J'écris. Pour un blog littéraire, il vaut mieux. J'écris de tout, pour les jeunes, les moins jeunes, des nouvelles, du théâtre, de l'humour et mes humeurs. La liste des courses, alors que d'autres dressent la liste de leurs envies... Mais je vous l'épargnerai ! La liste des courses, je veux dire. Donc, bonjour et bienvenue sur "Ah, vous écrivez ?" mon blog littéraire.
Bonne lecture et n'hésitez pas à laisser vos commentaires, sincères mais courtois !

jeudi 18 novembre 2010

L'Amour d'écrire en direct.

Une fois n'est pas coutume, une annonce qui peut en intéresser certains :

Le VENDREDI 26 NOVEMBRE
à 20h
Hall du centre culturel
Gérard Philippe
54 boulevard du château
94500 champigny sur Marne

ENTREE libre : emmener un petit objet, ni lourd, ni cher, ni encombrant…
(petite restauration sur place)

Réservation et renseignements :
01 55 98 29 80

réalisation, conception, animation
Marc-Michel GEORGES


3 ans déjà, 30 soirées. J’ai accueilli 120 auteurs, 62 artistes…
soirée conviviale, décalée, où 4 auteurs, écrivains, sont convoqués pour écrire en direct devant un public, et un jury. Intermèdes durant les temps d'écriture. La soirée se termine par une danse avec les auteurs. Entre le café littéraire, la scène ouverte, l'instinct-théâtre... avec confetti et langues de belle-mère. Les auteurs font le show ! L’écriture au centre et tout autour ça bouge !


Avec les auteurs
Eric Dubois, Angeline Launay, Ghislaine Maimoun, Rosemay Nivard

Le jury
L’actrice Véronique Delbourg

L’auteur-journaliste de la soirée
Alain Chêne

Artiste associé à la soirée
Jacky Viallon

Soirée à l’initiative de la Médiathèque Municipale avec le soutien de la ville de Champigny

mercredi 13 octobre 2010

Les joies des mathématiques.

« 5, 4, 3, 2, 1 … c’est ça l’ordre décroissant ! Du plus grand au plus petit. Tu comprends maintenant ? Et si tu comptes du plus petit au plus grand, c’est l’ordre croissant. »
Thomas s’efforçait d’expliquer sa leçon à un Félix de 8 ans apathique. Le gamin le fixait d’un regard morne, la bouche entrouverte, complètement déconnecté des réalités mathématiques du moment.
Le jeune homme soupira. Qu’est-ce qui pouvait bien se passer dans le crâne de ce gosse ? Quel désordre régnait donc dans les méandres de son cerveau pour qu’il ait autant de mal à assimiler des notions aussi basiques ?
—Une vrai buse ce Félix ! Tu peux pas imaginer… c’est la première fois que j’ai un gamin aussi peu doué ! avait-il dit à Claire, sa petite amie.
Elle avait souri. C’était ça les cours particuliers, on ne savait jamais d’avance sur qui on tombait… Et puis au moins, cet enfant avait vraiment besoin de lui, pas comme tant d’autres qui, victimes des ambitions scolaires toujours plus grandes de leurs parents, subissaient des cours dont ils n’avaient nul besoin.
—Et puis quoi, ça paie tes études !
Claire démontrait une fois de plus son pragmatisme. Mais Thomas voulait faire progresser Félix, l’échec qu’il vivait avec l’enfant le contrariait. Alors il cherchait des méthodes, des techniques, des astuces… en vain. Il avait même confectionné cinq cartes sur lesquelles il avait dessiné : 5 fleurs, 4 oiseaux, 3 maisons, 2 bonshommes, 1 voiture. Et il montrait à son élève que les objets diminuaient, qu’ils allaient décroissant… Félix contempla les cartes et demanda :
—Pourquoi tu leur as fait les ailes comme ça, à tes oiseaux ? Les oiseaux ça n’a pas les ailes comme ça…
Thomas se sentait impuissant. Le combat était perdu d’avance. Il finissait par se demander si le charmant bambin n’était pas déficient mental…
Ce mercredi soir-là, il arriva en retard pour la leçon du petit. Félix lisait en l’attendant. Un peu agacé par le silence du gamin, Thomas s’apprêtait à le rappeler à l’ordre lorsqu’il vit le titre de l’ouvrage qu’il feuilletait : « Les planches du Dictionnaire Universel d’Histoire Naturelle de Charles d’Orbigny. Portraits d’animaux. » Un oiseau au plumage coloré, s’étalait sur une page. La précision du trait, les détails techniques étaient remarquablement bien rendus.
—C’est un Ara rouge, ou Ara Macao. Il mesure entre 90 et 120cm et peut vivre jusqu’à 75 ans.
L’enfant parlait posément, le regard levé vers l’étudiant.
—Il y a aussi l’ara chloroptère qui a du vert dans son plumage à la place du jaune et l’ara hyacinthe, mais celui-là, c’est son ennemi, ils mangent tous les deux la même chose, alors…
Félix haussa les épaules, referma le livre et se dirigea vers le bureau sur lequel reposait son cahier. Il s’agenouilla sur une chaise et attendit. Thomas demanda :
—Tu as fait les exercices que je t’avais donnés sur les nombres croissants ?
L’enfant fit la grimace, le regard de biais.
—Mon cousin Jérôme, il m’a montré des trucs plus marrants, des zék… des zék… je sais plus le nom.
Il ouvrit son cahier et pointa le doigt sur un calcul : 4x – 5 = 2x + 1
Une équation ! Thomas louchait sur les chiffres, ébahi.
—J’ai calculé : x = 3. Je préfère ça que tes croissants. Tu savais que les aras rouges mangeaient des bananes ? Et même des noix de coco !

Zapping !

La Palice.

Bruce Toussaint dans « l’Edition Spéciale », à propos des mineurs qui vont sortir mercredi de leur puits, via une nacelle oblongue :
—Et bien, il ne faut pas être claustrophobe pour rester 1 heure comme ça dans ce suppositoire géant. »
C’est vrai que devenir mineur quand on est claustrophobe, ça le fait pas

Benêt... euh Benoit.

Benoit, de « Secret Story » connaît, selon ses dires, à peine l’alphabet français, alors s’il faut qu’il connaisse le grec, hein ! Il dit lui-même : « S’il faut que je fasse des théorèmes de Pythagore ou de Thalès pour aller en finale, je suis pas sorti de l’auberge ! »
Y a-t-il quelqu’un dans la salle qui doute encore qu’il faille un QI de moule pour participer à cette émission ? Et encore, c’est faire outrage aux moules…

A l'hélium ?

Entendu dans une émission-jeu : « Qu’est-ce qu’on peut gonfler ? » Première réponse du candidat, un ballon. Ben non, raté ! Le candidat réfléchit un moment et dit : « une femme ! »
Héhé, pas si faux, c’est vrai que ces mecs nous gonflent avec leurs émissions cucul !

vendredi 8 octobre 2010

Everything is everything. Phoenix.

Et oui...

L'autocar de dix-sept heures.

2 octobre 2007
Elle est là, petite, frêle, si fripée qu’on ne sait quel âge lui donner. Son manteau trop court laisse entrevoir des genoux épais, au ras desquels s’arrêtent des chaussettes de laine foncée. Ses chaussures fatiguées semblent avoir parcouru toutes les ornières des chemins. Un petit chapeau en tissu vert pomme, démodé, posé de travers sur une chevelure blanche hirsute lui donne l’air d’un oiseau à huppe échappé d’une volière. Elle serre dans ses mains un sac noir élimé, aussi vieux qu’elle. Le vent frais d’automne ne la fait pas frissonner.
Elle attend, sans bouger, impassible, le regard perdu vers le lointain. Elle est indifférente aux enfants qui lui tournent autour et se moquent d’elle. Certains ramassent quelques cailloux, font mine de les lui lancer, mais quelque chose les retient au dernier moment. Sans doute cet air absent… Les rires des enfants s’éteignent alors. Quelques « eh, la folle ! » jaillissent encore, puis plus rien. Elle est seule sur cette place de village. Elle attend l’autocar de dix-sept heures.
*
La première fois que je l’ai vue, elle était déjà dans la même tenue, le manteau et les chaussettes en moins. Elle arborait le même air détaché. Je travaillais pour l’été chez Roger, le cafetier installé sur la place. Tous les jours à la même heure, elle se postait à l’arrêt de bus, puis attendait sans broncher, calme et patiente, attentive. L’autocar arrivait, déversait ses passagers et repartait sans que jamais quelqu’un vienne à sa rencontre. Alors elle s’en allait, à petits pas fragiles, les yeux soudain éteints, comme tournés vers l’intérieur.
Cette femme m’intriguait. Qui pouvait-elle bien attendre dans la poussière de Juillet ? Elle me faisait un peu pitié aussi, il faut bien l’avouer. Je questionnai Roger.
—Oh, elle ? C’est Violette. Tu la verras là tous les jours que Dieu fait ! Elle est bizarre, tu sais, spéciale … une drôle de bonne femme ! Un peu fêlée. Mais faut reconnaître qu’elle a pas eu une vie facile.
Cette explication, loin d’assouvir ma curiosité, la renforça et un jour où Roger était de bonne humeur, je lui demandai de me raconter la vie de Violette.
Il s’assit à la terrasse, un verre de sirop de menthe à la main et regarda la place inondée de soleil. L’air vibrait d’une vapeur dorée, dense, presque palpable. En ce début d’après-midi de juillet, personne ne s’était aventuré dehors. Il avala une gorgée de liquide et commença :
« Elle avait seize ans en 1943. D’après les anciens, c’était une belle fille, tout le monde le disait. Bien formée, de longs cheveux bruns soyeux, un air franc et décidé. Un peu rebelle quand même, n’en faisant qu’à sa tête, ne s’en laissant pas conter. Un caractère, la Violette ! Lorsqu’elle allait faire ses courses au marché, elle traversait le village en chantant à tue-tête. Et ça, je l’ai vu, moi, ou plutôt entendu ! J’étais gamin mais je m’en souviens bien. Et puis, elle donnait à manger du pain aux oiseaux, en temps de guerre, faut être gonflé ! D’ailleurs, elle était très critiquée pour ça. Tu vois, déjà on la trouvait bizarre, un drôle d’énergumène cette Violette. Mais elle était tellement jolie que beaucoup de gars lui couraient après et auraient bien voulu qu’elle leur jette un regard. Seulement voilà, elle était fière, la Violette et les gars du village, ça lui convenait pas !
Et puis, à l’automne 43, est arrivé du front de l’Est un petit jeunot, blessé assez sévèrement. L’hôpital du département était le seul où il restait de la place. Ils l’ont gardé une bonne semaine puis il a logé chez la mère Martin pour sa convalescence. Il devait bien avoir dans les dix neuf ans et tout de suite la Violette, elle a plus vu que lui ! C’était réciproque, le Laurent – c’était son nom – tout pareil ! Il la dévorait des yeux. Mais au début, c’était que des œillades, des sourires, ils osaient pas se parler, tu sais à cette époque, c’était pas comme vous, les jeunes de maintenant. La mère de Violette était l’infirmière qui assurait les soins à domicile de Laurent et la petite l’accompagnait. Comme ça, ils se voyaient presque tous les jours. Elle lui apportait des livres, des revues, ils bavardaient … Ils se sont apprivoisés, petit à petit et bientôt leur histoire d’amour a fait le tour du comté ! Un beau couple de tourtereaux ! Seulement, le blessé a guéri et ses supérieurs l’ont renvoyé au front. Mon père m’a raconté que jamais encore il n’avait vu de séparation aussi déchirante. Violette pleurait et s’agrippait à son soldat et lui, pâle comme un cadavre, n’en menait pas large. En montant dans l’autocar, il lui a crié :
—Je reviendrai et on se mariera ! Je te le jure !
Et la pauvrette sanglotait, à genoux dans la poussière, les mains jointes comme une madone. Une bonne partie du village était venue et même les plus hardis à la railler d’ordinaire ne se moquaient pas d’elle, ils semblaient comprendre ce lourd chagrin et le respecter. Le silence total régnait sur la place. »
Roger se tut. Les souvenirs de son père semblaient être devenus les siens et une étrange humidité brouillait son regard. Il vida une bonne partie de son verre et rajouta de l’eau. Puis il se tourna vers moi et poursuivit :
—Depuis ce jour-là, Violette attendit Laurent. Elle prit l’habitude d’écouter la radio pour suivre la progression des troupes. Au risque de se faire prendre ! Quand elle venait au village, elle ne chantait plus. Elle passait, raide, les yeux fixes, puis rentrait chez elle sitôt ses courses faites. À la nuit tombée, elle parcourait la campagne en murmurant des mots qu’elle seule comprenait. Les années passèrent. Laurent ne revenait pas. Puis ce fut la fin de la guerre. Au village, certains fêtèrent le retour d’un fils ou d’un père, d’autres ne purent que pleurer leurs morts. On était sans nouvelles de Laurent. Violette remua ciel et terre pour savoir ce qu’il était devenu. Elle frappa à toutes les portes, alla même jusqu’à Paris, où, disait-elle, « on en savait forcément plus ». Rien. Le désespoir s’abattit sur elle comme une pluie d’été arrive, sans crier gare. Elle eut des demandes en mariage, les refusa. Parfois, elle se terrait chez elle pendant des jours, ne voulant voir personne. D’autres fois, elle apparaissait au marché et se faisait remarquer en riant bien trop fort. Son exubérance naturelle s’étalait. Sa joie, trop feinte pour être vraie, mettait mal à l’aise. Certains trouvèrent qu’elle en faisait trop. Alors, pour beaucoup, elle devint « la folle ». Les moqueries, les méchancetés fusaient sur son passage. Elle n’y prêtait pas attention.
Et puis, vers 1950, j’avais douze ans, un beau jour, elle vint à l’arrêt d’autocar. Elle se posta là où tu l’as déjà vue et attendit, scrutant le véhicule de ses yeux tristes lorsqu’il arriva. Puis elle repartit, accablée et revint le lendemain. Et ça dure depuis plus de cinquante ans. Laurent n’est jamais revenu. On lui a dit qu’elle attendait pour rien, qu’il était mort, qu’elle se faisait du mal, aucun de nous n’a pu la dissuader de venir là jour après jour, sous la pluie, dans le vent ou sous un soleil de plomb. Elle disait que leur amour était plus fort que la mort, elle disait « je sais qu’il reviendra ! ».
Je crois que c’est à cette époque que les gamins du village utilisèrent aussi le surnom « la folle », moi y compris et je n’en suis pas fier aujourd’hui, tu sais. Parce que tu vois, une histoire d’amour comme ça, ça devait se respecter. Mais quand on a douze ans, on ne comprend pas. »
Roger reposa son verre sur la table d’un geste brusque. Il se leva, jeta son torchon sur l’épaule et rentra dans le café. Je compris que la discussion était terminée.
Jusqu’à la fin du mois d’août, Violette fut exacte au rendez-vous.

