ce que nous voulons, nous sommes vraiment gâtés, mais il faut reconnaître une chose : à la longue, l’éternité, c’est un peu monotone ! Et puis, Dieu que c'est long ! Sur mon insistance, St Pierre m’a autorisé à redescendre sur terre tous les vingt huit juin — invisible, bien sûr — afin de prendre part aux retrouvailles. Je suis aux anges (si je puis dire !) d’autant que Maria a poussé le recueillement jusqu’à présenter le même menu que le jour fatal. Moment d’émotion, j’écrase une petite larme échappée …
Mais au fil des ans, l’atmosphère change, s’allège, la tristesse s’atténue, la gaieté gagne du terrain. Un changement subtil qui me chagrine. Certes vous me direz — je vous entends d’ici — six ans, ça fait beaucoup, il faut bien qu’elle retrouve un peu de joie de vivre, la pauvre ! Oui, sauf que six ans, au regard de l’éternité, c’est rien du tout ! Et moi, ça me chamboule de la voir rire avec les copains !
Aujourd’hui, la conversation concerne le tajine. Maria a oublié les oignons ! Pff… De mon vivant, c’était moi qui cuisinais. J’aimais ça et j’étais un sacré cordon bleu ! Maria n’a jamais voulu s’y mettre. Entre parenthèses, c’était moi aussi qui faisais les courses et le ménage ! Maria n’a jamais aimé. A ma mort elle a bien été obligée pour la cuisine, mais il faut reconnaître que ce n’est pas une réussite ! Oublier les oignons dans le tajine ! Et Nono qui lui dit que ce n’est pas grave ! Comment pourra-t-elle progresser ? Julie demande dans quel tajine on met des pruneaux. Nono explique. Tiens, j’ignorais qu’il savait cuisiner celui-là ! Nous n’avons jamais parlé gastronomie ensemble … C’est drôle comme je redécouvre mes amis depuis mon décès !
Maria écoute Nono religieusement. Je dirais même qu’elle le dévore des yeux. Je ne me souviens pas qu’elle m’ait jamais regardé de cette façon … Mais… je rêve ? Nono aussi la mange du regard ! Maria et Nono ? Nooooon, pas possible ! Ça ne va pas du tout ! Il faut que les choses restent ce qu’elles ont toujours été. Et que tous les vingt huit juin, le repas soit comme d’habitude, et avec moi dans le rôle du mari ! Oui, bon, je sais, je suis mort, et Maria n’a jamais été l’épouse idéale. Je m’en suis souvent plaint : autoritaire, paresseuse, futile … Mais c’était la mienne ! « Ma » femme ! Il n’est pas question qu’elle devienne celle de Nono !
Le repas tire à sa fin. Le dessert fait son apparition. Mais… j’hallucine ? Un clafoutis ! Fait maison, avec les cerises du jardin ! « Mes » cerises ? Oh non, pas ça ! Pas « mes » cerises ! Alors Nono va tout s’approprier, « ma » femme et « mes » cerises ! Là, c’en est trop, je sens la colère bouillonner dans mes veines. J’ai envie de hurler.
Dehors, de gros nuages s’amoncellent à l’horizon. L’orage menace. Un éclair zèbre le ciel. Soudain, un grondement de tonnerre retentit au dessus de nos têtes. Puis des gouttes, de grosses gouttes plates viennent s’abattre sur la table de jardin. Bientôt, une pluie lourde force Maria et ses invités à rentrer précipitamment, en emportant avec eux le clafoutis détrempé. Bien fait ! Ah, je m’amuse ! Dans la maison, la pénombre a envahi l’espace. Franck, le plus près de l’interrupteur du salon l’actionne. Rien.
—Zut, les plombs ont sauté ! Maudit orage ! Et dire qu’il faisait si beau ce matin !
—Oui, c’est embêtant ! Nono, tu veux bien aller rétablir le compteur ? Susurre
Maria. Le fond de sa voix n’admet pas une réponse négative. Je vois les dents blanches de mon ex-copain se dessiner en sourire dans l’ombre de la pièce.
—Euh … oui, j’y vais ! Et Nono se dirige vers le garage, où se trouve l’armoire électrique.
Cette vieille bicoque, nous l’avons achetée avec Maria, un an après notre union, nous l’avons retapée années après années, avec amour. C’était presque une ruine et nous en avons fait notre nid d’amour, notre « chez nous » Je n’ai pas eu le temps, hélas, de refaire le circuit électrique, défectueux depuis le début ! Dommage … Comme me le disait toujours Maria :
—Tu es d’un négligent, mon pauvre ami !

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