J'écris. Pour un blog littéraire, il vaut mieux. J'écris de tout, pour les jeunes, les moins jeunes, des nouvelles, du théâtre, de l'humour et mes humeurs. La liste des courses, alors que d'autres dressent la liste de leurs envies... Mais je vous l'épargnerai ! La liste des courses, je veux dire. Donc, bonjour et bienvenue sur "Ah, vous écrivez ?" mon blog littéraire.
Bonne lecture et n'hésitez pas à laisser vos commentaires, sincères mais courtois !

mercredi 25 septembre 2013

Evidences



Lorène, plantée comme un piquet de grève devant la bâtisse, se disait que le soleil ne changeait rien à la chose : le mur était et serait toujours aussi moche. Elle se disait aussi que la grève, elle la ferait bien si elle pouvait ! Mais dans deux heures la chaleur serait étouffante et si elle ne voulait pas succomber comme une écrevisse bouillie, il fallait qu’elle bosse. Elle sortit les sacs de gravats dans la cour et entreprit de gratter la peinture écaillée avec une spatule. Elle pensa qu’il faudrait aussi vérifier l’état de la charpente et, si besoin, prévoir l’achat de poutres supplémentaires. Elle soupira, se demandant quelle mouche l’avait piquée quand elle avait accepté ce poste. Seule sur une île au bout du monde,  à quarante ans à peine et toutes ses dents (et pas que) c’était… c’était… euh, c’était tout bonnement idiot. « Et dire qu’à Paris, les plus beaux spécimen de mecs se baladent en liberté dans les rues ! Je suis folle… » Et ce n’était pas le décor idyllique de cet endroit qui changeait quelque chose ! Une île du Pacifique, aussi belle soit-elle ne remplace pas la civilisation ! Elle travailla d’arrache-pied pendant les deux heures qui suivirent puis s’octroya une pause. Elle était en sueur et avait soif. Brusquement, elle se souvint qu’on était vendredi. C’était le jour du ravitaillement. Vers onze heures, Pedro allait arriver sur son bateau et déchargerait les victuailles nécessaires pour subsister la semaine. Ah Pedro ! Pedro ! Il était bien plus qu’un simple pourvoyeur de vivres. Il était aussi son facteur, son rapporteur de potins et nouvelles en tout genre, son ami, sa bouffée d’air ! Lorène aurait bien voulu qu’il soit encore plus que ça, mais rien à faire, elle n’était pas au goût du beau Pedro… il fallait se faire une raison. Lorène songea avec une pointe d’angoisse qu’elle n’était vraiment pas à son avantage dans ce vieux bleu élimé et sale, les cheveux relevés à la « va-comme-je-te-pousse » les mains rouges et calleuses à force de travail. De quoi faire fuir le plus aguerri des baroudeurs !  Après une douche rapide et un changement de tenue, elle s’installa à son bureau pour lire ses mails. Cet appartement, occupé précédemment par l’ancien chargé de mission, était resté dans l’état. Certains documents occupaient toujours les rayonnages de la bibliothèque. Comme cet album photo qu’elle avait remarqué depuis déjà longtemps et qu’elle mourait d’envie de regarder. Mais s’il appartenait à son collègue, elle serait bien indiscrète de le consulter ! Oh, et puis après tout, s’il l’avait laissé là, c’est qu’il ne comptait pas beaucoup pour lui ! La curiosité fut la plus forte et Lorène se décida à aller le chercher et à l’ouvrir... Des photos d’enfants jouant sur le sable ou plongeant dans les vagues se succédaient au fil des pages. Une jeune femme aussi, belle, grande, blonde, souriante… Un vrai cliché de pub pour du gel douche ou du shampooing ! Le genre à faire tourner en bourrique tous les hommes ! Lorène détestait évidemment ce type de nana… Sur l’une des photos, elle reconnut son collègue. Il s’agissait donc bien de son album, probablement oublié là lorsqu’il était rentré à Paris à la fin de sa mission. Elle le referma et le reposa sur l’étagère.