*
Aujourd’hui, 2 octobre 2007, malgré le vent aigre qui soulève la poussière de la place, elle est là. L’autocar de dix-sept heures est passé. Est reparti. Violette serre frileusement ses mains sur son manteau et s’en va, tout doucement, le pas incertain et la tête basse. Je sais que demain elle reviendra et après-demain aussi, et les jours suivants. Parce que depuis plus de cinquante ans, elle vit d’espoir. Moi, je vais repartir vers mon université. Reprendre ma vie d’étudiant, mon quotidien de trajets en métro, de cours, de révisions et d’examens …

*
Le 5 avril 2008.
Cher Frédéric,
Il faut que je t’apprenne une bien triste nouvelle. Tu te souviens de Violette, dont je t’avais raconté l’histoire ? Elle est morte le mois dernier. De vieillesse, elle n’était pas toute jeune, elle allait sur ses 81 ans. Mais selon moi, c’est le chagrin qui l’a tuée. Une si longue vie à attendre son amour perdu ! J’ai eu beaucoup de peine, tu sais, et malgré son caractère original qui ne plaisait pas à tout le monde, tout le village était là pour son enterrement. Je crois que leur affliction n’était pas feinte. Finalement, c’était un personnage, Violette, notre personnage à nous … C’est triste mais c’est notre lot !
Sinon, c’est d’accord pour le travail au café cet été. Je me fais vieux et j’ai bien besoin de bras jeunes et solides pour m’aider. Alors je t’attends pour le début juillet, mon garçon. Précise-moi la date exacte.

Bien amicalement.
Roger.

*
On étouffe aujourd’hui. Je crois bien que c’est l’été le plus chaud que j’aie connu depuis des années. Sur la place surchauffée, seuls les artificiers sont là. Ils préparent leur matériel pour les festivités du 14 juillet. La terrasse du café est déserte mais dans une bonne heure, les habitués de l’apéro vont arriver. Je déambule entre les tables, un torchon à la main, désoeuvré. Ma chemisette me colle à la peau, toute cette moiteur qui m’enveloppe est désagréable. J’aurais bien envie d’une bonne douche ! Je soupire et jette un coup d’œil à ma montre. Bientôt dix-sept heures. L’autocar ne va pas tarder. Une boule me serre la gorge : Violette n’est plus là désormais. Violette n’attend plus rien ni personne. Elle est morte depuis quatre mois et sa silhouette fragile manque au décor de la place. Elle me manque. Je ne lui ai pourtant jamais parlé, je ne la connaissais pas vraiment. Seule l’histoire de sa vie, que Roger m’a racontée, me l’a rendue proche. Le contour du car se dessine au bout du chemin et machinalement, je regarde l’arrêt, là où Violette se tenait toujours. Le véhicule approche et vient se garer sur la place dans un grincement fatigué. Un long soupir et les portes s’ouvrent. Puis se referment. Dans un ronflement sourd, l’autocar s’ébranle, ne laissant derrière lui qu’une odeur âcre de caoutchouc chaud.
Je le remarque alors, un vieil homme mince et voûté, une petite valise à la main. Chaussé de rangers, vêtu d’une veste kaki un peu grande pour lui. Il est planté sur la place. Il regarde autour de lui, à gauche, à droite, fait un pas de côté, semble hésiter. Il met sa main droite en visière, cligne des yeux dans ma direction. Il avance et à chaque pas de sa démarche chancelante, mon cœur cogne un peu plus fort. À un mètre de moi, ses yeux bleus, si bleus, lumineux …
—Pardon, jeune homme, savez-vous où habite mademoiselle Violette Marchand ? Je suis Laurent Vergniaud.

Lapsus.

N'ayez crainte, je ne vous bassinerai pas encore avec le lapsus de Rachida Dati, on l'a assez entendu comme ça !
Non, je veux parler de celui de Sophie Davant, pas plus tard que ce matin, et qui est, lui, mignon tout plein. Au lieu de parler d'apnée du sommeil, elle a dit "apnée du soleil". C'est-y pas chou ?
Même si je n'ai pas envie que le soleil prévu pour ce week-end s'arrête de respirer !

Ravalement de façade.

Lundi, 6h du matin.
Je me croise pour la première fois de la journée dans le miroir de ma salle de bain et là, le choc ! La peur de ma vie ! Entre le moment où je me suis couchée, deux heures plus tôt et celui où je me lève, deux heures plus tard, j’ai pris dix ans ! Un saut dans le temps digne de « Retour vers le futur ». De larges sillons s’étalent en éventail sur mes tempes et mes joues et deux creux (crevasses ?) descendent du coin de mon nez au coin de mes lèvres. Mon menton semble perdu dans les contours flasques de mon visage. Et mon teint, d’ordinaire rose et frais, me fait penser à la peinture beigeasse et terne du hall d’entrée, peinture qu’on aurait dû rafraichir depuis des lustres. Sans parler des valises que je transporte sous mes yeux, tellement lourdes que je me laisse tomber sur un tabouret, découragée. Aucun doute, j’ai l’air d’un vieux chiffon… Bref, de quoi être terrifiée. Heureusement, j’ai évité de crier : l’homme de ma vie dort encore dans la chambre à côté et je ne voudrais surtout pas qu’il accoure et découvre qu’il a passé la nuit avec ma sœur ainée… ou ma grand-mère !
Mais je ne dois pas me laisser aller, il faut que je réagisse. J’entreprends donc un ravalement de façade en règle. Une bonne couche de crème anti-âge, une de fond de teint liftant et dix minutes de maquillage des yeux plus tard, j’ai réintégré mon âge et je peux aller prendre le peti dèj avec mon cher et tendre, réveillé, sans risquer de le faire fuir.
Néanmoins, je m’interroge : il y a quelques temps, j’ai vu à la télé une émission sur la médecine esthétique. Peut-être l’ère Botox est-elle arrivée pour moi ? Songeuse, je me, dis en trempant ma tartine dans mon café au lait, que je devrais me renseigner.
Ainsi, le premier geste que je fais le soir en rentrant d’une journée passée à somnoler en réunion est d’allumer mon ordinateur et d’aller demander conseil à mon copain Google. Il en sait des choses, le Google et bientôt, l’acide hyaluronique, la carboxythérapie du visage, le mésolift et… le reste n’ont plus de secret pour moi. Assez tentant, bien que plutôt cher…
Lundi, minuit.
Bien au chaud sous la couette, confortablement blottie dans les bras de mon amoureux, je lui pose négligemment la question :
—Tu en penses quoi, toi, de la médecine esthétique ?
Le bond dans le lit me fait sursauter. Mon chéri me fixe, une lueur de panique dans le regard :
—Pourquoi, tu trouves que je fais si vieux que ça ?

lundi 4 octobre 2010

Programme télé.

Sur la 2, des parents éplorés viennent parler du suicide de leur enfant. Nauséeuse, j’actionne la télécommande pour changer de chaine, avec l'approbation énergique de mon mari. La cinquième propose un reportage sur le service de cancérologie de l'hôpital Gustave Roussy à Villejuif.
—Allons bon ! s’exclame mon cher et tendre. Après les enfants suicidés, les cancéreux ! Tu peux pas trouver un programme un peu plus gai ?
—C’est partout pareil ! Tu veux quand même pas te coltiner « Les feux de l’amour », non ? et joignant le geste à la parole, j’appuie sur la 1.
Une femme est en train de téléphoner, couchée… dans un lit d’hôpital !!! Je mets les infos mais les menaces d’attentat et le procès des hormones de croissance ne prêtent pas franchement à rire.
—De toute façon, j’ai mon ménage à finir, dis-je en éteignant la télé.
Voilà, j’espère que vous avez bien le moral dans les chaussettes, maintenant ! (c’était le but, y a pas de raison qu’il n’y ait que moi qui déprime, faut partager, c’est ça la solidarité ) En plus, il pleut aujourd’hui…
Ben moi je vous le dis : vivement ce soir qu’on se couche !

dimanche 13 juin 2010

Air : Heaven's light. (album Love 2)

Emplacement réservé.

