J'écris. Pour un blog littéraire, il vaut mieux. J'écris de tout, pour les jeunes, les moins jeunes, des nouvelles, du théâtre, de l'humour et mes humeurs. La liste des courses, alors que d'autres dressent la liste de leurs envies... Mais je vous l'épargnerai ! La liste des courses, je veux dire. Donc, bonjour et bienvenue sur "Ah, vous écrivez ?" mon blog littéraire.
Bonne lecture et n'hésitez pas à laisser vos commentaires, sincères mais courtois !

dimanche 13 juin 2010

Air : Heaven's light. (album Love 2)

Emplacement réservé.

Au volant de sa Clio bleue, Simon soupirait. Le trajet n’en finissait pas. Pourtant, il n’était pas parti tard, en prévision des embouteillages inévitables en ce soir de réveillon. Mais le trafic semblait encore plus dense que ce qu’il avait imaginé. Depuis une demi-heure, il ne dépassait pas le vingt kilomètres à l’heure. « Bon sang, si on va pas plus vite, c’est sûr, je suis en retard ! Chloé va me maudire ! » Devant lui, une grosse berline allemande faisait rugir son accélérateur. Elle avançait par bonds depuis un moment, son chauffeur sans doute excédé par la lenteur de sa progression. Mais tout le monde était logé à la même enseigne et ça ne servait pas à grand-chose de s’énerver. Simon introduisit un disque dans le lecteur de CD. Les notes apaisantes d’un concerto de Chopin s’élevèrent dans l’habitacle. Simon fredonnait. Il repensait à la conversation qu’il avait eue le matin même avec Chloé. Il hésitait sur la couleur de la cravate qu’il porterait pour le réveillon.
—T’as qu’à mettre la bleue, avec ton costume et une chemise blanche !
—M’oui… Ç’est un peu protocolaire à mon goût, surtout avec la chemise blanche. On croirait que je vais à un entretien d’embauche !
—Ben, mets la orange, avec ta chemise beige clair à rayures plus foncées. Je l’aime beaucoup, la orange, elle est très jolie. Et avec ton costume bleu marine, ça s’accordera super !
—Evidemment, c’est toi qui me l’as offerte ! Je sais pas si elle plaira autant à tes parents, c’est un peu folklo, le orange, non ?
Chloé finissait de s’habiller. Elle passa rapidement un peigne dans sa chevelure désordonnée et attrapa son manteau dans la penderie.
—Ecoute, Simon. Choisis la cravate que tu veux, ça n’a pas d’importance. Tout ce que je te demande, c’est d’arriver à l’heure pour le réveillon. Mes parents sont très pointilleux sur les horaires, alors prends tes précautions, ne pars pas au dernier moment.
—Chloé ! Tu as bien deux secondes, quand même. Tu vas me présenter à tes parents, c’est important, non ? Je veux leur faire bonne impression, moi ! Chloé !
Mais déjà, la jeune femme refermait la porte d’entrée. Simon entendit juste : « A ce soir, mon amour ! »
« Ouais, c’est ça, à ce soir ! marmonna le jeune homme. » Il reposa la cravate orange sur le cintre.
******
La Clio progressait lentement. L’heure tournait. Simon jeta un coup d’œil sur l’horloge du tableau de bord. Vingt heures. Déjà une heure qu’il avait quitté le bureau. Il avait dû faire en tout et pour tout une trentaine de kilomètres. Trente cinq en étant optimiste ! Jamais il ne serait chez les parents de Chloé à vingt heures trente ! Une boule d’angoisse se logea au creux de son estomac. Il allait faire la connaissance de ses futurs beaux-parents, et il n’était même pas fichu d’être à l’heure ! « Oh, et puis, c’est pas ma faute ! J’avais prévu large et pourtant, c’est pas suffisant. » Il expliquerait, on le comprendrait… Puis non, il n’expliquerait rien, il ne ferait que s’enfoncer. Il se voyait très bien, balbutier et bégayer, comme à chaque fois qu’il était intimidé. Qu’allaient penser les parents de Chloé ? Un minable, voilà pour quoi il passerait ! Pour une première rencontre, quelle catastrophe ! Une bouffée de chaleur lui monta au visage. Il desserra son nœud de cravate. Finalement, il avait choisi une chemise vert opale aux fines rayures grises, une cravate du même gris et son costume anthracite. « Faudra bien que ça aille, s’était-il dit. »