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Á Paris, la pluie noyait dans le gris les rues encombrées. Nathalie, concentrée devant son ordinateur, rédigeait son texte. Elle avait pris du retard et devait mettre les bouchées doubles pour rendre son rapport à son patron le soir même. Au bout d’un moment elle s’étira et décida d’aller se faire un café. Elle jeta un regard à la pendule : onze heures trente. Le facteur était passé et elle descendit voir son courrier. Mais au lieu du pli urgent qu’elle attendait, ce fut une lettre à l’écriture familière qu’elle trouva dans sa boite. Elle s’installa à la table de la cuisine devant sa tasse brûlante et décacheta l’enveloppe avec rage. « Merde, cette histoire n’en finira jamais ? Pourquoi donc Philippe ne veut-il rien comprendre ? » Elle parcourut la missive à la va-vite, la chiffonna et la jeta à la poubelle.
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Sur son île toujours aussi paradisiaque mais dépourvue d’hommes intéressants, Lorène soupirait en remplissant des formulaires. Pedro était venu, elle avait longuement discuté avec lui, faute de mieux. Lorsque le bateau s’était éloigné à l’horizon, la jeune femme aurait aimé le retenir, monter à son bord et s’échapper de son lopin d’Éden. Encore trois mois… Puis elle repensa à cet album trouvé ce matin. Les photos n’avaient  pas été prises sur cette île, le décor était différent. Et puis la direction ne permettait pas que l’on vienne en mission avec femme et enfants. « Des fois que cela nous distraie de notre boulot ! » pensa Lorène. Pour elle, le problème ne s’était pas posé, sa situation de célibataire arrangeait tout le monde. Sauf elle, peut-être… «  C’est bizarre quand même, je me demande bien qui est cette blonde ? La femme de Philippe est brune de chez brune ! Une grande perche mastoc, si je me souviens bien. C’est son plan-cul ou quoi ? Avec des gosses ? Pas crédible, tout ça ! »  Soudain, un souvenir lui revint à esprit. Elle avait entendu dire que Philippe était stérile et que c’était un grand regret pour le couple de n’avoir pas d’enfants. Ces gosses sur les photos n’étaient donc pas ceux de Philippe mais ceux de la blonde. Une première épouse ? Qui aurait eu des enfants d’un premier mariage ? Beaucoup trop jeune ! Lorène ne comprenait rien à cette histoire. Avec regret et très peu d’enthousiasme, elle se plongea à nouveau dans ses documents.
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Lorsque Lorène avait débarqué à Roissy ce dimanche-là, elle en aurait presque regretté son île perdue ! « Il va falloir que je songe à m’acheter un manteau ! » avait-elle pensé aussitôt. Certes, le climat de la France était bien différent de celui de l’océan Indien, mais la jeune femme était ravie de revenir au pays. Elle reprendrait son travail de recherche, renouerait avec quelques amis et, qui sait, trouverait peut-être l’âme sœur ! Mais en attendant ce jour béni entre tous, (Alléluia !) elle s’était donnée une mission : rendre à Philippe son album photo – elle l’avait apporté avec elle - et, accessoirement – enfin, pas tant que ça - connaître le fin mot de l’histoire. Sa curiosité n’avait fait qu’amplifier durant les trois derniers mois de son séjour et elle s’était juré d’éclaircir le mystère. Cela occuperait ses loisirs… Elle commença donc par se renseigner sur son collègue. Il était marié en bonne et due forme avec sa brune épouse, mais le mariage, disait la rumeur, ne tenait qu’à un fil qu’un malencontreux coup de canif dans le contrat ne tarderait sans doute pas à sectionner. Et le bellâtre n’en était pas à son coup d’essai. Par contre, point de trace, si minime fût-elle, de marmots dans cette histoire. D’ailleurs, racontait encore la rumeur, madame avait envisagé l’adoption, mais monsieur n’était pas d’accord, il voulait des enfants « de son sang » bien que ce fût impossible ! Et si madame le décidait, elle pourrait très bientôt aller voir et adopter ailleurs ! Et donc laisser monsieur avec ses seuls yeux pour pleurer… et ses maitresses pour le