Au volant de sa Clio bleue, Simon soupirait. Le trajet n’en finissait pas. Pourtant, il n’était pas parti tard, en prévision des embouteillages inévitables en ce soir de réveillon. Mais le trafic semblait encore plus dense que ce qu’il avait imaginé. Depuis une demi-heure, il ne dépassait pas le vingt kilomètres à l’heure. « Bon sang, si on va pas plus vite, c’est sûr, je suis en retard ! Chloé va me maudire ! » Devant lui, une grosse berline allemande faisait rugir son accélérateur. Elle avançait par bonds depuis un moment, son chauffeur sans doute excédé par la lenteur de sa progression. Mais tout le monde était logé à la même enseigne et ça ne servait pas à grand-chose de s’énerver. Simon introduisit un disque dans le lecteur de CD. Les notes apaisantes d’un concerto de Chopin s’élevèrent dans l’habitacle. Simon fredonnait. Il repensait à la conversation qu’il avait eue le matin même avec Chloé. Il hésitait sur la couleur de la cravate qu’il porterait pour le réveillon.
—T’as qu’à mettre la bleue, avec ton costume et une chemise blanche !
—M’oui… Ç’est un peu protocolaire à mon goût, surtout avec la chemise blanche. On croirait que je vais à un entretien d’embauche !
—Ben, mets la orange, avec ta chemise beige clair à rayures plus foncées. Je l’aime beaucoup, la orange, elle est très jolie. Et avec ton costume bleu marine, ça s’accordera super !
—Evidemment, c’est toi qui me l’as offerte ! Je sais pas si elle plaira autant à tes parents, c’est un peu folklo, le orange, non ?
Chloé finissait de s’habiller. Elle passa rapidement un peigne dans sa chevelure désordonnée et attrapa son manteau dans la penderie.
—Ecoute, Simon. Choisis la cravate que tu veux, ça n’a pas d’importance. Tout ce que je te demande, c’est d’arriver à l’heure pour le réveillon. Mes parents sont très pointilleux sur les horaires, alors prends tes précautions, ne pars pas au dernier moment.
—Chloé ! Tu as bien deux secondes, quand même. Tu vas me présenter à tes parents, c’est important, non ? Je veux leur faire bonne impression, moi ! Chloé !
Mais déjà, la jeune femme refermait la porte d’entrée. Simon entendit juste : « A ce soir, mon amour ! »
« Ouais, c’est ça, à ce soir ! marmonna le jeune homme. » Il reposa la cravate orange sur le cintre.
******
La Clio progressait lentement. L’heure tournait. Simon jeta un coup d’œil sur l’horloge du tableau de bord. Vingt heures. Déjà une heure qu’il avait quitté le bureau. Il avait dû faire en tout et pour tout une trentaine de kilomètres. Trente cinq en étant optimiste ! Jamais il ne serait chez les parents de Chloé à vingt heures trente ! Une boule d’angoisse se logea au creux de son estomac. Il allait faire la connaissance de ses futurs beaux-parents, et il n’était même pas fichu d’être à l’heure ! « Oh, et puis, c’est pas ma faute ! J’avais prévu large et pourtant, c’est pas suffisant. » Il expliquerait, on le comprendrait… Puis non, il n’expliquerait rien, il ne ferait que s’enfoncer. Il se voyait très bien, balbutier et bégayer, comme à chaque fois qu’il était intimidé. Qu’allaient penser les parents de Chloé ? Un minable, voilà pour quoi il passerait ! Pour une première rencontre, quelle catastrophe ! Une bouffée de chaleur lui monta au visage. Il desserra son nœud de cravate. Finalement, il avait choisi une chemise vert opale aux fines rayures grises, une cravate du même gris et son costume anthracite. « Faudra bien que ça aille, s’était-il dit. »
Quelques flocons épars s’étaient mis à tomber. « Allons bon, manquait plus que ça ! » Simon commençait à s’impatienter. Non seulement les voitures n’avançaient pas, mais s’il fallait maintenant affronter la neige, on n’était pas sorti de l’auberge ! Simon soupira d’exaspération et tapota nerveusement le volant. Le sur-place dura encore un gros quart d’heure puis la file de véhicules s’ébranla. D’abord lentement, puis un peu plus vite. Et comme par miracle, le bouchon sauta et la Clio put se libérer et se lancer à la poursuite des minutes perdues. « Ouf ! Pas trop tôt ! » S’exclama Simon. La neige avait cessé de tomber. Le macadam défilait sous les roues, à peine blanchi. Simon roulait vite. Il savait qu’il ne comblerait pas tout son retard, mais il limiterait un peu les dégâts. Une nouvelle boule d’angoisse lui serra la gorge.
Enfin, il aperçut, derrière un bosquet de bouleaux, les trois petits immeubles dont Chloé lui avait parlé, et qui constituaient la résidence où vivaient les parents de la jeune femme. Coup d’œil rapide à l’horloge : vingt et une heure treize.
Le cœur battant, le jeune homme s’engagea sur le parking et scruta la nuit à la recherche d’une place libre. Rien ne se présentait. Il tourna comme ça dix bonnes minutes, en proie à un énervement grandissant. « Et zut ! Tout est plein. Y en a marre ! Il reste que les places pour handicapés. »
En effet, seuls trois emplacements réservés étaient disponibles. Simon avait pour principe de ne pas s’y garer, autant par sens moral que parce que l’amende en cas de verbalisation s’élevait à cent trente cinq euros. Mais ce soir, il hésitait. On était soir de réveillon, tout le monde devait être arrivé, la preuve, plus une place de libre sur le parking ! Donc il ne gênerait personne. Avec tout de même un léger sentiment de culpabilité, Simon engagea la Clio en marche arrière sur l’emplacement handicapé. Puis il éteignit le moteur, descendit du véhicule et ouvrit la portière arrière pour attraper le bouquet de fleurs posé sur le siège. Après avoir tout verrouillé, il se dirigea vers le bâtiment B. Il se faufilait entre les voitures, étonné que le parking ne soit pas mieux éclairé. « Pour une résidence de standing, c’est limite ! Aïe ! Bon sang, ce que ça fait mal ! » Il venait de heurter du genou un pare-choc. Il se massa de la paume de la main et reprit son chemin en claudiquant. Les élancements irradiaient jusqu’au mollet. Il entama la montée du premier des quatre étages de l’immeuble. « Bien sûr, ils habitent au quatrième sans ascenseur ! Soupira Simon. » Ça commençait mal ! Il en voulait presque à ses futurs beaux-parents ! Et puis, son genou le faisait de plus en plus souffrir. Au fur et à mesure qu’il progressait, la douleur s’étendait jusqu’à la cuisse. Il lui semblait même la ressentir dans l’autre membre. « Absurde, vraiment ! Se sermonna-t-il en haussant les épaules. » Sur le palier du troisième, il dut faire une pause : ses jambes tremblaient, il était essoufflé. « Je me savais pas si émotif ! Se dit-il en pensant à la proche rencontre avec les parents de Chloé. » La montée du dernier étage se révéla éprouvante. Non seulement le tremblement s’était accentué, mais la douleur augmentait et atteignait maintenant le bas du dos. Simon avait l’impression que ses jambes pesaient des tonnes et que chaque marche de l’escalier était plus haute que la précédente. Une fatigue intense l’envahissait peu à peu. « Bon sang mais qu’est-ce que j’ai ? S’inquiéta-t-il. Je me suis tout de même pas cogné si fort ! » L’angoisse lui nouait maintenant la gorge. Et cette douleur ! Lancinante, par vagues successives dont l’intensité lui coupait parfois la respiration. Il dut s’arrêter plusieurs fois au cours de son ascension, pour se reposer. Il arriva enfin sur le palier du quatrième étage, à bout de souffle, la douleur à peine supportable et se traîna vers l’appartement quarante deux. Engourdi, affolé, il avançait avec peine. La sueur lui dégoulinait dans le cou. Soudain, ses jambes le lâchèrent et il eut juste le temps d’appuyer sur la sonnette avant de s’écrouler au sol.
Lorsque Chloé et ses parents ouvrirent la porte, Simon, recroquevillé sur le bouquet de fleurs, gémissait.
—Chloé ! J’ai mal, tellement mal ! Murmura-t-il, le visage décomposé.
Une terreur sans nom s’empara alors de son cerveau. En un éclair, il revit la phrase sur le panneau, dans le parking : Si vous prenez ma place, prenez aussi mon handicap.

Le petit pull fuschia.

Lorsqu’elle le vit dans la vitrine, court et moulant comme le veut la mode, avec son bord en côtes doubles aux manches longues, son col roulé et son éclatante teinte fuschia, Lucie sut que ce pull lui était destiné. Il était fait pour elle, elle était faite pour lui. Elle entra dans la boutique, désigna du doigt l’article convoité, et - car son régime commencé avec succès depuis près d’un mois le lui permettait désormais – demanda fièrement la taille 40.
Elle regarda à peine le prix, paya sans sourciller, et ressortit du magasin le sac à la main, le cœur léger et le sourire aux lèvres. Elle passait déjà en revue toutes les occasions qu’elle aurait de porter son pull. A commencer, samedi soir, pour l’anniversaire de Carole. Elle ferait sensation, elle en était sûre. Et puis, il y aurait Stéphane…
A cette pensée, son cœur se mit à battre plus fort, et elle sentit ses joues se colorer.
Commença alors pour Lucie une période faste. Son pull ne la quittait plus. Elle le portait le plus souvent possible, se sentait belle dedans. Elle avait même l’impression qu’il lui donnait confiance en elle, que lorsqu’elle le portait, une assurance nouvelle s’emparait d’elle, qu’elle n’avait jamais ressentie jusqu’à présent : elle faisait preuve d’audace dans les soirées, et remportait un certain succès. Lucie était heureuse.
Ce pull était l’emblème de sa nouvelle vie, il était sa mascotte. Rien ne pouvait lui arriver de fâcheux lorsqu’elle l’avait sur le dos. Aussi, en signe de reconnaissance, l’entretenait-elle avec la plus grande minutie.
Elle avait acheté une lessive douce, « spéciale laine », prenait soin de ne pas trop l’essorer, et le faisait sécher à plat, au dessus de la baignoire. Grâce à ces attentions particulières, le petit pull fuschia avait toujours l’éclat du neuf, et mettait en valeur les formes sveltes de sa propriétaire.
Un soir pourtant, où le petit groupe d’amis s’était retrouvé en discothèque, et où Lucie espérait conquérir définitivement le beau Stéphane, la machine se grippa.
Au moment des slows, Stéphane, malgré l’insistance enjôleuse dont Lucie l’entourait depuis le début de la soirée, alla inviter une grande blonde à la table voisine. Lucie, dépitée, ne put qu’assister, impuissante, à une idylle naissante. Et même si elle se raccrochait encore à un vague espoir, celui-ci fut définitivement déçu lorsque Stéphane et la grande blonde s’éclipsèrent bientôt de la discothèque, bras dessus bras dessous, en s’enveloppant mutuellement de regards énamourés.
Dès lors, ce fut pour Lucie une période noire. Elle rentra chez elle ce soir-là le cœur gros, s’effondra en larmes sitôt la porte de l’appartement franchie, et attaqua sa première tablette de chocolat. D’autres lui succédèrent, chocolat noir, chocolat au lait, avec des noisettes, ou du riz croquant. Désormais, elle ne se privait plus de frites, reprenait deux fois des pâtes, et se permettait même de déguster avec délice, le gras des côtelettes d’agneau. Les huit kilos qu’elle était fière d’avoir perdus, revinrent au galop, et Lucie ne s’en souciait nullement. C’était comme si une petite lumière s’était éteinte en elle.
Quant au petit pull fuschia, devenu trop étroit pour englober ses nouvelles formes, il était relégué sur une étagère de son armoire, sous une pile de pulls plus amples. Elle ne le portait plus et l’oublia complètement.
Ce ne fut que neuf mois plus tard, au début de l’hiver suivant, que le petit pull réapparut. Lucie avait décidé de ranger ses armoires, et c’est en sortant sa pile de vêtements, qu’elle l’aperçut, tout au fond, et quelque peu avachi. Son cœur sauta dans sa poitrine, et les souvenirs affluèrent en se bousculant. Le pull était terne, tout mou, et une odeur fade de renfermé s’en dégageait. Lucie le déplia et l’ajusta devant elle. Elle poussa un profond soupir. Dire qu’il y avait moins d’un an elle rentrait dedans ! Lorsqu’elle pensa à ses formes actuelles plus que généreuses, elle se dit qu’elle serait bien en peine d’y rentrer à nouveau !
Elle restait immobile, songeuse au milieu de la chambre. Puis un léger sourire se dessina sur son visage. Elle replia soigneusement le pull et l’emporta à la panière à linge. Elle pensa : « Toi, il faudra que je te lave ! ». Puis elle descendit à la cuisine, engloutit d’un coup quatre carreaux de chocolat aux noisettes, et dit tout haut pour elle-même :
—Ce sont les derniers. Promis, juré ! Demain, je commence un régime, et dans deux mois, pour le mariage de Stéphane, je mets mon petit pull fuschia !

Joyeux anniversaire !

Le vingt huit juin, un peu avant midi, il m’est arrivé une chose incroyable, que je ne suis pas prêt d’oublier : je suis mort ! Oui, mort ! Laissez-moi donc vous raconter.
Nos invités, Franck, Julie et Nono allaient bientôt arriver. Le tajine mijotait sur le feu, l’apéritif était installé sur la table basse et je mettais la dernière main à l’entrée. Ma spécialité, les petits choux au fromage. Alignés sur la tôle beurrée, ils attendaient le dernier moment pour être enfournés. Je commençais à nettoyer la salade lorsque Maria entra dans la cuisine.
—Chéri, tu as bientôt fini ? Il faudrait installer la table au jardin.
—Une petite seconde, mon amour, je finis de préparer la verdure et j’y vais !
—Oui, mais fais vite, ils vont être là d’un instant à l’autre et tu n’as pas encore dressé la table !
Agacé, je pensai : « Tu peux peut-être le faire, toi ! » Mais je savais bien que Maria attendrait que j’aie terminé, plutôt que de mettre la main à la pâte. Maria adore donner des ordres. Maria n’aime pas aider. Je m’abstins toutefois de faire la moindre réflexion. Maria est très susceptible.
Je poussai un bref soupir et m’essuyai sommairement les mains. Je me retournai. Dans ma précipitation, je heurtai le robot ménager qui bascula du plan de travail. Alors, tout s’enchaîna. Par réflexe je voulus rattraper l’appareil mais ne réussis qu’à agripper le cordon électrique. Celui-ci était endommagé : mes mains humides se retrouvèrent au contact des fils dénudés que je n’avais jamais pris le temps de rafistoler ! Or, le maudit appareil était branché … Une terrible douleur me traversa et la secousse qui suivit me projeta violemment au sol. Un silence opaque m’enveloppait. J’avais l’impression d’avoir le corps entier dans du coton. Puis, peu à peu des sons apparurent : le pépiement d’un oiseau, le souffle du vent, une tondeuse lointaine … Soudain, un hurlement domina l’ensemble. Je reconnus la voix de Maria. Sans doute attirée par le bruit de chute du robot, elle venait de me découvrir à terre. Le cri aigu s’étrangla dans sa gorge. Elle se jeta sur moi, me secoua, hurla mon nom. Ankylosé, je ne pouvais réagir. Elle sanglotait et l’expression d’horreur sur son visage ne me laissa aucun doute : je venais bel et bien de passer de vie à trépas en quelques secondes !

