Une file d’attente dans une banque, ou chez un opérateur téléphonique, peu importe. Les files d’attente, c’est toujours pareil : plein de monde, des qui ronchonnent, des qui soupirent, des qui laissent errer leur regard sur les affiches publicitaires, des qui froncent le sourcil, et des qui engueulent leur gosse parce qu’il a bougé la première phalange du petit doigt… pour passer le temps ! (l’engueulade, pas le fait de bouger le petit doigt…)
Et puis il y a moi, un bouquin à la main, ça aussi ça fait passer le temps. Plongée dans ma lecture, je n’ai pas l’impression de le perdre bêtement. (je le perds intelligemment, c’est déjà ça !)
Là, vous remarquerez la dualité de ma pensée : en disant que je perds mon temps intelligemment, je suis optimiste, dans le cas contraire, pessimiste. Ma voisine, elle, est plutôt optimiste, elle engage la conversation.
—C’est bien d’avoir pensé à apporter votre livre, au moins le temps passe plus vite pour vous !
J’aurais bien voulu lui dire que le temps passe à la même vitesse pour tout le monde, qu’il s’en fout le temps, des états d’âme des gens coincés dans les files d’attente, mais… j’ai pas osé, faut quand même rester poli avec les étrangers. J’ai dit :
—Oui et au train où vont les choses, je l’aurai bientôt fini. Je pourrai en commencer un autre ! Il faut voir le bon côté des choses…
La dame m’a souri mais j’ai vu quelques rictus de scepticisme effleurer certains visages. Un monsieur, gros (trop, à mon avis, mais là n’est pas notre propos…) et la figure rougeaude de celui qui ne déteste pas les plaisirs de la vigne, a rétorqué :
—Ouais ben, livre ou pas livre, on va pas y passer la journée ! J’ai autre chose à faire !
Quelques murmures d’assentiment ont bourdonné en sourdine et je me suis surprise à avancer l’opinion selon laquelle on n’y pouvait rien et que donc, il fallait prendre son mal en patience. J’ai accompagné ma sentence d’un large sourire et j’ai ajouté :
—Ça pourrait être pire, vous savez ! Il pourrait y avoir encore plus de monde (une bonne dizaine de personnes m’a jeté un regard noir…) ou bien une grève surprise du personnel ! Imaginez, si l’heure de la fermeture était proche et qu’on nous demande de revenir demain, faire à nouveau la queue… ou si un braqueur masqué venait nous prendre en otage… ben moi, j’ai mon livre !
Là, je délirais carrément mais ma voisine sympa (celle du début, vous suivez ?) m’a dit avec des trémolos d’admiration dans la voix :
—Quelle imagination ! Vous devriez écrire !
—Mais j’écris, justement ! Si vous veniez chez moi, je vous montrerais toutes les lettres de refus d’éditeurs, qui encombrent mon bureau.
Mais ça, c’était pessimiste alors, dans la foulée, sans reprendre mon souffle, j’ai complété :
—Remarquez, j’ai un guéridon bancal dans l’entrée, les feuilles peuvent toujours servir à le caler… (mes textes aussi tant qu’on y est, plutôt que de mourir d’ennui dans mes tiroirs… je dois bien compter d’autres meubles bancals chez moi… mais comme j’ai décidé d’être positive, je n’ai rien dit de tout ça, c’est juste pour vous…)
—Rôôhhh ! Ce que vous êtes marrante, vous alors ! a gloussé ma voisine.
Mais ma patience a des limites et j’ai commencé à me demander si mon tour allait enfin arriver. La file a avancé de quelques pas, j’ai suivi en soupirant. J’ai senti mon optimisme défaillir, et puis comment je pouvais lire, moi, si cette dame n’arrêtait pas de me parler ? J’ai commencé à fixer les aiguilles de la pendule murale, hypnotisée par les mini secousses qui scandaient les secondes. La voix de ma voisine m’a fait sursauter.
—Au fait, vous lisez quoi ?
Je lui ai montré la couverture de mon bouquin. Elle s’est esclaffée comme une poule hystérique en voyant le titre : « Le temps retrouvé ». Ben quoi ? On peut rêver, non ?
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