consoler ! « Dans le fond, pensait Lorène, tout le monde aurait à y gagner ! » Sauf que la rumeur, encore elle, précisait que, si madame ne partait pas, c’était parce qu’elle aimait monsieur… Mais elle n’ajoutait pas, la rumeur, que la réciproque n’était pas vraie… Pas besoin, cela tout le monde le savait. Arrivée à ce stade de son enquête, Lorène ne savait plus que faire. C’était bien beau d’avoir recueilli ces renseignements, mais maintenant ? Aller voir Philippe et l’interroger tout à trac ? Il l’enverrait sur les roses en lui demandant de se mêler de ses oignons ! Ce à quoi elle pourrait répondre que c’étaient ses oignons, vu qu’il avait laissé l’album dans l’appartement de fonction, mais non, l’argument était trop faible. Et mesquin. Et… et sûrement d’autres choses que Lorène pressentait vaguement. Non, ce qu’il fallait c’était retrouver la femme de l’album, la blonde-pub-shampooing. Elle n’avait qu’un prénom, inscrit en bas d’une des photos, et une année : Nathalie, été 2009. En réfléchissant, la jeune femme en vint à la conclusion que le seul qui pourrait peut-être l’aider était Fabrice, son ex. Et aussi ami proche, à une certaine époque, de Philippe. L’idée de revoir Fabrice ne lui déplaisait pas fondamentalement et puisque c’était pour les besoins de l’enquête, Lorène retrouva vite les coordonnées du jeune homme.
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Nathalie, les bras chargés, referma la porte d’un grand coup de pied. Les enfants couraient déjà dans leur chambre, leurs manteaux abandonnés, gisant au milieu du couloir. A peine la jeune femme eut-elle déposé les paquets sur la table que la sonnerie retentit. « Zut ! Qui c’est encore ? » Elle n’avait pas envie d’être dérangée – qui en a envie ? – mais surtout elle craignait que ce fût Philippe. Lorsque la porte s’ouvrit sur Lorène, le soulagement et la surprise la rendirent muette. Elle oublia de dire bonjour. Plus tard, beaucoup plus tard, Lorène lui dirait qu’elle n’avait pas remarqué. Mais pour l’heure, une porte ouverte les séparait et aucune des deux ne bougeait. Enfin, Nathalie articula un « Entrez ! » sonore et joyeux, bien qu’incongru, car non précédé du traditionnel « Vous désirez ? ». Lorène entra et vint s’asseoir à la table de la cuisine, comme si de rien n’était. Encore plus tard que plus tard, Nathalie lui dirait que tout cela lui avait paru naturel. Simple aussi, si simple. Comme une évidence. Elles seraient assises sur le canapé, chacune un enfant sur les genoux et feuilletteraient le catalogue Ikea, en quête de mobilier pour leur nouvel appartement. Une fois de plus, elles parleraient de Philippe, de Pierre aussi, de leur ressemblance frappante : de vrais jumeaux, identiques physiquement, au point que même leur mère les confondait. Pierre, le mari de Nathalie, celui de l’album photo, le père de ses enfants. Une nouvelle fois, Nathalie raconterait l’accident, puis le décès de Pierre. L’absence. Le vide. La présence rassurante de Philippe, le beau-frère. Puis son insistance auprès d’elle et des enfants. Cette requête énorme, absurde et déplacée : remplacer le mort, devenir le nouveau papa de Paul et Julie. Pierre et lui se ressemblaient tant ! Les enfants auraient l’impression d’avoir toujours leur père et il réaliserait ainsi son rêve de paternité. Arguments massue mais auxquels Nathalie ne se rendit pas. Jamais. Malgré l’insistance lourde et répétée. Un jour, la porte s’était ouverte sur Lorène, l’évidence. Et Nathalie sut qu’elle en avait fini avec Philippe. Avec Pierre aussi, d’une certaine façon. Elle sut aussi qu’avec Lorène, tout commençait, tout était possible. Quant à cette dernière, elle calcula que six mois sur une île déserte, plus quatre mois à Paris, dont trois et demi à mener une enquête en parcourant les annuaires et les rues, plus deux étages et un ascenseur en panne, plus un manteau chaud, des bottes et un rhume, plus deux adorables bambins, deux avocats et un divorce, il fallait bien ça pour trouver une âme sœur et débuter une sacrément belle histoire d’amour !