******

Il y a maintenant six ans que Maria est veuve. Depuis, tous les vingt huit juin, Franck, Julie et Nono se joignent à elle pour commémorer le triste événement. Au début, je me disais que c’était un peu macabre, tout ça et que Maria n’était vraiment pas obligée de se livrer à ce morbide anniversaire. Seulement voilà, il se trouve que j’en bénéficie et je dois dire que ça ne me déplait pas. Parce que, voyez-vous, le jardin d’Eden est fort agréable, là n’est pas la question, nous avons tout ce que nous voulons, nous sommes vraiment gâtés, mais il faut reconnaître une chose : à la longue, l’éternité, c’est un peu monotone ! Et puis, Dieu que c'est long ! Sur mon insistance, St Pierre m’a autorisé à redescendre sur terre tous les vingt huit juin — invisible, bien sûr — afin de prendre part aux retrouvailles. Je suis aux anges (si je puis dire !) d’autant que Maria a poussé le recueillement jusqu’à présenter le même menu que le jour fatal. Moment d’émotion, j’écrase une petite larme échappée …
Mais au fil des ans, l’atmosphère change, s’allège, la tristesse s’atténue, la gaieté gagne du terrain. Un changement subtil qui me chagrine. Certes vous me direz — je vous entends d’ici — six ans, ça fait beaucoup, il faut bien qu’elle retrouve un peu de joie de vivre, la pauvre ! Oui, sauf que six ans, au regard de l’éternité, c’est rien du tout ! Et moi, ça me chamboule de la voir rire avec les copains !
Aujourd’hui, la conversation concerne le tajine. Maria a oublié les oignons ! Pff… De mon vivant, c’était moi qui cuisinais. J’aimais ça et j’étais un sacré cordon bleu ! Maria n’a jamais voulu s’y mettre. Entre parenthèses, c’était moi aussi qui faisais les courses et le ménage ! Maria n’a jamais aimé. A ma mort elle a bien été obligée pour la cuisine, mais il faut reconnaître que ce n’est pas une réussite ! Oublier les oignons dans le tajine ! Et Nono qui lui dit que ce n’est pas grave ! Comment pourra-t-elle progresser ? Julie demande dans quel tajine on met des pruneaux. Nono explique. Tiens, j’ignorais qu’il savait cuisiner celui-là ! Nous n’avons jamais parlé gastronomie ensemble … C’est drôle comme je redécouvre mes amis depuis mon décès !
Maria écoute Nono religieusement. Je dirais même qu’elle le dévore des yeux. Je ne me souviens pas qu’elle m’ait jamais regardé de cette façon … Mais… je rêve ? Nono aussi la mange du regard ! Maria et Nono ? Nooooon, pas possible ! Ça ne va pas du tout ! Il faut que les choses restent ce qu’elles ont toujours été. Et que tous les vingt huit juin, le repas soit comme d’habitude, et avec moi dans le rôle du mari ! Oui, bon, je sais, je suis mort, et Maria n’a jamais été l’épouse idéale. Je m’en suis souvent plaint : autoritaire, paresseuse, futile … Mais c’était la mienne ! « Ma » femme ! Il n’est pas question qu’elle devienne celle de Nono !
Le repas tire à sa fin. Le dessert fait son apparition. Mais… j’hallucine ? Un clafoutis ! Fait maison, avec les cerises du jardin ! « Mes » cerises ? Oh non, pas ça ! Pas « mes » cerises ! Alors Nono va tout s’approprier, « ma » femme et « mes » cerises ! Là, c’en est trop, je sens la colère bouillonner dans mes veines. J’ai envie de hurler.
Dehors, de gros nuages s’amoncellent à l’horizon. L’orage menace. Un éclair zèbre le ciel. Soudain, un grondement de tonnerre retentit au dessus de nos têtes. Puis des gouttes, de grosses gouttes plates viennent s’abattre sur la table de jardin. Bientôt, une pluie lourde force Maria et ses invités à rentrer précipitamment, en emportant avec eux le clafoutis détrempé. Bien fait ! Ah, je m’amuse ! Dans la maison, la pénombre a envahi l’espace. Franck, le plus près de l’interrupteur du salon l’actionne. Rien.
—Zut, les plombs ont sauté ! Maudit orage ! Et dire qu’il faisait si beau ce matin !
—Oui, c’est embêtant ! Nono, tu veux bien aller rétablir le compteur ? Susurre
Maria. Le fond de sa voix n’admet pas une réponse négative. Je vois les dents blanches de mon ex-copain se dessiner en sourire dans l’ombre de la pièce.
—Euh … oui, j’y vais ! Et Nono se dirige vers le garage, où se trouve l’armoire électrique.
Cette vieille bicoque, nous l’avons achetée avec Maria, un an après notre union, nous l’avons retapée années après années, avec amour. C’était presque une ruine et nous en avons fait notre nid d’amour, notre « chez nous » Je n’ai pas eu le temps, hélas, de refaire le circuit électrique, défectueux depuis le début ! Dommage … Comme me le disait toujours Maria :
—Tu es d’un négligent, mon pauvre ami !

jeudi 3 juin 2010

Procrastination.

Déprimée. Je suis. Chez la copine de ma fille, on voit la Tour Eiffel par la baie vitrée du salon. Pas chez nous. Chez la copine de ma fille, il y a des crêpes au Nutella et de la salade de fruits au petit déjeuner. C’est la mère de sa copine qui se lève avant tout le monde pour leur préparer ce menu de rêve. Moi j’aime trop mon lit pour ne pas en profiter au maximum, alors ma fille mange des céréales. Qu’elle se sert elle-même, tant qu’à faire. Mauvaise mère, je suis. La mère de la copine de ma fille doit être le genre de femme dynamique, attentionnée et performante que je ne suis pas. Sa maison doit reluire dans le moindre recoin, la chasse à la poussière et au désordre, certaines en font un sport national. Je ne suis pas particulièrement sportive. Ce n’est que péniblement que ma pile de repassage diminue et les chaussettes, que je ne repasse pas, tant pis pour elles, il faut aller les extirper du bac où elles s’accumulent. Les culottes aussi. La mère de la copine de ma fille travaille à l’extérieur. Moi je travaille à la maison la majeure partie du temps. Entre deux préparations de cours, quelques lectures et commentaires de textes et la rédaction d’articles, je pourrais trouver le temps de manier l’aspirateur ou la serpillère, d’étaler une lessive… Je pourrais. Mauvaise ménagère. Je suis. Ma maison n’est pas nickel sauf quand une frénésie de nettoyage me prend et là, il faut que tout soit plus que parfait, mais c’est épisodique. Je fais les choses quand j’en ai envie ou que je ne peux plus faire autrement. Dans l’urgence, souvent. La chemise ou le jean repassé en catastrophe juste avant de partir, c’est moi.
Hier, c’était la journée de la procrastination. Je me suis sentie comprise. Enfin. Y en a donc d’autres comme moi. C’est rassurant. Et puis, non sans humour, ma fille m’a dit : « Mais maman, tu sais bien que c’est toujours mieux chez les autres ! »

lundi 26 avril 2010

Une maman.

Quand vers 9 ou 10 mois, votre bout de chou, d’une petite voix hésitante prononce pour la première fois « maman », vous vous sentez toute chose à l’intérieur, attendrie jusqu’au bout du cœur.
Et puis au fil du temps, vous l’entendrez bien des fois ce mot qui vous désigne. Du premier « mama » béat du bébé qui s’essaye à parler au « maman ! » impérieux du bambin qui exige, il vous sera seriné sur tous les tons, quelquefois jusqu’à l’exaspération, jusqu’à l’envie de ne plus être, juste un instant, celle qui pourvoie à tout et qui doit s’effacer derrière sa progéniture. Etre une maman, avant d’être une femme, et pas que pour 20 ans, comme certains disent…
Sécher les pleurs du petit qui s’est fait mal, calmer la colère du grand que son cadet embête, panser la déception devant le contrôle désastreux et pourtant si bien préparé, discuter jusqu’à pas d’heure sur le monde tel qu’il va avec un ado qui découvre la vie, colmater les maux d’estomac du premier chagrin d’amour avec de l’Efferalgan (totalement inefficace, je vous le dis tout de suite…) aller faire les boutiques et rester des heures dans les magasins de chaussures avant de ressortir sans rien, remettre la chaine du vélo qui a déraillé, recoudre les boutons de la veste qu’on vient d’acheter, supporter les portes qui claquent parce qu’on a osé dire « non ! », s’entendre dire que les autres mamans sont bien plus cool, que les copains, eux, ont le droit de faire ce qu’ils veulent, que les copines, elles, sortent le soir à 12 ans, aller voir les profs et entendre encore, la honte au front, que « non, ça ne peut pas continuer comme ça ! » … S’emporter, crier, lever la main quelquefois, douter, s’inquiéter, pleurer aussi, lorsqu’ils sont couchés… C’est tout ça être maman. C’est aussi couvrir de bisous un bambin qui rit aux éclats sous la chatouille, c’est le regarder se barbouiller de fraise et en réclamer encore, c’est courir dans le jardin en poussant des cris pour échapper au tuyau d’arrosage, c’est attraper des fous rires monstrueux juste au moment où il ne faudrait pas, c’est se regarder et savoir, sans rien se dire, qu’on pense la même chose, c’est danser sur les mêmes airs, essayer les mêmes vêtements, regarder les mêmes séries débiles, les critiquer et en rire, c’est faire des gâteaux d’anniversaire, le prendre dans ses bras et respirer son odeur sucrée de petit d’homme, serrer bien fort sa main dans la vôtre le premier jour d’école et le laisser aller, comme un grand qu’il dit déjà être, c’est acheter du maquillage parce que… oui, elle a l’âge, déjà… c’est… tellement de choses… tellement plus que ça… C’est vouloir quelquefois que le temps les fasse grandir plus vite, et puis qu’il les fasse redevenir petits… c’est contradictoire une maman, c’est imparfait, pas toujours adroit, pas toujours juste non plus, c’est pas comme dans les livres de Dolto, une maman, ça s’énerve plus souvent qu’il ne faudrait, oui… mais c’est leur maman, elle et pas une autre, la leur, la seule… c’est moi.

jeudi 8 avril 2010

mardi 30 mars 2010

Au four et au pétrin.

Un texte né d'un jeu sur "A vos plumes". Quatre phrases tirées d'oeuvres connues, à insérer dans une histoire en 3000 caractères. (les phrases sont en gras).


Paulette Lestafier n’était pas si folle qu’on le disait. A presque 68 ans, on pouvait parfois douter qu’elle possédât toutes ses facultés mentales. A la voir courir au petit matin, le pied chaussé de ballerines, en jupe et chemisier fleuri, ses voisins avaient fini par s’en persuader. Mais elle allait rendre visite au boulanger, son ami Pedro Santana. Tôt levé, il pétrissait avec énergie, ses biceps luisant de sueur dans la chaleur du fournil. Sa toque immaculée, son marcel immaculé, son tablier immaculé et son visage blanc de farine attendaient tous les matins Paulette à 6 h. Une baguette odorante trônait sur une table, près d’une thermos de café et d’un pot de confiture. Dès que Paulette apparaissait, Pedro s’interrompait et ils prenaient ensemble le petit déjeuner. Un rituel qui durait depuis 25 ans. Mais ce matin-là… Peu avant l’aube, Pedro Santana fut réveillé par la lampe à pétrole qui fumait. Une odeur âcre se répandait dans la chambre. Pedro moucha la chandelle, s’habilla et descendit. La vaste pièce était plongée dans l’obscurité. Seule une faible lueur de jour naissant venait caresser le bord du pétrin. Le boulanger luttait contre ses sentiments. A 52 ans et malgré l’amour qu’il avait de son métier, il n’était pas satisfait. Pas plus de ça que de sa vie. Il rêvait d’autre chose… Il se mit néanmoins au travail, lorgnant de temps en temps sur la pendule. Lorsque Paulette arriva, sa décision était prise.
Au milieu d’une tartine, il demanda :
—Connaissez-vous le nec plus ultra en matière de transport ?
Paulette s’arrêta de mâcher et le fixa, une lueur interrogative dans le regard.
—Le train, ma chère, le train ! N’avez-vous jamais rêvé de prendre l’Orient Express ? Ou le Transsibérien ?
La vieille dame ne le quittait pas des yeux. Où voulait-il en venir avec ses questions ? Il reprit :
—Partons ! Allez préparer vos bagages et revenez. L’agence ouvre dans deux heures, ça nous laisse le temps.
Paulette faillit s’étrangler avec sa gorgée de café. Pedro devenait fou ! Mais l’enthousiasme du quinquagénaire eut raison de ses réticences. Les deux amis se retrouvèrent bientôt sur le trottoir, à héler un taxi, sous les yeux ébahis de Becky, la vendeuse de la boulangerie.
—Monsieur Santana, où allez-vous ? Je vais manquer de pain, moi ! Vous revenez quand ?
Une Mercedes s’arrêta à leur hauteur. L’homme au volant sortit la tête par la vitre et dévisagea le trio, particulièrement la jeune vendeuse. « Si ses miches de pain sont aussi appétissantes que sa personne… » Le chauffeur de taxi se disait que Becky était un beau morceau. Pedro était pressé. Il fit asseoir Paulette, prit place à ses côtés et demanda à l’homme de démarrer. Alors il prit son élan et débita d’une traite :
—Ça fait 38 ans que je respire la farine, 25 qu’on se retrouve tous les matins dans mon fournil. Je n’en peux plus Paulette ! Nous nous aimons depuis 27 ans et jamais je n’ai eu le courage de vivre cet amour au grand jour. Aujourd’hui, j’ai honte de moi. Je vous aime et tant pis pour le qu’en dira t’on. Il n’est pas trop tard, je veux vivre ! Nous allons voyager en train de luxe, n’importe où et nous nous marierons !
Pedro tenait les mains de Paulette dans les siennes. Sa voix tremblait et dans ses yeux, tout l’amour du monde se lisait.

samedi 27 mars 2010

Double pontage.

