Lorsqu’elle le vit dans la vitrine, court et moulant comme le veut la mode, avec son bord en côtes doubles aux manches longues, son col roulé et son éclatante teinte fuschia, Lucie sut que ce pull lui était destiné. Il était fait pour elle, elle était faite pour lui. Elle entra dans la boutique, désigna du doigt l’article convoité, et - car son régime commencé avec succès depuis près d’un mois le lui permettait désormais – demanda fièrement la taille 40.
Elle regarda à peine le prix, paya sans sourciller, et ressortit du magasin le sac à la main, le cœur léger et le sourire aux lèvres. Elle passait déjà en revue toutes les occasions qu’elle aurait de porter son pull. A commencer, samedi soir, pour l’anniversaire de Carole. Elle ferait sensation, elle en était sûre. Et puis, il y aurait Stéphane…
A cette pensée, son cœur se mit à battre plus fort, et elle sentit ses joues se colorer.
Commença alors pour Lucie une période faste. Son pull ne la quittait plus. Elle le portait le plus souvent possible, se sentait belle dedans. Elle avait même l’impression qu’il lui donnait confiance en elle, que lorsqu’elle le portait, une assurance nouvelle s’emparait d’elle, qu’elle n’avait jamais ressentie jusqu’à présent : elle faisait preuve d’audace dans les soirées, et remportait un certain succès. Lucie était heureuse.
Ce pull était l’emblème de sa nouvelle vie, il était sa mascotte. Rien ne pouvait lui arriver de fâcheux lorsqu’elle l’avait sur le dos. Aussi, en signe de reconnaissance, l’entretenait-elle avec la plus grande minutie.
Elle avait acheté une lessive douce, « spéciale laine », prenait soin de ne pas trop l’essorer, et le faisait sécher à plat, au dessus de la baignoire. Grâce à ces attentions particulières, le petit pull fuschia avait toujours l’éclat du neuf, et mettait en valeur les formes sveltes de sa propriétaire.
Un soir pourtant, où le petit groupe d’amis s’était retrouvé en discothèque, et où Lucie espérait conquérir définitivement le beau Stéphane, la machine se grippa.
Au moment des slows, Stéphane, malgré l’insistance enjôleuse dont Lucie l’entourait depuis le début de la soirée, alla inviter une grande blonde à la table voisine. Lucie, dépitée, ne put qu’assister, impuissante, à une idylle naissante. Et même si elle se raccrochait encore à un vague espoir, celui-ci fut définitivement déçu lorsque Stéphane et la grande blonde s’éclipsèrent bientôt de la discothèque, bras dessus bras dessous, en s’enveloppant mutuellement de regards énamourés.
Dès lors, ce fut pour Lucie une période noire. Elle rentra chez elle ce soir-là le cœur gros, s’effondra en larmes sitôt la porte de l’appartement franchie, et attaqua sa première tablette de chocolat. D’autres lui succédèrent, chocolat noir, chocolat au lait, avec des noisettes, ou du riz croquant. Désormais, elle ne se privait plus de frites, reprenait deux fois des pâtes, et se permettait même de déguster avec délice, le gras des côtelettes d’agneau. Les huit kilos qu’elle était fière d’avoir perdus, revinrent au galop, et Lucie ne s’en souciait nullement. C’était comme si une petite lumière s’était éteinte en elle.
Quant au petit pull fuschia, devenu trop étroit pour englober ses nouvelles formes, il était relégué sur une étagère de son armoire, sous une pile de pulls plus amples. Elle ne le portait plus et l’oublia complètement.
Ce ne fut que neuf mois plus tard, au début de l’hiver suivant, que le petit pull réapparut. Lucie avait décidé de ranger ses armoires, et c’est en sortant sa pile de vêtements, qu’elle l’aperçut, tout au fond, et quelque peu avachi. Son cœur sauta dans sa poitrine, et les souvenirs affluèrent en se bousculant. Le pull était terne, tout mou, et une odeur fade de renfermé s’en dégageait. Lucie le déplia et l’ajusta devant elle. Elle poussa un profond soupir. Dire qu’il y avait moins d’un an elle rentrait dedans ! Lorsqu’elle pensa à ses formes actuelles plus que généreuses, elle se dit qu’elle serait bien en peine d’y rentrer à nouveau !
Elle restait immobile, songeuse au milieu de la chambre. Puis un léger sourire se dessina sur son visage. Elle replia soigneusement le pull et l’emporta à la panière à linge. Elle pensa : « Toi, il faudra que je te lave ! ». Puis elle descendit à la cuisine, engloutit d’un coup quatre carreaux de chocolat aux noisettes, et dit tout haut pour elle-même :
—Ce sont les derniers. Promis, juré ! Demain, je commence un régime, et dans deux mois, pour le mariage de Stéphane, je mets mon petit pull fuschia !
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