La fée du logis



Catherine n’avait jamais tenu entre ses mains de pistolet autre que celui du spray pour les vitres. N’ayant rien trouvé d’autre et sans diplôme, elle maniait celui-ci avec brio et fatalité pour la famille Duchamp, depuis déjà deux ans. Et elle avait définitivement abandonné l’idée d’éviter les traces sur les carreaux, faute d’un produit de meilleure qualité que ses patrons refusaient de lui fournir. Elle disait souvent à sa copine Brigitte « tu peux pas savoir comme ils sont radins ! » et se débrouillait du mieux qu’elle pouvait. Les sols luisaient quand on les regardait dans un rai de soleil affaibli, la cuisine resplendissait quand on la contemplait de loin et la fine couche de poussière qui avait élu domicile sur les meubles n’était finalement… qu’une fine couche de poussière qui se réinstallait dès le passage du chiffon, lointain, très lointain cousin de la peau de chamois ! Mais qu’importait ! Catherine n’était pas malheureuse chez les Duchamp. Même si quelques réflexions désobligeantes sur son travail fusaient de loin en loin  — la moquette douteuse (l’aspirateur, vieillard souffreteux qui s’épuisait en sifflant, prêt à rendre l’âme à chaque passage, aurait mérité la retraite !) les WC  à la propreté approximative (la Javel, « la vraie », la seule, avait été remplacée par un « premier prix budget » qui, pour être premier, n’était pas d’excellence !) — elle organisait ses journées comme elle l’entendait et ses patrons n’étaient pas très regardants. Tous les jours vers seize heures quinze, elle délaissait son plumeau pour aller chercher les enfants à l’école. C’était le moment de la journée qu’elle préférait. Fini de briquer, frotter, laver, ranger ! Vive le goûter, les petits secrets et les fous rires ! Pour le plaisir de ces instants, Catherine n’aurait pour rien au monde échangé sa place. Elle adorait Tristan et Sarah comme s’ils avaient été ses propres enfants.
Imaginez alors sa stupéfaction lorsque l’arme qu’elle tenait entre ses doigts déchargea brusquement son contenu sur la chemise à carreaux de monsieur Duchamp. Un « bang » assourdissant retentit et elle ne se souvenait pas d’avoir appuyé sur la détente. Elle poussa un cri bref, qui s’amplifia quand elle découvrit l’auréole rouge qui se dessinait sur le tissu bleu. Je l’ai dit, Catherine n’était pas familière des armes à feu et sa principale qualité étant très éloignée du sang froid qu’une telle situation aurait demandé, elle se mit à hurler en continu. Évidemment, tout le quartier, déjà alerté par le coup de feu, débarqua dans l’appartement des Duchamp. On retira le pistolet des mains de la tireuse, quelqu’un cria « les empreintes, les empreintes, ne les effacez pas, hein ! » on se pencha sur le corps inerte de la victime, on fit asseoir Catherine qui s’époumonait toujours… et les conversations enflèrent jusqu’à l’arrivée de l’ambulance. Mais le gant de toilette mouillé, d’habitude efficace sur les visages tuméfiés des joueurs de rugby, n’ayant eu aucun effet sur les beuglements de la jeune femme, une claque retentissante résonna dans la pièce, mettant fin d’un seul coup à la fois aux bavardages et à l’hystérie de Catherine. La plainte de la sirène mourut à l’horizon et les voisins s’en allèrent un par un en silence, laissant le soin à la police appelée par une âme charitable, de gérer la situation.