Salut Freddy,


Surpris, hein ? Et oui, c’est ton vieil oncle qui prend la plume pour t’écrire. Bah, mieux vaut tard que jamais et une fois n’est pas coutume ! Mais trêve de bons mots. Sais-tu d’où je t’écris ? De la chambre d’hôpital où mon frère (ton père, entre parenthèses) est en ce moment locataire. Et devine quoi ? Son opération du cœur s’est passée à merveille ! C’est bien simple, on ne dirait même pas qu’il a été opéré hier matin. Non, parce que si je te précise ce détail, c’est au cas où ça t’intéresserait … vu que tu n’as pas daigné prendre la moindre nouvelle … Il n’y a pas le téléphone au Canada ?
Pour l’instant il dort. Sa respiration est calme. Nous pensons, ta mère et moi – tu te souviens que tu as une mère ? – qu’il se remettra vite et n’encombrera ainsi pas trop longtemps les services hospitaliers toujours surchargés …
Ce double pontage, il l’attendait depuis un moment et figure-toi que sa santé actuelle, aussi bonne qu’elle puisse être, n’a pas toujours été florissante ! On a même cru qu’il allait se retrouver à la morgue, allongé dans un tiroir en inox, le gros orteil orné d’une étiquette ! Dieu merci, nous avons échappé à ce scénario catastrophe.
Ton père va bien. Je ne te parlerai pas de son appétit légendaire, tu le connais. Sache que l’animal a réclamé à manger à corps et à cris dès son réveil ! Il a demandé de la pâtisserie ! Une envie de sucré, a-t-il dit ! Comme une femme enceinte ! Ah, et puis du boudin aussi ! Les infirmières en sont restées interloquées. Bref, comme tu le vois, pas de soucis, il est en forme.
Et pour toi, quoi de neuf ? Poursuis-tu toujours tes études ou as-tu fini par les rattraper ? Et côté filles, as-tu le vent en poupe, marin d’eau douce ?
Ah, ton père se réveille, je vais donc clore ma lettre ici. Ne me fais pas attendre trop longtemps de tes nouvelles, à mon âge, tu sais … Allez, je t’embrasse, mon neveu préféré !
Ton oncle préféré, Lucien.


Bonjour Tonton Lucien,

Je te rassure tout de suite : il y a bien le téléphone au Canada ! Même qu’il est moins cher qu’en France ! Et même que moins d’une heure après la fin de l’opération de papa, j’étais en ligne avec maman (il était 5 h du mat à Montréal : tu noteras l’effort !) Tu vois, ton neveu préféré n’a pas oublié sa famille !
Côté filles, si je te disais que j’ai rencontré une jolie esquimaude aux yeux bridés, qui va me faire visiter l’Alaska sous peu, tu me croirais ? Non et tu aurais raison … Quelle tristesse ! Je vais finir vieux garçon si ça continue …
Bon, il faut que je te laisse pour aller à la poursuite de mes études. A l’occasion, cher tonton, envoie-moi quelques billets, la vie est rude pour un étudiant sans le sou ! Et puis, je ne veux pas embêter mon père avec ça, il doit être en forme le mois prochain, pour les vacances d’été, nos parties de foot me manquent …
Je te serre sur mon cœur, cher oncle préféré (le seul connu de moi !).
Ton neveu préféré (le seul que tu aies !)
Frédéric.

mardi 9 mars 2010

One Life Stand.

Hot Chip : chouette !


Bref, bref...

Lamentations.

"Libération" a publié jeudi dernier 4 mars, un article indiquant que de la publicité allait désormais être placardée sur le "Mur des Lamentations" à Jérusalem. L'annonce a de quoi choquer... Mais inutile de se lamenter, c'était une blague !!

Orthographe.

Lu sur "Paris Première", dans l'émission "Cactus" du 7 mars :
"La pomme de terre : pourquoi faire ?"
Faire quoi ? Que faire ? Pour qui, pour quoi ? C'est plus qu'une coquille, c'est une épine... de cactus !

Tapis... roulant.

N. Sarkozy a monté un escalator au Salon de l'Agriculture, mitraillé par les photographes. Mais l'accueil du public n'a pas été à la hauteur de ses attentes : il n'y avait pas de tapis rouge ! Ben oui, c'était pas le Festival de Cannes...

vendredi 5 mars 2010

Coucou maman !

Vous avez remarqué comme les femmes, lorsqu’elles parlent entre elles, en viennent toujours, à un moment ou à un autre, à raconter leur accouchement ? Un peu comme les hommes s’étalaient sur leurs souvenirs de bidasse du temps du défunt service militaire…
Donc…,
Mon fils était du genre pressé. De voir le monde probablement ou bien la tronche de ses parents. Allez savoir ! Si on l’avait écouté, il serait né à 4 mois et demi de grossesse. Faut pas pousser quand même ! (c’est le cas de le dire…)
Résultat pour moi : plus de trois mois allongée sur le canapé du salon, les pieds surélevés, à faire reposer « monsieur » pour qu’il ne se tire pas en douce. Avec pour seul lien social les pantins de la petite lucarne… Palpitant ! (et des livres, heureusement, c’te blague !)
Arrive le neuvième mois et enfin l’autorisation de sortir, pour nous deux. Et oui, mais… « monsieur » Bébé n’est plus décidé ! Il boude ou quoi ? A 4 mois et demi il était prêt et maintenant il se fait prier ? C’est quoi ce travail ? (hahaha !!!)
Là, je vous sens tendus, ne niez pas, le suspense est insoutenable. Le fiston va-t-il se décider ? Vous voulez savoir, hein ? Ben… oui. Douze jours avant la date prévue, il a daigné pointer son nez. Bonjour le monde.
Cinq ans plus tard… c’est la petite sœur qui nous joue le même scénario. On pourrait penser qu’elle a été plus sympa, elle a attendu le sixième mois pour se manifester. Oui, ok, mais elle, c’est tout droit à l’hôpital qu’elle m’a envoyée. Pas de pitié ! Le canapé du salon n’était sans doute pas assez bien…
Quand, deux mois plus tard et après maints petits plats diététiques concoctés par l’administration pénit… euh hospitalière, j’ai enfin réintégré la position debout, la fifille est descendue (et en ascenseur en plus !) sans tambour ni trompette, avec 24 jours d’avance !
Remarquez, je crois que c’est une histoire de famille. Un peu comme une tradition… Moi-même, je suis arrivée en mai alors qu’on ne m’attendait qu’en juillet. Et le papa de mes deux impatients a préféré août à septembre… Pourquoi ? Aucune idée ! Cette fameuse tradition sans doute.
Bref, tout ça pour vous dire qu’un accouchement, c’est une véritable aventure : l’inconnu, puis la surprise, enfin la découverte. Et puis tiens, puisque je sens que ça vous intéresse (si, si, ça vous intéresse…) la prochaine fois, je vous raconte ma péridurale !

jeudi 4 mars 2010

Das Modell.

Un groupe électro que j'aime beaucoup, particulièrement cette chanson...

Desperate Househusband.

L’aube accroche des lambeaux gris à la fenêtre. Une pâle lueur découpe un carré clair sur le sol. Je me retourne dans mon lit. Encore une nuit sans sommeil. Une de plus. Je me demande ce qui est le plus dur, ne pas dormir ou trop réfléchir. Les pensées tournent en boucle sous mon crâne, accentuant chaque jour un peu plus la déchirure de mon âme. Pourquoi m’as-tu quitté ? Tu as brisé mes rêves en quelques mots tranchants comme des éclats de verre. Des myriades d’étoiles, froides comme la glace ont pris possession de mon cerveau. En rompant les vœux échangés il y a si longtemps devant monsieur le Maire, tu l’as fait exploser sans pitié, sans retour possible. Mes larmes, celles des enfants n’ont rien changé. Dépossédé de ce que j’avais de plus cher, je me morfonds, à la recherche de chimères. Oh, pauvre de moi, oublié, fatigué, trahi par celle en qui il avait déposé sa vie ! Comment pourrais-je maintenant simplement exister sans toi ? Mais je n’existe pas. Je n’existe plus. Pourquoi es-tu partie ?

Le jour se lève peu à peu. J’aperçois un pan de ciel laiteux, quelques nuages plus sombres. Il va faire moche encore aujourd’hui. Je me pelotonne sous les couvertures. En tournant un peu la tête, j’aperçois sur l’étagère au dessus de mon lit, mon porte-bonheur. Une petite boite en forme de tortue. Son bois vernis luit doucement dans la semi pénombre. En Chine, la tortue est signe d’une vie longue et heureuse. Longue et heureuse… Quelle ironie ! Le bonheur s’en est allé voilà plus de six mois, quand tu m’as quitté. J’aurais dû jeter ce symbole d’un amour éternel mais un lien invisible me lie à cette boite, me lie à toi. Elle est ma vie et ma mort. Mon espoir et mon désespoir. Elle est mon remords. Mon naufrage. On dit qu’elle cache dans sa carapace tous les secrets du ciel et de la terre.

Des mouvements derrière la cloison, des portes qui claquent, des mots murmurés, une chasse d’eau…. Il est sept heures et demie à ma pendule. Le jour s’éveille. Bientôt j’entendrai le pas de mes voisins, le grincement du bus au bas de la route, les appels dans le matin triste. Bientôt Marc frappera à ma porte. Et moi je n’aurai que l’envie de dormir, d’oublier.

******

Marc, son trousseau à la main arpente le couloir étroit. En enfilade comme des rangs d’oignons, les portes d’acier sont encore muettes. Le jour naissant lèche les murs de sa langue de clarté pâle. L’espace se comble de lumière blanche. Arrivé devant le lourd battant, l’avant-dernier de la file, Marc cherche la bonne clé, celle de la cellule de son détenu modèle, comme il dit. Dans le fond, il l’aime bien, ce détenu. Il en a vu défiler des prisonniers, en trente ans de carrière. Des voleurs, des tueurs, de sombres brutes, des durs de durs, mais des gosses aussi, pleurant dans la nuit en appelant leur mère. Trois erreurs judiciaires également…
Monsieur Richard est différent. Il ne se mêle pas aux autres, il vit en marge. Il parle à mots pesés, à mots feutrés. On dirait qu’il rêve en paroles, il hésite, raconte et se raconte et Marc, souvent, n’ose l’interrompre. Il raconte sa vie, celle d’avant, sa femme, ses enfants, le divorce… L’incompréhension aussi… Alors, un gouffre de tristesse noie son regard sombre. Il parle souvent de la Chine, où il a vécu et d’où il a ramené cette tortue porte-bonheur dont il ne se sépare jamais. Une drôle de petite boite. En bois. Marc pense qu’il lui faudrait plutôt un gri-gri de réconciliation avec lui-même, pour lutter contre sa souffrance intérieure. Au fond, Marc a pitié…

Aujourd’hui débute le procès de monsieur Richard, on l’accuse d’avoir tué sa femme et ses enfants. Il promet d’être long, il y a tant de zones d’ombre… L’homme va-t-il parler, expliquer, se justifier, et se libérer enfin du poids de son crime ? Si crime il y a… ce qui n’a jamais été prouvé. On n’a pas retrouvé de corps, sa famille est officiellement « disparue ». D’ailleurs, Monsieur Richard a toujours nié. Il ne supportait pas son divorce, mais il aimait toujours sa femme. Elle l’a quitté mais il l’aimait. Et puis, il le répète souvent, les corps n’ont jamais été retrouvés.

La bonne aventure.