Quelques flocons épars s’étaient mis à tomber. « Allons bon, manquait plus que ça ! » Simon commençait à s’impatienter. Non seulement les voitures n’avançaient pas, mais s’il fallait maintenant affronter la neige, on n’était pas sorti de l’auberge ! Simon soupira d’exaspération et tapota nerveusement le volant. Le sur-place dura encore un gros quart d’heure puis la file de véhicules s’ébranla. D’abord lentement, puis un peu plus vite. Et comme par miracle, le bouchon sauta et la Clio put se libérer et se lancer à la poursuite des minutes perdues. « Ouf ! Pas trop tôt ! » S’exclama Simon. La neige avait cessé de tomber. Le macadam défilait sous les roues, à peine blanchi. Simon roulait vite. Il savait qu’il ne comblerait pas tout son retard, mais il limiterait un peu les dégâts. Une nouvelle boule d’angoisse lui serra la gorge.
Enfin, il aperçut, derrière un bosquet de bouleaux, les trois petits immeubles dont Chloé lui avait parlé, et qui constituaient la résidence où vivaient les parents de la jeune femme. Coup d’œil rapide à l’horloge : vingt et une heure treize.
Le cœur battant, le jeune homme s’engagea sur le parking et scruta la nuit à la recherche d’une place libre. Rien ne se présentait. Il tourna comme ça dix bonnes minutes, en proie à un énervement grandissant. « Et zut ! Tout est plein. Y en a marre ! Il reste que les places pour handicapés. »
En effet, seuls trois emplacements réservés étaient disponibles. Simon avait pour principe de ne pas s’y garer, autant par sens moral que parce que l’amende en cas de verbalisation s’élevait à cent trente cinq euros. Mais ce soir, il hésitait. On était soir de réveillon, tout le monde devait être arrivé, la preuve, plus une place de libre sur le parking ! Donc il ne gênerait personne. Avec tout de même un léger sentiment de culpabilité, Simon engagea la Clio en marche arrière sur l’emplacement handicapé. Puis il éteignit le moteur, descendit du véhicule et ouvrit la portière arrière pour attraper le bouquet de fleurs posé sur le siège. Après avoir tout verrouillé, il se dirigea vers le bâtiment B. Il se faufilait entre les voitures, étonné que le parking ne soit pas mieux éclairé. « Pour une résidence de standing, c’est limite ! Aïe ! Bon sang, ce que ça fait mal ! » Il venait de heurter du genou un pare-choc. Il se massa de la paume de la main et reprit son chemin en claudiquant. Les élancements irradiaient jusqu’au mollet. Il entama la montée du premier des quatre étages de l’immeuble. « Bien sûr, ils habitent au quatrième sans ascenseur ! Soupira Simon. » Ça commençait mal ! Il en voulait presque à ses futurs beaux-parents ! Et puis, son genou le faisait de plus en plus souffrir. Au fur et à mesure qu’il progressait, la douleur s’étendait jusqu’à la cuisse. Il lui semblait même la ressentir dans l’autre membre. « Absurde, vraiment ! Se sermonna-t-il en haussant les épaules. » Sur le palier du troisième, il dut faire une pause : ses jambes tremblaient, il était essoufflé. « Je me savais pas si émotif ! Se dit-il en pensant à la proche rencontre avec les parents de Chloé. » La montée du dernier étage se révéla éprouvante. Non seulement le tremblement s’était accentué, mais la douleur augmentait et atteignait maintenant le bas du dos. Simon avait l’impression que ses jambes pesaient des tonnes et que chaque marche de l’escalier était plus haute que la précédente. Une fatigue intense l’envahissait peu à peu. « Bon sang mais qu’est-ce que j’ai ? S’inquiéta-t-il. Je me suis tout de même pas cogné si fort ! » L’angoisse lui nouait maintenant la gorge. Et cette douleur ! Lancinante, par vagues successives dont l’intensité lui coupait parfois la respiration. Il dut s’arrêter plusieurs fois au cours de son ascension, pour se reposer. Il arriva enfin sur le palier du quatrième étage, à bout de souffle, la douleur à peine supportable et se traîna vers l’appartement quarante deux. Engourdi, affolé, il avançait avec peine. La sueur lui dégoulinait dans le cou. Soudain, ses jambes le lâchèrent et il eut juste le temps d’appuyer sur la sonnette avant de s’écrouler au sol.
Lorsque Chloé et ses parents ouvrirent la porte, Simon, recroquevillé sur le bouquet de fleurs, gémissait.
—Chloé ! J’ai mal, tellement mal ! Murmura-t-il, le visage décomposé.
Une terreur sans nom s’empara alors de son cerveau. En un éclair, il revit la phrase sur le panneau, dans le parking : Si vous prenez ma place, prenez aussi mon handicap.

