Alignées le long du mur du fond, les quinze chaises étaient toutes occupées. Il les avait fait asseoir et, les mains sagement posées sur leurs genoux, ils attendaient. Quinze bambins en majorité blonds avec de grands yeux bleus, quelques bruns aussi aux longs cils recourbés, regardaient autour d’eux, un peu étonnés mais tranquilles. Ils attendaient la surprise qu’il leur avait promise.
Il avait aménagé le sous-sol de la villa pour l’occasion, dégagé le centre de la pièce, repoussé dans les coins les outils, la table de ping-pong, accroché les vélos sur des supports. Des guirlandes multicolores et des lanternes en papier pendaient aux murs. La grande table de jardin trônait au milieu, ornée de fleurs en crépon, de pétales de roses, de grands vases de bouquets de saison. Des coupelles remplies de bonbons ou de biscuits, des compotiers pleins de fruits dorés — oranges, pommes et poires — étaient répartis sur toute la longueur. Des bouteilles de jus de fruits rafraîchissaient dans des seaux de glaçons. Des bâtons d’encens parfumés à la fraise, piqués dans des pamplemousses brûlaient lentement. Le parfum léger s’élevait en volutes suaves vers l’ampoule qui pendait du plafond.
Les enfants, âgés de six à sept ans, le regard tourné vers la table garnie, commençaient à s’agiter. Certains auraient sans doute bien aimé goûter les bonbons ou croquer dans un biscuit ou deux. Mais ce n’était pas le moment. Ils devaient patienter. Pour rendre l’attente moins longue, il leur avait mis un peu de musique. Une petite fille battait la mesure avec sa main. Les enfants ne se parlaient pas entre eux, n’échangeant que quelques sourires timides lorsque leurs regards se croisaient. Ils espéraient.
Soudain, la porte en haut de l’escalier s’ouvrit et il apparut au bord des marches. Ses pas rebondirent sur les degrés de pierre et il déboucha dans le sous-sol, face aux bambins attentifs. Il les dévisagea un instant, l’air songeur, puis plaqua un sourire engageant sur son visage et les rejoignit en quelques enjambées.
—Bonjour, mes petits ! Vous avez été bien sages ?
—Ouiiiiiiiiiiiiiiiiii !
Le chœur des quinze voix fluettes résonna entre les quatre murs. Il frissonna.
—Bon, alors la fête peut commencer !
Il se dirigea vers la chaîne hi-fi et coupa le son. Le silence se fit. Il sortit un CD d’une boite en carton et l’inséra dans le lecteur. Puis il se retourna et dit :
—Je vais mettre la chanson. Quand votre camarade entrera, vous vous lèverez et vous chanterez tous ensemble. C’est compris ?
A nouveau le chœur juvénile brailla un « oui » aigu. Les yeux brillants, prêts à entrer en jeu, les gamins piaffaient d’impatience. Les premiers accords de la musique s’échappèrent. La porte du haut s’ouvrit et une dame aux longs cheveux bruns, le teint très pâle, descendit lentement l’escalier. Elle tenait un enfant par la main, qui lui ressemblait trait pour trait. Lorsqu’il arriva et découvrit le groupe enfantin, un sourire ravi détendit son visage. A cet instant, les quinze gosses entonnèrent en même temps que le CD le chant traditionnel.
—Joyeux anniversaire, joyeux anniversaire, joyeux anniversaireuuuuuuu ! Joyeux anniversaire !
Les applaudissements crépitèrent. Il remplaça le disque par un autre et rejoignit la femme et l’enfant.
—Voici mon épouse et mon fils qui fête aujourd’hui ses sept ans. Vous êtes les bienvenus. Il y a de la musique, des gâteaux, des bonbons, des boissons. Tout est pour vous ! Mangez, dansez, amusez-vous !
Les jeunes invités se ruèrent sur la table. Ils plongèrent leurs mains avides au creux des saladiers remplis de gourmandises. Ils babillaient, s’exclamaient, riaient, heureux. Il augmenta le son de la chaîne. Tous les petits se trémoussèrent en cadence. Leur hôte et sa famille les contemplaient, sans toucher aux friandises qu’ils les incitaient à consommer. Oui, vraiment, c’était une belle surprise qu’il leur avait concoctée là. Gavés de sucreries, la frimousse barbouillée, les bambins respiraient le bonheur …
Vers dix-huit heures, un peu de fatigue se fit sentir. Quelques enfants, les joues marbrées de chocolat, le pouce dans la bouche, somnolaient sur leur chaise. D’autres tentaient en vain de rester dans le rythme de la musique. Certains avaient engagé la conversation avec le petit garçon de la maison. Peu loquace, il se contentait de sourire. Le père décida qu’il était l’heure. Il alla éteindre la chaîne hi-fi, mettant fin aux dandinements approximatifs des petits invités. Il frappa dans ses mains. Toutes les têtes se tournèrent de son côté.
—Un peu d’attention, mes chers enfants ! Le moment est venu pour mon fils de recevoir son cadeau d’anniversaire. Sept ans, l’âge de raison, cela mérite un présent digne de ce jour !
Sur un signe de tête qu’il fit, sa femme remonta l’escalier et verrouilla la porte de communication. Puis elle vérifia que tous les soupiraux du sous-sol étaient correctement cadenassés. Elle revint alors se planter aux côtés de son fils. L’enfant, impatient, semblait presque fébrile. Ses yeux sombres se posaient sur ceux de son père à intervalles réguliers. L’homme fit lever les enfants des chaises et les regroupa dans le coin buanderie, un peu à l’écart. Puis il se tourna vers son fils.
—Voici ton cadeau, mon enfant, dit-il en désignant de la main les gamins rassemblés. Ta surprise à toi ! Je les ai choisis avec soin, ils sont beaux et bien sucrés à présent. Régale-toi !
Un sourire jubilatoire déformant ses traits pâles, ses canines effilées débordant de ses lèvres pourpres, le petit Vlad s’avança vers son « cadeau », radieux.
—Merci papa, murmura-t-il. Ils sont parfaits ! Leur peau si claire, leur cou si tendre … Rien ne pouvait me faire plus plaisir. Et comme leur sang doit être délicieux ! J’en ai l’eau à la bouche !
Coucou Kéops. Je suis ex Elileo. Bravo pour tes textes.
RépondreSupprimerMerci Elileo !
RépondreSupprimerJoli! Je ne te savais point si cruelle, Khéops!
RépondreSupprimerUne surprise savoureuse, dans tous les sens du terme...
RépondreSupprimerExcellente cette histoire ! La chute est géniale !
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