Il avait dit ça sur un ton sépulcral qui m’avait glacée. J’ai même cru avoir mal compris et je lui ai demandé de répéter.
—Vous avez du poison dans le cœur, mademoiselle. »
La même voix d’outre-tombe. A ce moment-là, j’ai maudit Charlotte. Quelle idée elle avait eu de m’entrainer au Salon de la Voyance ! Et pourquoi, gourde que j’étais, avais-je accepté ? Je n’ai jamais cru à tous les boniments de ceux que je traite volontiers de charlatans. Ils profitent de la crédulité des gens pour faire du fric. Mais il faut croire que Charlotte a trouvé des arguments convaincants. Pas eu le temps de dire ouf que je déambulais au milieu de tentes de toile bleu marine parsemées d’étoiles et de lunes dorées. Des cartomanciennes vêtues de pagnes rouges laissant apercevoir leur nombril, des astrologues squelettiques, barbiches pointues et bras croisés sur leur maigre poitrine, d’autres qui semblaient tout droit sortis d’un film d’horreur, tous invitaient le chaland à pénétrer dans les cavernes où l’Avenir avec un grand A leur serait dévoilé. Le cliché parfait ! Charlotte, surexcitée, pépiait comme une mitraillette à mes côtés.
—Tu devrais y aller, je t’assure ! Il y a un fond de vérité dans leurs prédictions. Et puis 20€ c’est pas ruineux, non ? Je suis sûre que tu dépenses plus que ça en paquets de cigarettes !
Là, elle marquait un point… Pour avoir la paix et surtout pour qu’elle arrête son blabla d’arme à feu sur talons aiguilles, je me suis laissée pousser sous l’une des tentes. Une atmosphère lourde chargée d’encens, une pénombre épaisse, des lueurs diffuses dans un coin… je me suis demandée dans quel mauvais film j’avais atterri ! Mais plus moyen de reculer ! Des doigts maigres ont agrippé mon poignet et m’ont dirigé vers une chaise au dossier raide. Un frisson m’a parcouru l’échine. Malgré moi, l’appréhension me tenaillait. Mais qu’avais-je donc à craindre, puisque cet homme n’était qu’un charlatan ?
Il a commencé par me tirer les cartes.
—Tss, tss… pas très bon ! a-t-il proféré de sa voix caverneuse. Vous traversez une mauvaise passe, vous connaissez actuellement des problèmes de couple.
Bravo ! Venir ici pour m’entendre dire ce que je sais depuis six mois ! Que Xavier et moi, ce n’est plus ça ! Fortiche le voyant ! Il a ensuite tiré une boule en verre dépoli de sous la table et l’a caressée de ses mains décharnées. C’était d’un kitsch ! L’homme semblait vouloir capter l’essence de la sphère blanche. Soudain, il a eu un mouvement de recul qui m’a fait sursauter et il a prononcé la fameuse phrase. Tremblante, je restais clouée à ma chaise sans pouvoir articuler un mot. Comment ça, du poison dans le cœur ? Ensuite, tout est allé très vite. Le mage m’a arraché mon billet de 20€ et l’a enfoncé dans sa poche. Puis il m’a fait sortir, a appelé la personne suivante et je me suis retrouvée sous les lumières crues du hall, face à Charlotte qui répétait « Alors ? Alors ? Mais raconte, quoi !»

******

Pourquoi ai-je repensé à cet événement presque 5 ans plus tard ? Parce que je sors demain ? Parce que mon avocat avait évoqué la fatalité, le poids d’un destin inéluctable et contraire ? Sans doute… Ma chère Charlotte, tu désirais tellement savoir si j’allais divorcer ! Et bien non. Mais sache que le mage avait raison j’en suis convaincue aujourd’hui. Ce fameux poison a fini par déborder de mon cœur jusque dans vos verres à Xavier et à toi. Et ironie du sort, tu es maintenant à jamais auprès de lui. C’est ce que tu voulais, non ? Alors, puissiez-vous rôtir en enfer tous les deux !

Ouverture facile.

Le vendredi matin chez nous, c’est jour de courses. Pas le PMU, hein ! Non, juste le frigo vide qui fait sa dépression hebdomadaire et demande à être renfloué. Et je ne sais pas vous, mais moi, choisir l’alimentation, la lessive et tout le reste, (les chrysanthèmes aussi, c’est la saison, il y en a plein dans mon supermarché !) je ne trouve pas ça palpitant. Mais il faut bien se nourrir ! Alors je me facilite la tâche. Les légumes surgelés font très bien l’affaire. Ils sont même plus frais que frais parce qu’ils n’ont pas traîné des jours dans les transports, des heures à Rungis et encore sur le marché pendant … longtemps. La viande, le fromage et le poisson pré-emballés, c’est très bien aussi, ça évite de faire la queue à la coupe et de se coltiner la ménagère qui ne sait pas ce qu’elle veut et qui met trois heures à choisir. Sans parler de la crémière qui s’obstine à vous couper un morceau de Roquefort gros comme un Petit Larousse alors que vous lui répétez depuis deux heures que vous n’en voulez qu’une feuille de papier Bible ! Et qui vous lorgne, en plus, d’un air sinistre ! Bref, en une heure chrono, il faut que mes courses soient bouclées, je n’ai pas que ça à faire.
Je disais donc que je me simplifiais la vie. Et pour ça, il y a les paquets, boites et sachets à ouverture facile. Mais là, je ne sais pas si je fais bien. Parce que, en fait d’ouverture facile … Je ne me ronge pas les ongles, mais je les coupe. Pourtant, si je les gardais longs, j’arriverais sans doute mieux à soulever la languette des sachets de jambon et autres lardons allégés ! Après avoir trouvé quel angle était le bon, évidemment, parce que ce n’est pas toujours indiqué. Vous rigolez, ce serait trop facile ! Ben justement … Et les paquets de café, vous les avez déjà ouvert sans en renverser la moitié sur la table ? Et les sachets d’emmenthal râpé qui ont une petite encoche … déjà, il faut la voir l’encoche, (bon, ok, je suis un peu presbyte, mais quand même… ) et quand on tire dessus, on a de la chance si ça marche ! Même chose pour les paquets de fruits secs … Et pourtant eux aussi en ont une d’ouverture facile ! De quoi hurler ! Pour ma part, les ciseaux font mieux l’affaire. Et je ne parle même pas des boites de conserve avec le petit crochet métallique à soulever et tirer ! Une fois sur deux, le truc me reste dans la main ! En plus, ça fait mal au doigt … Non, franchement, leurs inventions ne sont pas au point à ce niveau. On dit que les cerveaux français filent à l’étranger, ben c’est confirmé…
L’autre jour, j’ai acheté une soupe en brick. Très pratique et bonne, en plus. Ça réchauffe bien, en hiver, quand il gèle dehors. J’allais attraper mes ciseaux quand j’ai vu écrit, devinez quoi ? « ouverture facile ». Il y avait des pointillés sur le dessus du paquet et il suffisait de tirer le long de ceux-ci pour ouvrir la brick. Prise d’une subite envie d’essayer, je repose ma paire de ciseaux et entreprend de suivre les instructions. Au début, pas de problèmes, mais voilà qu’à mi-chemin, ça bloque ! Allons bon, qu’est-ce qui se passe ? Je tire un peu plus fort : rien. Encouragée, je tire encore plus fort. D’un seul coup le morceau de carton se détache jusqu’au bout et le « potage de grand-mère » jaillit comme un geyser ! J’en ai plein les doigts et ça dégouline sur le plan de travail ! Je vous épargne le chapelet de jurons qui s’en est suivi, le nettoyage de la cuisine et mon bol de soupe amputé de la moitié de son contenu… Quand je vous disais que j’aimais me simplifier la vie !

mardi 16 février 2010

Faire le vide.

« Ça y est, je suis dans la place et personne ne pourra m’en déloger. J’ai commencé mon œuvre et j’irai jusqu’au bout. Tel un acteur, je déboule sur scène. Mon numéro est au point. C’est toujours le même rôle et pourtant c’est chaque fois différent. Une nouvelle création mais le même plaisir. Je suis à la fois l’auteur, le metteur en scène et le comédien. Je suis le maître du jeu. Je lui donne la réplique et je lui souffle son texte.

Elle : D’où viens-tu à cette heure ? Et ne me raconte pas d’histoire, je sais quand tu mens.

Il hausse les épaules, dit qu’elle se fait des idées. Qu’il ne ment pas. Qu’il avait du boulot en retard. Que si elle continue ses jérémiades il n’aura même plus envie de rentrer. Qu’elle le fatigue et que, tiens ! Il va de ce pas se coucher. Il se dirige vers l’escalier Mais il n’aura pas le dernier mot, elle ne lâchera pas aussi facilement. Je suis là pour l’aider.

Elle : C’est trop facile, tu refuses le dialogue, comme à chaque fois ! Tu ne t’en tireras pas comme ça, il faut qu’on discute !

« Tu veux discuter ? Discutons. Mais je t’assure qu’il n’y a rien à dire… » J’admire son sang froid. Il est fort, l’animal, mais nous sommes deux et nos arguments sont inépuisables.

Elle : Ça fait presque deux semaines que tu rentres tard tous les soirs. Tu ne me feras pas croire que c’est pour le travail ! Tu as une maitresse ! Avoue donc au lieu de me regarder sans rien dire !

Sa voix est montée dans les aigus, un sanglot s’est échappé… Bien joué ma belle ! Et maintenant, on va sortir La grande scène du Trois ! Je sais mon texte sur le bout des doigts et je le lui susurre à l’oreille…

Elle : Je ne supporterai pas que tu m’humilies de la sorte. Je ne suis pas de ces femmes soumises qui acceptent de se laisser bafouer par un macho qui perd la tête à la vue du premier jupon qui passe ! Si tu ne mets pas fin à cette liaison, je te quitte ! Je travaille moi aussi, j’ai assez d’argent pour vivre !

Il la fixe sans dire un mot, soupire et lui tend son classeur ! Je savais bien qu’il n’aurait aucun argument valable ! Il dit : c’est le dossier sur lequel je bosse en ce moment. « La réintroduction des dauphins dans leur habitat naturel ». S’il compte l’amadouer ! Mais voilà qu’elle lit, qu’elle semble hésiter. Eh, ma belle, ne baisse pas ta garde ! La scène n’est pas terminée, ne me prive pas de mon apothéose !

Elle : Tu me jures que c’est bien vrai ?

Ah mais non, ça ne va pas, ça ! Ce ne sont pas les paroles ! Mais qu’est-ce qu’elle fait, elle sabote la pièce ! Et l’autre gandin mielleux qui lui sourit, lui assure qu’il l’aime comme au premier jour, qu’il n’aimera jamais qu’elle… Ecoeurant ! Reprends-toi, voyons ! Ecoute ce que je te souffle !

Elle : Mais tout de même, toutes ces soirées… et puis ta secrétaire est bien jolie…

« Pas aussi jolie que toi, ma chérie ! » Voilà qu’il la prend dans ses bras et qu’elle cède, la garce ! Elle me trahit, elle ne m’écoute plus, je me sens faiblir. Elle n’a pas le droit, c’était notre duo ! Elle est convaincue par les propos de ce bellâtre, je le sens dans ma chair. Il l’a entraînée dans leur chambre, j’entends leurs soupirs. Je deviens transparent, j’ai peine à respirer. Bientôt je ne serai qu’un sentiment oublié. Ah traitresse, tu m’as volé mon heure de gloire ! Je me meurs ! »

Blessure.

J’ai pleuré. De frustration autant que de chagrin. De colère autant que d’impuissance. Lorsqu’on ne peut plus agir pour faire comprendre aux autres ce que l’on ressent, on pleure. C’est tout ce qui nous reste et c’est la seule chose à faire même si ça ne sert à rien. Parce que les autres s’en fichent de nos larmes, elles ne les touchent pas, ils continuent à nous juger, impitoyablement. Sans se rendre compte qu’ils ne savent rien de nous, que ce qu’ils jugent n’est qu’une apparence, une écorce, une carapace qui tient vaille que vaille tant qu’elle le peut, mais qui à la longue, se fissure, saigne lorsqu’on la blesse.
Malentendu, maladresse, ce ne sont que des mots qui tentent seulement de mettre une réalité sur des faits, de les faire concorder avec ce que l’esprit se représente des choses. Mais le cœur ne les entend pas. Il pleure lui aussi. Et lorsque les flots se gonflent, envahissent l’espace et menacent de déborder, lorsque l’évidence de leur inutilité vient vous cingler le visage, lorsque la vacuité même des mots vous apparaît, il ne reste plus qu’à déposer les armes, quitter le champ de bataille. Abandonner la partie. Et tourner la page…

mardi 9 février 2010

Meet Me Halfway.

Les Black Eyed Peas... Yeah !!!

Journée Portes Ouvertes.