Le petit pull fuschia.

Lorsqu’elle le vit dans la vitrine, court et moulant comme le veut la mode, avec son bord en côtes doubles aux manches longues, son col roulé et son éclatante teinte fuschia, Lucie sut que ce pull lui était destiné. Il était fait pour elle, elle était faite pour lui. Elle entra dans la boutique, désigna du doigt l’article convoité, et - car son régime commencé avec succès depuis près d’un mois le lui permettait désormais – demanda fièrement la taille 40.
Elle regarda à peine le prix, paya sans sourciller, et ressortit du magasin le sac à la main, le cœur léger et le sourire aux lèvres. Elle passait déjà en revue toutes les occasions qu’elle aurait de porter son pull. A commencer, samedi soir, pour l’anniversaire de Carole. Elle ferait sensation, elle en était sûre. Et puis, il y aurait Stéphane…
A cette pensée, son cœur se mit à battre plus fort, et elle sentit ses joues se colorer.
Commença alors pour Lucie une période faste. Son pull ne la quittait plus. Elle le portait le plus souvent possible, se sentait belle dedans. Elle avait même l’impression qu’il lui donnait confiance en elle, que lorsqu’elle le portait, une assurance nouvelle s’emparait d’elle, qu’elle n’avait jamais ressentie jusqu’à présent : elle faisait preuve d’audace dans les soirées, et remportait un certain succès. Lucie était heureuse.
Ce pull était l’emblème de sa nouvelle vie, il était sa mascotte. Rien ne pouvait lui arriver de fâcheux lorsqu’elle l’avait sur le dos. Aussi, en signe de reconnaissance, l’entretenait-elle avec la plus grande minutie.
Elle avait acheté une lessive douce, « spéciale laine », prenait soin de ne pas trop l’essorer, et le faisait sécher à plat, au dessus de la baignoire. Grâce à ces attentions particulières, le petit pull fuschia avait toujours l’éclat du neuf, et mettait en valeur les formes sveltes de sa propriétaire.
Un soir pourtant, où le petit groupe d’amis s’était retrouvé en discothèque, et où Lucie espérait conquérir définitivement le beau Stéphane, la machine se grippa.
Au moment des slows, Stéphane, malgré l’insistance enjôleuse dont Lucie l’entourait depuis le début de la soirée, alla inviter une grande blonde à la table voisine. Lucie, dépitée, ne put qu’assister, impuissante, à une idylle naissante. Et même si elle se raccrochait encore à un vague espoir, celui-ci fut définitivement déçu lorsque Stéphane et la grande blonde s’éclipsèrent bientôt de la discothèque, bras dessus bras dessous, en s’enveloppant mutuellement de regards énamourés.
Dès lors, ce fut pour Lucie une période noire. Elle rentra chez elle ce soir-là le cœur gros, s’effondra en larmes sitôt la porte de l’appartement franchie, et attaqua sa première tablette de chocolat. D’autres lui succédèrent, chocolat noir, chocolat au lait, avec des noisettes, ou du riz croquant. Désormais, elle ne se privait plus de frites, reprenait deux fois des pâtes, et se permettait même de déguster avec délice, le gras des côtelettes d’agneau. Les huit kilos qu’elle était fière d’avoir perdus, revinrent au galop, et Lucie ne s’en souciait nullement. C’était comme si une petite lumière s’était éteinte en elle.
Quant au petit pull fuschia, devenu trop étroit pour englober ses nouvelles formes, il était relégué sur une étagère de son armoire, sous une pile de pulls plus amples. Elle ne le portait plus et l’oublia complètement.
Ce ne fut que neuf mois plus tard, au début de l’hiver suivant, que le petit pull réapparut. Lucie avait décidé de ranger ses armoires, et c’est en sortant sa pile de vêtements, qu’elle l’aperçut, tout au fond, et quelque peu avachi. Son cœur sauta dans sa poitrine, et les souvenirs affluèrent en se bousculant. Le pull était terne, tout mou, et une odeur fade de renfermé s’en dégageait. Lucie le déplia et l’ajusta devant elle. Elle poussa un profond soupir. Dire qu’il y avait moins d’un an elle rentrait dedans ! Lorsqu’elle pensa à ses formes actuelles plus que généreuses, elle se dit qu’elle serait bien en peine d’y rentrer à nouveau !
Elle restait immobile, songeuse au milieu de la chambre. Puis un léger sourire se dessina sur son visage. Elle replia soigneusement le pull et l’emporta à la panière à linge. Elle pensa : « Toi, il faudra que je te lave ! ». Puis elle descendit à la cuisine, engloutit d’un coup quatre carreaux de chocolat aux noisettes, et dit tout haut pour elle-même :
—Ce sont les derniers. Promis, juré ! Demain, je commence un régime, et dans deux mois, pour le mariage de Stéphane, je mets mon petit pull fuschia !

