Son père et avant lui son grand-père lui avaient conté ses merveilles. Il
n’avait eu de cesse de la découvrir. Il l’avait cherchée toute sa vie. La
Ville. Aujourd’hui, au terminus de son existence, alors que la
distance parcourue se chiffre en milliers de kilomètres et qu’il vient de
descendre de l’autocar, il en est sûr, elle est là. Il a en main la carte
amollie à force de manipulations. La croix qu’il a tracée au milieu de nulle
part, c’est elle, la ville tant rêvée, tant espérée. Pourtant, il ne voit rien.
Pas d’immeubles sombres ou clairs, pas de façades, aucun véhicule, pas un son.
Nulle rue ne se devine, rien n’arrête le regard. Aucune âme qui vive. Il marche
sur un sentier pierreux, parmi des champs d’herbes folles et au loin, seuls les
troncs gris de grands arbres verts se dessinent sur le ciel, comme autant de
sentinelles silencieuses. Il avance à petits pas et découvre un plan d’eau à sa
droite. L’air est tiède. Où est donc cette ville merveilleuse si vantée par ses
aïeux ? Se serait-il trompé ?
Bientôt, d’autres sentiers quadrillent le paysage, ébauchant une
géométrie naturelle, qui se confirme au fil de ses pas. C’est alors qu’il
aperçoit au milieu de la verdure, des formes rondes ou ovales, dont les teintes
se déclinent de la plus claire à la plus sombre, du blanc laiteux au noir
corbeau. Blotties entre les feuilles, regroupées comme de petits pâtés de
maisons, ce sont les fameuses habitations de Cocoonia. Il s’approche, écarte de
la main les roseaux et en découvre d’autres, comme autant de quartiers disséminés
sur le territoire, parcourus de chemins sinueux. Certaines habitations lui
arrivent aux genoux, ressemblent à de gros cailloux ou de petits menhirs,
d’autres pourraient tenir dans son poing fermé s’il s’avisait d’y toucher. Mais
alors, il verrait aussitôt surgir les gardiennes de ces lieux, les femmes aux
seins lourds et au regard dur à celui qui viendrait troubler le repos de leurs
œufs. Car ce sont bien des œufs, ces demeures à la coquille translucide, sous
laquelle on pourrait presque voir onduler un frisson. Les femmes ne sont pas là
mais il sent leur présence inquiète et rassurante. Il déambule et s’émerveille
de la typographie de Cocoonia, chaque secteur embrassé par la nature. Les
arbres eux-mêmes abritent entre leurs branches, dans de vastes nids de
feuillages, des cocons, promesses de vies futures. Au détour du sentier, le lac
s’offre à lui. Il contemple, comme au fond d’un miroir, en négatif, la même
ville d’œufs groupés bientôt éclos, au bord de sentiers de galets et de champs
d’algues aquatiques.
Soudain, le plan d’eau se ride, des bulles montent des profondeurs et
viennent éclater en surface. Il distingue des frétillements pressés, des
ondulations marines. Puis, dans une envolée multicolore qui lui fait lever la
tête, les ailes de milliers de papillons zèbrent le ciel. Enfin, des femmes se
lèvent d’entre les roseaux, attentives aux légers craquèlements des œufs, qu’il
perçoit lui aussi, le cœur en émoi. C’est bien elle, la ville qu’il a tant
cherchée et dont les merveilles lui sont enfin dévoilées. Alors, il s’éloigne
doucement, quitte les sentiers, recule jusqu’aux confins de la cité. Accompagné
du bruissement de la vie, il s’allonge dans l’herbe et, confiant, n’attendant
plus rien, s’endort.
Très beau texte qui a fait l'unanimité, ce n'est pas pour rien !
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