Dès que l’homme s’était présenté à lui, Rémi avait pensé : « Qu’est-ce qu’il me veut, celui-ci ? Est-ce que je le connais ? » Mais il n’eut pas le loisir d’approfondir la question. L’homme, que l’on venait d’appeler, tourna la tête et s’éloigna. Rémi retourna à son poste d’observation. D’autres personnes arrivèrent. Des hommes, mais surtout des femmes avec des enfants. A chaque fois Rémi s’approchait, mais les gens ne lui demandaient rien. Tout au plus lui jetaient-ils un regard, un sourire.
La matinée passa lentement. Rémi s’ennuyait. Si au moins quelqu’un venait lui parler ! Mais personne n’avait besoin de lui. Les visiteurs franchissaient l’entrée, prenaient un formulaire sur la pile installée près de la porte, et se dirigeaient vers les bâtiments. Rémi se levait avec peine et les suivait quelquefois du regard, puis revenait s’asseoir à sa place en boitant.
Vers midi, il eut faim, mangea un peu et revint à son poste. Il sentait la fatigue, s’étira et bailla. « Une petite sieste peut-être » pensa-t-il. Il se mit à somnoler tout en surveillant l’entrée du coin de l’œil. Une douce torpeur l’envahit, engourdissant ses membres douloureux. Mais l’après-midi, les visiteurs étaient nombreux, et le sommeil de Rémi fut souvent interrompu. Il se résigna donc à rester éveillé. Pour s’occuper, il observait les gens qui entraient et sortaient. Les beaux jours étaient là, les tenues légères dominaient. Les jupes dansaient autour des jambes nues des femmes, les hommes exhibaient leurs muscles à l’orée des manches courtes. Le soleil brillait, on était bien.
Rémi soupira. Il changea de place, se mit plus en vue. Peut-être quelqu’un allait-il l’aborder ? Mais l’après-midi s’écoula sans que personne ne vienne le voir.
Vers le soir, l’homme qui s’était approché de lui le matin apparut dans son champ de vision. Malgré son œil qui larmoyait, le seul valide — il avait perdu l’autre dans une bagarre — il le reconnut. Il était accompagné d’une jolie jeune femme dont le parfum rappela aussitôt des souvenirs à Rémi. C’était elle qui s’était occupé de lui le jour de son arrivée. En claudiquant parce que son dos lui faisait mal, il s’avança vers elle. Il n’était plus tout jeune et le ressentait cruellement. Sa cuisse gauche était encore douloureuse.
L’homme tenait une mallette à la main. Il regardait Rémi avec une expression indéfinissable. Il posa la mallette. Puis, l’ayant ouverte, il en sortit un flacon et une seringue. Il enfonça l’aiguille dans le bouchon et aspira le liquide transparent. Puis il la retira et tapota le réservoir en poussant légèrement le piston, pour éliminer les bulles.
Pendant ce temps, la jeune femme avait appelé Rémi et le tenait fermement. Elle murmurait des mots apaisants.
—Bon, vous êtes prête ? On y va, dit l’homme.
Leurs yeux se croisèrent. La jeune femme détourna les siens. Rémi gémit un peu au moment de la piqûre.
—Voilà, c’est fait.
L’homme poussa un profond soupir. Les traits tirés, le regard sombre, il ajouta, comme pour se justifier :
—Il ne fait pas bon être un vieux chien borgne et boiteux, hein, mon Rémi ? Les maîtres ne se sont pas bousculé aujourd’hui. Et nous, on ne peut pas te garder.
Il caressait le poil rêche du chien, qui le regardait de son œil humide. Bientôt, l’animal s’endormit. La jeune femme pleurait.

lundi 8 février 2010

En bref...

Nuisances sonores.

Une anglaise de 48 ans vient d’être condamnée à 8 semaines de prison avec sursis pour des ébats sexuels trop bruyants.
Ben alors, la justice britannique n’aimerait-elle donc pas la musique de chambre ? Pfff…

Les voies du seigneur…

Lu sur le côté d’une camionnette d’artisan : « Entreprise Adam et fils »
Adam a réussi à embaucher TOUS ses fils ?! C’est du piston, ça encore… Mais ça fait diminuer les chiffres du chômage…

Babioles.

C’est drôle comme on peut garder des tas de petites babioles sans importances … Il y a quelques temps, j’ai entrepris un grand rangement sur mon bureau. J’avais accumulé tellement de choses que ça devenait indispensable. Et entre un vieux ticket de métro usagé, une note de pressing, une autre de supermarché, un papier à remplir et signer pour le collège, à rendre pour une date passée depuis longtemps et un tas d’autres paperasses inutiles, j’avais du boulot !
Et puis je suis tombée sur une liste de restaurants parisiens établie en vue d’une sortie avec une amie. Je me suis souvenue très nettement du temps et de la minutie que j’avais mis à rechercher tout cela sur Internet, allant jusqu’à recouper des avis de clients, pour juger de la qualité des différents établissements. Certes, mon amie n’attendait pas de ma part une telle précision et se serait contenté de quelques adresses sympas. Mais cette amitié était encore « fragile » et j’avais eu à cœur de faire les choses bien. Comme on dit : « l’amitié ça se cultive ».
Je crois qu’il m’avait fallu une matinée entière, peut-être un peu plus, pour faire cette liste. Quelle énergie pour quelque chose qui pourrait sembler exagéré, voire futile !
Et puis mon amie m’avait dit que finalement, elle ne serait disponible qu’en début d’après-midi. Nous n’avions pas mangé au restaurant. Déception. Depuis, et pour des raisons dont certaines m’échappent, notre amitié s’est distendue, liquéfiée. Un embryon si vite avorté … Etait-ce vraiment de l’amitié ou juste une image que j’avais rêvée si fort que je l’avais crue vraie ?
J’ai lu une dernière fois la feuille de papier, l’ai chiffonnée entre mes mains et, avec un pincement au cœur, l’ai jetée à la corbeille.

mardi 2 février 2010

Nocturna.

Moment de poésie...


lundi 1 février 2010

My Territory.

En attendant la sortie de leur prochain album (février en principe...) et pour patienter dans la bonne humeur, voici cet extrait :

Idées courtes...

(Au) Trou… de mémoire !

800 000 personnes en garde à vue chaque année.
800 000 personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.
Euh… non, ce ne sont pas les mêmes : les 800 000 premiers s’en souviennent, de leur garde à vue…


Chômage.

Après la suppression de l’histoire-géographie en Terminale S, voilà que l’on parle de supprimer le chapitre sur le chômage du programme de SES pour les secondes. Question au gouvernement : « Vous pourriez pas plutôt éradiquer carrément le chômage ? Hein ? Non ? Bon… »


Fashion week.

On ne voit que lui en ce moment et c’est bôôôôô… ! La Femme selon Jean-Paul Gaultier est colorée, graphique, mais vaporeuse, diaphane, fragile et sexy…, elle est beeeeeelle…
Au secours, j’ai plus rien à me mettre !!! Ah mais au fait, c’est encore les soldes… Ouf !

mardi 26 janvier 2010

Ce soir, au théâtre.

Les coulisses du théâtre étaient illuminées. Un va et vient bourdonnant emplissait l’espace. Voyant la porte de la loge de Sébastien entrouverte, Philippe toqua trois fois et entra.
—Coucou, c’est moi ! Alors, en forme ?
—Ouais, à peu près ! Si seulement ces satanés cheveux étaient moins récalcitrants ! Mais tiens, puisque tu es là, aide-moi donc à enfiler cette maudite perruque. J’attends la costumière depuis dix minutes, mais elle est occupée avec Josy. La star fait des caprices !
Tant bien que mal, la perruque fût enfilée puis ajustée sur la tête de Sébastien.
Comme il restait à peu près une heure avant l’entrée en scène, Philippe quitta son partenaire bouclé, et décida de s’offrir un café avant de rejoindre sa loge. Il mit une pièce dans la machine, l’entendit cliqueter en descendant, et bientôt, un gobelet en plastique apparut, suivi d’un bâtonnet blanc (une touillette, comme disait Sébastien !), de sucre en poudre, et d’un filet de café bouillant et mousseux. Le ronron de l’appareil se tut, et Philippe attrapa la timbale fumante. Adossé au mur, il but à petites gorgées précautionneuses le liquide trop chaud, les paupières mi-closes. Détendu, tranquille, il était bien. Il savait son texte sur le bout des doigts, il se l’était encore récité dans la voiture en venant. Il est vrai qu’au bout de cent représentations, c’était devenu un automatisme. Mais c’était toujours le même plaisir.
Philippe était heureux. Il aimait l’ambiance des grands soirs, cette agitation de ruche qui allait bientôt s’emparer du théâtre, le pas précipité des commis, les bras chargés de robes, de costumes, de boas multicolores traînant par terre… Il aimait la séance de maquillage, même s’il devait rester immobile, guettant les changements de son reflet dans le miroir. Il aimait jusqu’à l’odeur de poussière et de vieux tissu qui flottait dans l’air, et même mieux, il aimait aussi les cris et les récriminations de Josy, qui n’était jamais contente, et engueulait tout le monde quand elle était nerveuse. Il aimait, bien sûr, l’attente derrière le rideau, ce moment suspendu, quand les murmures de la salle s’apaisent peu à peu, juste avant l’entrée en scène. Bref, le théâtre c’était sa vie, et il n’en voulait pas d’autre.
Il rejoignait sa loge juste au moment où Agathe, la maquilleuse arrivait.
—Oh, Monsieur Philippe, je ne suis pas en avance aujourd’hui, il va falloir faire vite. Allons-y !
Philippe s’installa dans le fauteuil, abandonnant son visage aux mains expertes de l’artiste. Elle commença par le masser avec une crème qu’elle étirait des joues et du menton jusqu’aux tempes. Le geste à la fois vigoureux et doux n’était pas désagréable. Philippe ferma les yeux. La maquilleuse lui redessina les sourcils au crayon noir, masqua d’un peu de poudre les menues imperfections des ailes du nez, et lui appliqua trois tâches de rousseur sur les pommettes.
Soudain, Philippe fronça les sourcils. Machinalement, il se répétait des bouts de son texte depuis un moment. Mais, comme sur un disque rayé, toujours les mêmes répliques lui venaient à l’esprit. Il ne se souvenait de rien d’autre. « Quelle est la première phrase ? Tout à l’heure, je savais tout par cœur ! Ca va bien me revenir quand même ! »
Mais rien ne lui revenait. Cette première réplique, la sienne de surcroît, et qui aurait entraîné la suite du texte dans son sillage, s’était volatilisée.
Philippe faisait des efforts désespérés pour la retrouver. Il essayait d’imaginer la scène, la position de ses partenaires, leurs répliques à eux, le décor. Rien n’y faisait ! Le trou !
L’angoisse commençait à lui serrer la gorge. « Ce n’est pas possible, pas maintenant, pas ce soir ! C’est passager. Je suis sûr que c’est passager. Voyons. Ça parle de quoi déjà ? Mais bon sang, ça parle de quoi ?? Qu’est-ce qui m’arrive ? J’ai tout oublié ! »
Il rouvrit les yeux, et s’aperçut, l’air hagard, dans le miroir. La maquilleuse lui passait une houppette sur les joues. Concentrée sur son travail, elle fredonnait doucement.
Philippe avala sa salive et referma les yeux. Son cœur galopait dans sa poitrine. « Du calme, tout va bien. Agathe est là, tout est comme d’habitude, c’est la centième, y’a pas de problème. Voyons, … le début … »
Mais tout n’était pas comme d’habitude, les mots s’étaient envolés, et Philippe ne pouvait pas les rattraper. Et plus il se creusait la cervelle, moins il se souvenait. « Est-ce que c’est le trac ? Mais non, t’es débile, pas pour la centième ! Alors c’est quoi ? Perte de mémoire ? »
En proie à l’affolement, Philippe s’agitait sur sa chaise. Des gouttes de sueur perlaient sur son front. Ses doigts tremblaient, et il fut pris d’une brusque nausée. Il se pencha en avant, l’estomac retourné.
—Monsieur Philippe, ne remuez pas comme ça ! Je ne vais jamais y arriver !
La douce, la calme Agathe, se fâchait. « Et alors, qu’est-ce que ça peut me faire si elle y arrive pas ! Est-ce que j’y arrive, moi, à me souvenir de mon texte ? !! »
Philippe repoussa la main de la maquilleuse et se leva en chancelant.
—Il faut que je trouve Sébastien, je ne peux pas jouer ce soir, il faut tout arrêter, oui, c’est ça, tout arrêter !
—Quoi ? Monsieur Philippe, mais attendez, je n’ai pas fini !
Philippe ne répondit pas. Il se rua sur la porte de la loge. C’est à cet instant que Sébastien passa sa perruque bouclée dans l’entrebâillement. Il eut à peine le temps de se reculer pour ne pas entrer en collision avec Philippe.
—Eh ! Qu’est-ce qui te prend ? On a encore vingt minutes, c’est pas la peine de te précipiter comme ça !
—Ah, Seb, tu es là ! Il faut tout arrêter, je ne peux pas jouer !
—Qu’est-ce que tu racontes ? Arrêter quoi ? Dis, Philippe, tu es sûr que ça va ?
—Mais non, ça va pas. C’est ce que je me tue à te dire ! J’ai perdu la mémoire, je ne me souviens pas de mon texte, je ne peux pas jouer ce soir !
Philippe, les yeux exorbités, le visage livide, avait hurlé. Au bord des larmes, il se mit à marcher de long en large en gémissant, se tordant les mains d’angoisse. Un tic nerveux lui tordait le coin de la lèvre à intervalles réguliers. Tout son corps tremblait.
Sébastien, interloqué, le regardait.
—Tu as oublié ton texte ? Mais ça arrive à tout le monde, ce doit être un peu de trac, ça va aller, pourquoi tu t’affoles comme ça ?
Il jeta un coup d’œil à Agathe, qui, la houpette à la main, écarta les bras en signe d’impuissance.
—Mais non, c’est pas juste un peu de trac. Je vous dis que j’ai perdu la mémoire ! Vous comprenez rien de rien ! J’ai per-du la mé-moi-re ! Il faut annuler la représentation !
La voix de Philippe était montée dans les aigus et la sueur lui dégoulinait le long des tempes. Au bord du malaise, il s’assit par terre et appuya sa tête au mur.
Sébastien s’accroupit face à lui.
—Ecoute, vieux, tu sais bien qu’on n’annule pas une représentation théâtrale comme ça ! Ceci dit, tu m’as l’air bien mal en point. Tu paniques, là, et tu te déclenches des malaises. Alors tu vas te détendre, te calmer, et tout va rentrer dans l’ordre, d’accord ?
Puis, se tournant vers la maquilleuse :
—Agathe, vous pouvez aller chercher une serviette humide, et un calmant avec un verre d’eau, s’il vous plaît ?
Un quart d’heure plus tard, le cachet commençait à agir. Philippe, plus calme se laissait faire par Agathe, qui lui avait appliqué la serviette sur le front.
Sébastien consulta sa montre.
—Bon, faut y aller. Du courage, t’es un pro, oui ou non ?
Et, attrapant Philippe sous un bras, il l’aida à se mettre debout.
Certes, Philippe était un pro, mais il n’était pas sûr, dans son for intérieur, que tout allait bien se passer. C’était sans doute une grosse erreur que de jouer ce soir. Bien sûr, il se sentait mieux. Le calmant l’avait apaisé, il ne tremblait plus, et cette affreuse nausée avait disparu. Mais son texte ? Ce n’était pas pour autant qu’il s’en souvenait ! Il n’osait même pas essayer d’en ramener les phrases à la surface de sa mémoire, de peur de constater l’horrible vide qu’il pressentait. Si en scène, les choses se passaient mal, ce serait la catastrophe. Est-ce que Seb en était conscient ? Il n’eut pas à lui poser la question. Déjà, son ami l’entraînait à travers les couloirs. Il se retrouva face à la lourde tenture rouge. L’angoisse un instant dissipée réapparut. Il sentait à nouveau la nausée monter en lui. C’est ce moment que Sébastien choisit, dès l’ouverture des rideaux, pour le précipiter sur la scène, d’une franche poussée dans le dos.