Joyeux anniversaire !

Le vingt huit juin, un peu avant midi, il m’est arrivé une chose incroyable, que je ne suis pas prêt d’oublier : je suis mort ! Oui, mort ! Laissez-moi donc vous raconter.
Nos invités, Franck, Julie et Nono allaient bientôt arriver. Le tajine mijotait sur le feu, l’apéritif était installé sur la table basse et je mettais la dernière main à l’entrée. Ma spécialité, les petits choux au fromage. Alignés sur la tôle beurrée, ils attendaient le dernier moment pour être enfournés. Je commençais à nettoyer la salade lorsque Maria entra dans la cuisine.
—Chéri, tu as bientôt fini ? Il faudrait installer la table au jardin.
—Une petite seconde, mon amour, je finis de préparer la verdure et j’y vais !
—Oui, mais fais vite, ils vont être là d’un instant à l’autre et tu n’as pas encore dressé la table !
Agacé, je pensai : « Tu peux peut-être le faire, toi ! » Mais je savais bien que Maria attendrait que j’aie terminé, plutôt que de mettre la main à la pâte. Maria adore donner des ordres. Maria n’aime pas aider. Je m’abstins toutefois de faire la moindre réflexion. Maria est très susceptible.
Je poussai un bref soupir et m’essuyai sommairement les mains. Je me retournai. Dans ma précipitation, je heurtai le robot ménager qui bascula du plan de travail. Alors, tout s’enchaîna. Par réflexe je voulus rattraper l’appareil mais ne réussis qu’à agripper le cordon électrique. Celui-ci était endommagé : mes mains humides se retrouvèrent au contact des fils dénudés que je n’avais jamais pris le temps de rafistoler ! Or, le maudit appareil était branché … Une terrible douleur me traversa et la secousse qui suivit me projeta violemment au sol. Un silence opaque m’enveloppait. J’avais l’impression d’avoir le corps entier dans du coton. Puis, peu à peu des sons apparurent : le pépiement d’un oiseau, le souffle du vent, une tondeuse lointaine … Soudain, un hurlement domina l’ensemble. Je reconnus la voix de Maria. Sans doute attirée par le bruit de chute du robot, elle venait de me découvrir à terre. Le cri aigu s’étrangla dans sa gorge. Elle se jeta sur moi, me secoua, hurla mon nom. Ankylosé, je ne pouvais réagir. Elle sanglotait et l’expression d’horreur sur son visage ne me laissa aucun doute : je venais bel et bien de passer de vie à trépas en quelques secondes !