Catherine passa ainsi la nuit en prison, ce qui constituait pour elle, au même titre que l’usage de l’arme à feu, une première. Plus tard, elle dirait qu’on était loin de l’hôtel quatre étoiles, ce dont on se serait douté… Longuement interrogée par les forces de l’ordre, Catherine affirma qu’elle ne se souvenait plus de rien ! Une amnésie bienvenue, selon la police mais la jeune femme n’en démordit pas et resta inflexible jusqu’au bout. Son récit ne variait pas : assise à la table de la cuisine, elle remplissait les assiettes des enfants. Les Duchamp lui avaient demandé exceptionnellement de les garder pour la soirée, qu’ils devaient passer au théâtre. L’instant d’après, sans qu’elle sache par quel malchance la chose était arrivée, elle tirait sur monsieur Duchamp qui s’écroulait. Entre les deux, un grand blanc, ses souvenirs s’étaient perdus entre la cuisine et le couloir…
Les policiers voulurent savoir comment elle s’était procuré l’arme, s’il y avait eu une dispute entre elle et son patron, mais la pauvre fille ne savait pas et se bornait à répéter qu’elle ne comprenait rien à rien ! Les enfants n’avaient rien vu, rien entendu (à part le coup de feu…) et n’étaient d’aucun secours. Même Monsieur Duchamp, enfin remis de ses émotions et de sa blessure superficielle, n’apporta aucun élément nouveau susceptible d’éclairer cette histoire. Lui non plus ne comprenait pas, ne se rappelait pas. Il semblait qu’un énorme voile d’amnésie ait recouvert la maison tout entière ! Quant à Madame Duchamp, passant du rire aux larmes, tantôt en proie à de véritables crises d’hystérie, tantôt prostrée dans la neurasthénie la plus profonde, il n’était pas question de lui demander quoi que ce soit. Une semaine à peine après les événements, elle fut envoyée par son médecin en cure de repos  à la campagne et les enfants confiés à leur père qui venait de sortir de l’hôpital. La vie reprit son cours et faute d’avoir pu élucider le mystère, ainsi qu’en l’absence de plainte de Monsieur Duchamp, Catherine retrouva sa liberté. Elle réintégra sa place — il fallait bien que quelqu’un s’occupe des enfants —  et le train-train quotidien se poursuivit comme s’il n’avait jamais été interrompu.

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Si on avait dit un jour à Tristan et Sarah que Catherine remplacerait leur mère, ils n’en auraient pas été plus surpris que ça. Pas plus que si on ne leur avait rien dit du tout. En fait, ils étaient complètement indifférents à la question. Les choses étaient ce qu’elles étaient, c’est tout. Ils s’étaient glissés dans le rôle « d’enfants de la bonne » comme le pied se glisse dans la charentaise. L’endroit était confortable et il y avait de la place. Grâce à la présence constante de Catherine à la maison, au contraire de leur mère, ils y trouvaient leur compte. Leur père lui-même ne regrettait pas l’absence de son épouse, la comparaison entre les anatomies respectives des deux femmes jouant nettement en la faveur de Catherine. Pourtant, les débuts du nouveau couple n’avaient pas été faciles, les scrupules de Catherine, sans doute surgis du plus profond de son amnésie, la retenant d’investir le champ du lit conjugal. Mais la chair est faible et la perspective attrayante de vivre sous le même toit que les enfants, l’emporta sur toutes les autres considérations. C’est du moins ce dont la jeune femme se persuada. Sans se rendre compte le moins du monde que l’attrait viril de Paul Duchamp y était pour quelque chose. Son nouveau statut de deuxième madame Duchamp la combla et elle maniait  le plumeau avec une ardeur renouvelée. Mais cette fois-ci, pour son propre compte : elle était devenue la patronne. Son premier geste après son installation chez Paul fut de bazarder tous les produits d’entretien pour en racheter de meilleurs. Dès lors, l’appartement resplendit et son bonheur fut parfait. Entendez par là, le bonheur de l’appartement, qui se trouva fort aise du changement, au même titre que Catherine.