*********


Philippe se réveilla en sursaut, en poussant un cri.
—Monsieur Philippe ! Vous avez bougé ! Regardez-moi ça, j’ai débordé ! Va falloir que je recommence !
Agathe était furieuse. Le trait rose qui devait souligner l’ourlet de la lèvre inférieure de Philippe, zigzaguait jusqu’au menton. Agathe jeta le crayon sur la coiffeuse, et à l’aide d’une petite éponge, entreprit de réparer les dégâts.
Philippe, la bouche ouverte, fixait le miroir d’un air hébété. On aurait dit qu’il cherchait à détailler chaque geste de la maquilleuse, ou qu’il la voyait pour la première fois.
—Où suis-je ?
Il tourna la tête et regarda autour de lui. C’était sa loge, familière, inchangée, avec le poster de Louis Jouvet au dessus du canapé.
—Monsieur Philippe, s’il vous plaît, vous voulez bien rester tranquille ?
Il reconnut la voix excédée de la maquilleuse.
—Agathe, quel jour sommes-nous ?
Agathe ouvrit des yeux ronds.
—Ben, vendredi 28 ! Oh là là, ça ne vous réussit pas de vous endormir au milieu du maquillage. On dirait que vous revenez de la planète Mars !
Philippe soupira. Il reprenait peu à peu ses esprits. Agathe en avait terminé avec les dernières retouches. Elle recula, scruta le visage de Philippe, puis satisfaite, hocha la tête en souriant.
—C’est bon, vous êtes fin prêt !
On frappa à la porte, et la perruque de Sébastien apparut.
—Allez, allez, on se dépêche, plus que vingt minutes !
Un goût amer de déjà-vu submergea Philippe.
—Dis, Seb, ça t’arrive de … enfin, de …
La phrase resta en suspens.
—De quoi ? T’en fais une tête !!
Philippe s’ébroua, et de la main, sembla chasser une mouche.
—Oh rien, laisse tomber !
Une drôle d’impression, un doute diffus le tenaillaient, et c’est la gorge nouée, un poids sur la poitrine, qu’il suivit Sébastien jusqu’à la scène. Le trac, un trac incontrôlable venait de lui tomber dessus ! Un trac de débutant, au bout de toutes ces années ! Il se souvint de la toute première fois, quand, le cœur battant et les mains moites, il avait fait son entrée devant le public. Et aujourd’hui, c’était comme cette première fois. Il se retrouvait derrière le rideau, les trois coups martelant ses tempes et titillant ses nerfs, la tête vide et pourtant si pleine. A grand renfort de prières intérieures, il espéra un miracle. Et le miracle vint, comme toujours. Dès que le rideau s’ouvrit et que les applaudissements crépitèrent, Philippe s’avança sur la scène et déclama son texte sans aucune difficulté. Les mots coulaient, libres, vrais, vivants. Philippe jouait. Philippe vivait. Et ce soir-là, une fois de plus, le public jubila.

Un crime quelconque.

Texte paru dans le n° 13 de la revue "Pr'Ose" (printemps 2009)


—C’est fini, princesse.
La panique de Léa reflua à l’instant même où elle l’entendit. La clef tourna dans la serrure et la porte s’ouvrit. Léa ferma les yeux, éblouie par la lumière crue qui se déversa dans la pièce. Elle perçut le glissement des pantoufles sur le parquet et bientôt une main attrapa la sienne.
—Tu peux sortir maintenant. Ta punition est levée. Et que ça te serve de leçon.
La fillette ouvrit peu à peu les yeux. Son père se tenait devant elle, sur le seuil. Elle se rappela soudain le poème de Victor Hugo : « Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir, pour un crime quelconque … ».
—Tu vois ce qui arrive aux petites filles désobéissantes, alors ne recommence plus.
L’enfant baissa la tête. Son cœur cognait dans sa poitrine.
—Allez, c’est fini maintenant. Viens faire un bisou à papa.
Son père s’approcha, lui releva le menton et se pencha vers elle. Léa sentait son haleine tiède sur son visage. Et aussi la senteur sucrée de son eau de toilette. Elle déposa un baiser rapide sur la joue tendue et esquissa un sourire.
—Là, c’est bien, princesse. Maintenant, va faire tes devoirs.
Léa sentit le nœud dans son estomac se desserrer un peu. Elle se dirigea vers l’escalier, agrippa la rampe et monta.

Léa détestait le papier peint de sa chambre. Une tapisserie de bébé. Ces ridicules nounours roses qui dansaient, le sourire figé, elle aurait voulu les voir disparaître à tout jamais. Quand elle fermait les yeux le soir, elle voyait encore et encore leur regard joyeux qui la contemplait et la poursuivait jusque dans ses rêves. Pour ne plus se sentir observée, elle avait arraché la moitié d’un lé, hier et maman s’était fâchée.
—Tu fatigues ta mère, Léa. Tu es une méchante petite fille.
L’enfant avait serré les dents sous la fessée paternelle. Pas une larme n’avait mouillé le petit visage crispé. « Léa, méchante. Léa, méchante, se répétait-elle, les muscles douloureux. » Elle savait qu’il ne fallait pas fatiguer maman. Maman, souvent couchée à cause de sa maladie. Maman …
A cette pensée, la crampe à l’estomac se fit plus intense. Léa, la gorge contractée à en avoir mal, réprima un sanglot. Elle referma le cahier ouvert sur son bureau et se leva. Un frisson la parcourut. Elle alla se rouler en boule sur le tapis. Les ombres du soir envahissaient la chambre sous les toits mais la fillette ne les voyait pas. Elle s’était endormie.

Un grincement discret la réveilla. Les yeux grands ouverts sur l’obscurité, elle attendait. Les genoux remontés jusqu’au menton, les bras repliés sur la poitrine, elle ne bougeait pas. Seule sa respiration heurtée semblait emplir la chambre de bruit. Léa pensait : « Si je reste immobile comme ça, je vais peut-être disparaître. » Elle souhaita se dissoudre dans le tapis.
Un glissement de pantoufles sur le parquet. Des effluves sucrées dans l’air. La fillette sursauta. La peur, comme la marée qui galope à toute allure pour recouvrir le sable, reflua en elle.
—Ma princesse … Où elle est ma petite princesse qui va être gentille avec son papa ?
La voix chuchotait, basse, insistante.
« Non, papa ! Non ! » Léa crispa les poings et avant de fermer très fort les yeux, elle entendit la fermeture éclair du pantalon glisser lentement. Derrière ses paupières closes, elle voyait le sourire des nounours.
En bas, maman dormait.

jeudi 21 janvier 2010

La lampe.

Texte paru dans la revue "Ecrire Magazine" n° 90 de janvier 2006.


Je me souviens, enfant, de la fascination que j’avais pour notre lampe à pétrole. Son pied en marbre veiné de rose et de gris, reposait sur un large socle en bronze, ciselé comme une légère dentelle. Le réservoir, creusé de fins sillons, était légèrement bombé sur le dessus. Quant au verre de lampe, dont le long col transparent s’opposait à la verrine arrondie, j’aimais ses reflets rubis qui dansaient, chatoyants, lorsque la flamme était allumée.
Les soirs d’orage, lorsqu’une panne d’électricité survenait, mon père distribuait les rôles :
—Jeanne, va chercher la bouteille de pétrole. Clément, les allumettes et la torche électrique !
Ma mère et moi, nous allions à tâtons dans l’obscurité, les mains en avant, les yeux grands ouverts dans le noir, nous cognant parfois aux meubles, et nous revenions avec notre butin, ombres tremblantes sur les murs du couloir. C’est alors que le rituel commençait. Mon père me demandait de diriger la torche sur la lampe à pétrole. Puis il retirait le verre de lampe, prenait la bouteille de pétrole, et en versait tout doucement, d’un geste lent et précis, pour ne pas en renverser, dans le réservoir. Il réglait alors la hauteur de la mèche avec la molette, et grattait une allumette qu’il approchait du bout cotonneux. La flamme surgissait, encore faible et vacillante, et mon père replaçait le verre de lampe sur la grille de la galerie. Seulement alors, la flamme se redressait, jaune et bleue, et jetait tout son éclat dans la pièce. J’étais fasciné par cette petite lueur, et je la fixais longuement, jusqu’à ce que les yeux me piquent. Seul un halo lumineux éclairait la table. Les coins de la pièce étaient plongés dans une pénombre incertaine, mystérieuse. Mon père, ma mère et moi, rassemblés dans le cercle de lumière, bavardions à voix douce et lente, comme si nous avions peur de réveiller quelqu’un. Nos silhouettes se dessinaient sur les murs, agrandies, déformées. Elles donnaient souvent lieu à des jeux d’ombres chinoises, domaine dans lequel mon père excellait.
J’aimais ces soirées un peu à part, où le contour des choses tremblotait dans un flou doré, comme doué de vie. Quelquefois, nous lisions, et seul le tic-tac de l’horloge rompait le silence. Les reflets rouges de la verrine dansaient sur la nappe, et le mystère qu’ils engendraient, alimentait mon imagination déjà fertile. De temps en temps, je levais les yeux de mon livre, et observais les ombres projetées au mur. J’y voyais tantôt des monstres, tantôt des fantômes, tantôt des animaux fabuleux. J’aurais aimé que plus souvent l’orage nous privât d’électricité, afin de recréer encore et encore la magie de la lampe à pétrole.
Mais au bout d’un moment, la pluie cessait, les coups de tonnerre s’éloignaient, les éclairs s’éteignaient, et le salon se rallumait. On entendait un déclic, puis un faible bourdonnement. La télévision reprenait du service. En même temps venait le ronronnement du moteur du réfrigérateur qui se remettait en marche. Mon père éteignait la lampe à pétrole, mais ne la rangeait pas tout de suite, au cas où une nouvelle panne surviendrait, ce qui arrivait quelquefois, à ma plus grande joie.
Il nous est même arrivé de devoir monter nous coucher alors que le courant n’était pas encore rétabli. Mon père, marchant en tête, la lampe à la main, nous éclairait dans l’escalier. Il m’accompagnait dans le rituel du coucher, m’éclairant du faible halo jaune, puis, m’ayant souhaité une bonne nuit, emportait la lampe, me livrant à l’obscurité et à mes rêves.
Ces soirs-là, j’avais l’impression de vivre au siècle dernier, et je m’imaginais un quotidien romanesque, fait de chandeliers scintillants portant des bougies colorées, de costumes chamarrés, de duels au champ d’honneur, de perruques et de voitures tirées par de magnifiques chevaux blancs. J’étais un marquis, ou mieux, un duc, ou pourquoi pas, un Prince. On m’appelait « Monsieur », j’avais des serviteurs, et je m’endormais, bercé par l’orage, rêvant au destin fabuleux qui m’attendait.