J'écris. Pour un blog littéraire, il vaut mieux. J'écris de tout, pour les jeunes, les moins jeunes, des nouvelles, du théâtre, de l'humour et mes humeurs. La liste des courses, alors que d'autres dressent la liste de leurs envies... Mais je vous l'épargnerai ! La liste des courses, je veux dire. Donc, bonjour et bienvenue sur "Ah, vous écrivez ?" mon blog littéraire.
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mardi 18 février 2014

Cocoonia



Son père et avant lui son grand-père lui avaient conté ses merveilles. Il n’avait eu de cesse de la découvrir. Il l’avait cherchée toute sa vie. La Ville. Aujourd’hui, au terminus de son existence, alors que la distance parcourue se chiffre en milliers de kilomètres et qu’il vient de descendre de l’autocar, il en est sûr, elle est là. Il a en main la carte amollie à force de manipulations. La croix qu’il a tracée au milieu de nulle part, c’est elle, la ville tant rêvée, tant espérée. Pourtant, il ne voit rien. Pas d’immeubles sombres ou clairs, pas de façades, aucun véhicule, pas un son. Nulle rue ne se devine, rien n’arrête le regard. Aucune âme qui vive. Il marche sur un sentier pierreux, parmi des champs d’herbes folles et au loin, seuls les troncs gris de grands arbres verts se dessinent sur le ciel, comme autant de sentinelles silencieuses. Il avance à petits pas et découvre un plan d’eau à sa droite. L’air est tiède. Où est donc cette ville merveilleuse si vantée par ses aïeux ? Se serait-il trompé ?
Bientôt, d’autres sentiers quadrillent le paysage, ébauchant une géométrie naturelle, qui se confirme au fil de ses pas. C’est alors qu’il aperçoit au milieu de la verdure, des formes rondes ou ovales, dont les teintes se déclinent de la plus claire à la plus sombre, du blanc laiteux au noir corbeau. Blotties entre les feuilles, regroupées comme de petits pâtés de maisons, ce sont les fameuses habitations de Cocoonia. Il s’approche, écarte de la main les roseaux et en découvre d’autres, comme autant de quartiers disséminés sur le territoire, parcourus de chemins sinueux. Certaines habitations lui arrivent aux genoux, ressemblent à de gros cailloux ou de petits menhirs, d’autres pourraient tenir dans son poing fermé s’il s’avisait d’y toucher. Mais alors, il verrait aussitôt surgir les gardiennes de ces lieux, les femmes aux seins lourds et au regard dur à celui qui viendrait troubler le repos de leurs œufs. Car ce sont bien des œufs, ces demeures à la coquille translucide, sous laquelle on pourrait presque voir onduler un frisson. Les femmes ne sont pas là mais il sent leur présence inquiète et rassurante. Il déambule et s’émerveille de la typographie de Cocoonia, chaque secteur embrassé par la nature. Les arbres eux-mêmes abritent entre leurs branches, dans de vastes nids de feuillages, des cocons, promesses de vies futures. Au détour du sentier, le lac s’offre à lui. Il contemple, comme au fond d’un miroir, en négatif, la même ville d’œufs groupés bientôt éclos, au bord de sentiers de galets et de champs d’algues aquatiques.
Soudain, le plan d’eau se ride, des bulles montent des profondeurs et viennent éclater en surface. Il distingue des frétillements pressés, des ondulations marines. Puis, dans une envolée multicolore qui lui fait lever la tête, les ailes de milliers de papillons zèbrent le ciel. Enfin, des femmes se lèvent d’entre les roseaux, attentives aux légers craquèlements des œufs, qu’il perçoit lui aussi, le cœur en émoi. C’est bien elle, la ville qu’il a tant cherchée et dont les merveilles lui sont enfin dévoilées. Alors, il s’éloigne doucement, quitte les sentiers, recule jusqu’aux confins de la cité. Accompagné du bruissement de la vie, il s’allonge dans l’herbe et, confiant, n’attendant plus rien, s’endort.

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