Elle s’habitua très vite aux « maman » par ci et « maman » par là que lui prodiguaient les enfants de Paul et ressentait une bouffée de chaleur doublée d’une agréable sensation dans le bas des reins, une sorte de friselis, selon ses propres mots, chaque fois qu’elle entendait le « Bonjour madame Duchamp ! » lancé par les voisins lorsqu’elle faisait les courses.
A quelques temps de là, pourtant, une ombre se faufila dans le quotidien sans histoire, non pas surgie des interstices du plancher, ou suintant des murs, comme dans les bons romans policiers, mais en la personne du commissaire de police, qui se présenta à leur porte. Or, Catherine et Paul détestaient être réveillés le samedi matin à huit heures. A cette heure là, ils dormaient. A neuf heures aussi, d’ailleurs et lorsqu’ils ne s’adonnaient pas à des jeux coquins ou à des caresses langoureuses, ils dormaient aussi à dix heures. Le commissaire n’était donc pas le bienvenu, d’autant qu’ayant indiqué sa présence par trois longues sonneries répétées, il avait sorti du lit toute la maisonnée. « Et tout ça pourquoi ? avait raconté ensuite Catherine à la voisine. Pour nous parler d’une femme qui aurait tiré sur son patron. Le commissaire voulait savoir pour quelle raison elle voulait le tuer. Mais qu’est-ce que j’en sais, moi des raisons qui poussent les femmes à vouloir éliminer les hommes ? Ça peut être très varié, un différent professionnel, un mari infidèle ou brutal… tenez, la meilleure amie de ma mère a failli étrangler son frère parce qu’il faisait du bruit en mangeant ! Elle subissait ça depuis des années, il faut l’avoir entendu aspirer sa soupe  jour après jour pour le croire ! » Avait suivi la liste, non exhaustive, de tous les griefs à l’encontre de la gent masculine.
Le policier se rendit bien vite compte que la jeune femme ne voyait absolument pas de quoi il voulait parler. Passant de la concentration à l’incrédulité et de l’incrédulité à la stupeur, son visage angélique troubla fort notre homme. Le doute quant à cette affaire accapara tout à fait son esprit lorsque les voisins s’en mêlèrent. Comment osait-il venir déranger une aussi sympathique personne ? Face à l’ire de la foule, le commissaire dut battre en retraite, persuadé que l’espace-temps  avait englouti les cerveaux de tout le quartier. Se pouvait-il que l’amnésie fût collective ?
La conclusion de ce lamentable épisode fut donné par la concierge : « C’est-y pas malheureux de venir embêter les braves gens ! Avec tous les bandits qui courent les rues ! » Le calme revint, on n’y pensa plus.
Mais Catherine, de temps en temps, en ouvrant son armoire, restait rêveuse devant une chemise à carreaux bleus trouée, auréolée d’une trace jaunâtre, là, juste sur le devant, chemise qui lui semblait parfois trop familière. Elle se disait : « Mais à qui est-ce que ça appartient ? Serait-ce un souvenir de Paul ? » Une sorte de nostalgie la prenait, un vague-à-l’âme diffus et elle restait là, à contempler longuement le vêtement. Mais la réalité reprenait ses droits et elle soupirait en murmurant, perfectionniste : « Pfffff… et les taches de sang, ça s’enlève à l’eau froide ! Il n’y a plus de gens de maison capables, de nos jours ! » Puis, par un scrupule dont elle ne comprenait pas l’origine, elle rangeait la relique et refermait doucement la porte du placard.

Insolite

Ce blog est resté trop longtemps inactif. Pour le réanimer, deux petits billets d'humeur. Oui, on commence en douceur, faut pas pousser...

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"Ancelotti a payé pour entraîner le Real"  C'est comme les écrivains qui payent pour être publiés, via l'auto-édition. Quand les autres professions s'y mettent-elles ?

"44 kilos d'or en lingots envolés dans un avion"  Euh... normal de s'envoler, dans un avion...