******

Il y a maintenant six ans que Maria est veuve. Depuis, tous les vingt huit juin, Franck, Julie et Nono se joignent à elle pour commémorer le triste événement. Au début, je me disais que c’était un peu macabre, tout ça et que Maria n’était vraiment pas obligée de se livrer à ce morbide anniversaire. Seulement voilà, il se trouve que j’en bénéficie et je dois dire que ça ne me déplait pas. Parce que, voyez-vous, le jardin d’Eden est fort agréable, là n’est pas la question, nous avons tout ce que nous voulons, nous sommes vraiment gâtés, mais il faut reconnaître une chose : à la longue, l’éternité, c’est un peu monotone ! Et puis, Dieu que c'est long ! Sur mon insistance, St Pierre m’a autorisé à redescendre sur terre tous les vingt huit juin — invisible, bien sûr — afin de prendre part aux retrouvailles. Je suis aux anges (si je puis dire !) d’autant que Maria a poussé le recueillement jusqu’à présenter le même menu que le jour fatal. Moment d’émotion, j’écrase une petite larme échappée …
Mais au fil des ans, l’atmosphère change, s’allège, la tristesse s’atténue, la gaieté gagne du terrain. Un changement subtil qui me chagrine. Certes vous me direz — je vous entends d’ici — six ans, ça fait beaucoup, il faut bien qu’elle retrouve un peu de joie de vivre, la pauvre ! Oui, sauf que six ans, au regard de l’éternité, c’est rien du tout ! Et moi, ça me chamboule de la voir rire avec les copains !
Aujourd’hui, la conversation concerne le tajine. Maria a oublié les oignons ! Pff… De mon vivant, c’était moi qui cuisinais. J’aimais ça et j’étais un sacré cordon bleu ! Maria n’a jamais voulu s’y mettre. Entre parenthèses, c’était moi aussi qui faisais les courses et le ménage ! Maria n’a jamais aimé. A ma mort elle a bien été obligée pour la cuisine, mais il faut reconnaître que ce n’est pas une réussite ! Oublier les oignons dans le tajine ! Et Nono qui lui dit que ce n’est pas grave ! Comment pourra-t-elle progresser ? Julie demande dans quel tajine on met des pruneaux. Nono explique. Tiens, j’ignorais qu’il savait cuisiner celui-là ! Nous n’avons jamais parlé gastronomie ensemble … C’est drôle comme je redécouvre mes amis depuis mon décès !
Maria écoute Nono religieusement. Je dirais même qu’elle le dévore des yeux. Je ne me souviens pas qu’elle m’ait jamais regardé de cette façon … Mais… je rêve ? Nono aussi la mange du regard ! Maria et Nono ? Nooooon, pas possible ! Ça ne va pas du tout ! Il faut que les choses restent ce qu’elles ont toujours été. Et que tous les vingt huit juin, le repas soit comme d’habitude, et avec moi dans le rôle du mari ! Oui, bon, je sais, je suis mort, et Maria n’a jamais été l’épouse idéale. Je m’en suis souvent plaint : autoritaire, paresseuse, futile … Mais c’était la mienne ! « Ma » femme ! Il n’est pas question qu’elle devienne celle de Nono !
Le repas tire à sa fin. Le dessert fait son apparition. Mais… j’hallucine ? Un clafoutis ! Fait maison, avec les cerises du jardin ! « Mes » cerises ? Oh non, pas ça ! Pas « mes » cerises ! Alors Nono va tout s’approprier, « ma » femme et « mes » cerises ! Là, c’en est trop, je sens la colère bouillonner dans mes veines. J’ai envie de hurler.
Dehors, de gros nuages s’amoncellent à l’horizon. L’orage menace. Un éclair zèbre le ciel. Soudain, un grondement de tonnerre retentit au dessus de nos têtes. Puis des gouttes, de grosses gouttes plates viennent s’abattre sur la table de jardin. Bientôt, une pluie lourde force Maria et ses invités à rentrer précipitamment, en emportant avec eux le clafoutis détrempé. Bien fait ! Ah, je m’amuse ! Dans la maison, la pénombre a envahi l’espace. Franck, le plus près de l’interrupteur du salon l’actionne. Rien.
—Zut, les plombs ont sauté ! Maudit orage ! Et dire qu’il faisait si beau ce matin !
—Oui, c’est embêtant ! Nono, tu veux bien aller rétablir le compteur ? Susurre
Maria. Le fond de sa voix n’admet pas une réponse négative. Je vois les dents blanches de mon ex-copain se dessiner en sourire dans l’ombre de la pièce.
—Euh … oui, j’y vais ! Et Nono se dirige vers le garage, où se trouve l’armoire électrique.
Cette vieille bicoque, nous l’avons achetée avec Maria, un an après notre union, nous l’avons retapée années après années, avec amour. C’était presque une ruine et nous en avons fait notre nid d’amour, notre « chez nous » Je n’ai pas eu le temps, hélas, de refaire le circuit électrique, défectueux depuis le début ! Dommage … Comme me le disait toujours Maria :
—Tu es d’un négligent, mon pauvre ami !

