Tu marches côté soleil sur les pavés
disjoints d’une rue du sud. Tu es un peu à contre-jour, silhouette sombre sur
façade ocre. J’étrennais mon nouvel appareil, je ne savais pas bien comment me
placer. La photo n’est pas belle, pourtant on te reconnaît. Sur celle-ci, tu es
sur les hauteurs de Stockholm, une mèche brune s’échappe de ton bonnet rouge.
Tu regardes le fleuve, les arbres couleur automne, les maisons de bois, vertes,
bleues, jaunes… Tu souris. Il faisait
froid, ce jour-là. Sur cette autre, tu es sur le pont des Arts, à Paris, tu
fais le clown devant les cadenas dont les clefs ont été jetées on ne sait où. Sur
celle-là, tu as voulu que je te prenne au centre de l’arène de Séville, tu
faisais semblant de dompter le taureau, ta muleta invisible, je la voyais
tournoyer dans le soleil. Tu n’avais pas voulu quitter ton bonnet, malgré la
chaleur de juillet. Te voici maintenant à Porto, tu penches la tête par la
fenêtre du vieux tramway, on ne voit que ton dos… J’ai étalé devant moi tous
ces clichés où tu es. Là, tu as trois ans, perché sur un cheval du carrousel du
Sacré-Cœur. C’était le jour de ton anniversaire. On aurait dit un angelot,
bouclé comme un chérubin. Ici, tu dois avoir neuf ans, je crois. Tu portes ton
bonnet rouge enfoncé jusqu’aux yeux, tu fais une grimace rigolote. On avait
bien ri ce jour-là… Te voici au ski, avec ta classe. Je reconnais madame
Lambet, ton institutrice, et puis tous tes camarades qui t’entourent :
Maëlle, Frédéric, Yohann, Clara… Ton sourire est magnifique. Tu étais revenu
épuisé mais heureux.
Quand je ferme les yeux, je te vois
marcher, les bras écartés, pas à pas, concentré, sur le rebord en pierre du mur
de chez mamie. Ton bonnet un peu trop grand plissait sur ton front. Tu n’as pas
voulu que je te photographie, ce jour-là. Tu es tombé du mur, ta main droite
saignait.
J’ai fait deux piles de photos. Celles
où tu portes ton bonnet est la plus fournie. Tu as entre neuf et onze ans. Tu
ne voulais plus le quitter. Tu dormais même avec. Tu disais : « Il me
tient compagnie, c’est comme un doudou. » Ici, tu l’avais posé sur le banc
à côté de toi, juste une seconde. Tu as crié, tu as pleuré quand tu as vu que
j’avais pris le cliché. J’ai dû te consoler, longtemps, et te bercer jusqu’à ce
que tu t’endormes, apaisé. La trace des larmes avait creusé deux sillons blancs
sur tes joues amaigries. Désormais, tu portes ce bonnet sur toutes les photos,
jusqu’à la fin. Hiver comme été. Tu ne voulais pas qu’on voie tes cheveux
disparus, ton crâne lisse et blanc. Tu ne voulais pas du regard apitoyé des
gens, des questions qui ne manquaient jamais… Auxquelles tu ne voulais pas que
je réponde. Sur cette photo-là, tu as beaucoup maigri, tu flottes dans tes
vêtements, même ton bonnet rouge glisse. Tes yeux cernés fixent l’objectif avec
gravité. Tu es beau. Dans trois mois, tu auras onze ans. Je sais maintenant que
tu ne les atteindras pas.
Je range les photos. Je n’en garde
qu’une, celle où tu as porté ton bonnet rouge pour la première fois.
Toujours très joyeux… ;) Mais la description et la nostalgie qui s'en dégagent sont très belles.
RépondreSupprimertrès, très beau texte
RépondreSupprimerMerci beaucoup !
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