jeudi 3 juin 2010

Procrastination.

Déprimée. Je suis. Chez la copine de ma fille, on voit la Tour Eiffel par la baie vitrée du salon. Pas chez nous. Chez la copine de ma fille, il y a des crêpes au Nutella et de la salade de fruits au petit déjeuner. C’est la mère de sa copine qui se lève avant tout le monde pour leur préparer ce menu de rêve. Moi j’aime trop mon lit pour ne pas en profiter au maximum, alors ma fille mange des céréales. Qu’elle se sert elle-même, tant qu’à faire. Mauvaise mère, je suis. La mère de la copine de ma fille doit être le genre de femme dynamique, attentionnée et performante que je ne suis pas. Sa maison doit reluire dans le moindre recoin, la chasse à la poussière et au désordre, certaines en font un sport national. Je ne suis pas particulièrement sportive. Ce n’est que péniblement que ma pile de repassage diminue et les chaussettes, que je ne repasse pas, tant pis pour elles, il faut aller les extirper du bac où elles s’accumulent. Les culottes aussi. La mère de la copine de ma fille travaille à l’extérieur. Moi je travaille à la maison la majeure partie du temps. Entre deux préparations de cours, quelques lectures et commentaires de textes et la rédaction d’articles, je pourrais trouver le temps de manier l’aspirateur ou la serpillère, d’étaler une lessive… Je pourrais. Mauvaise ménagère. Je suis. Ma maison n’est pas nickel sauf quand une frénésie de nettoyage me prend et là, il faut que tout soit plus que parfait, mais c’est épisodique. Je fais les choses quand j’en ai envie ou que je ne peux plus faire autrement. Dans l’urgence, souvent. La chemise ou le jean repassé en catastrophe juste avant de partir, c’est moi.
Hier, c’était la journée de la procrastination. Je me suis sentie comprise. Enfin. Y en a donc d’autres comme moi. C’est rassurant. Et puis, non sans humour, ma fille m’a dit : « Mais maman, tu sais bien que c’est toujours mieux chez les autres ! »