J'écris. Pour un blog littéraire, il vaut mieux. J'écris de tout, pour les jeunes, les moins jeunes, des nouvelles, du théâtre, de l'humour et mes humeurs. La liste des courses, alors que d'autres dressent la liste de leurs envies... Mais je vous l'épargnerai ! La liste des courses, je veux dire. Donc, bonjour et bienvenue sur "Ah, vous écrivez ?" mon blog littéraire.
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jeudi 21 janvier 2010

La lampe.

Texte paru dans la revue "Ecrire Magazine" n° 90 de janvier 2006.


Je me souviens, enfant, de la fascination que j’avais pour notre lampe à pétrole. Son pied en marbre veiné de rose et de gris, reposait sur un large socle en bronze, ciselé comme une légère dentelle. Le réservoir, creusé de fins sillons, était légèrement bombé sur le dessus. Quant au verre de lampe, dont le long col transparent s’opposait à la verrine arrondie, j’aimais ses reflets rubis qui dansaient, chatoyants, lorsque la flamme était allumée.
Les soirs d’orage, lorsqu’une panne d’électricité survenait, mon père distribuait les rôles :
—Jeanne, va chercher la bouteille de pétrole. Clément, les allumettes et la torche électrique !
Ma mère et moi, nous allions à tâtons dans l’obscurité, les mains en avant, les yeux grands ouverts dans le noir, nous cognant parfois aux meubles, et nous revenions avec notre butin, ombres tremblantes sur les murs du couloir. C’est alors que le rituel commençait. Mon père me demandait de diriger la torche sur la lampe à pétrole. Puis il retirait le verre de lampe, prenait la bouteille de pétrole, et en versait tout doucement, d’un geste lent et précis, pour ne pas en renverser, dans le réservoir. Il réglait alors la hauteur de la mèche avec la molette, et grattait une allumette qu’il approchait du bout cotonneux. La flamme surgissait, encore faible et vacillante, et mon père replaçait le verre de lampe sur la grille de la galerie. Seulement alors, la flamme se redressait, jaune et bleue, et jetait tout son éclat dans la pièce. J’étais fasciné par cette petite lueur, et je la fixais longuement, jusqu’à ce que les yeux me piquent. Seul un halo lumineux éclairait la table. Les coins de la pièce étaient plongés dans une pénombre incertaine, mystérieuse. Mon père, ma mère et moi, rassemblés dans le cercle de lumière, bavardions à voix douce et lente, comme si nous avions peur de réveiller quelqu’un. Nos silhouettes se dessinaient sur les murs, agrandies, déformées. Elles donnaient souvent lieu à des jeux d’ombres chinoises, domaine dans lequel mon père excellait.
J’aimais ces soirées un peu à part, où le contour des choses tremblotait dans un flou doré, comme doué de vie. Quelquefois, nous lisions, et seul le tic-tac de l’horloge rompait le silence. Les reflets rouges de la verrine dansaient sur la nappe, et le mystère qu’ils engendraient, alimentait mon imagination déjà fertile. De temps en temps, je levais les yeux de mon livre, et observais les ombres projetées au mur. J’y voyais tantôt des monstres, tantôt des fantômes, tantôt des animaux fabuleux. J’aurais aimé que plus souvent l’orage nous privât d’électricité, afin de recréer encore et encore la magie de la lampe à pétrole.
Mais au bout d’un moment, la pluie cessait, les coups de tonnerre s’éloignaient, les éclairs s’éteignaient, et le salon se rallumait. On entendait un déclic, puis un faible bourdonnement. La télévision reprenait du service. En même temps venait le ronronnement du moteur du réfrigérateur qui se remettait en marche. Mon père éteignait la lampe à pétrole, mais ne la rangeait pas tout de suite, au cas où une nouvelle panne surviendrait, ce qui arrivait quelquefois, à ma plus grande joie.
Il nous est même arrivé de devoir monter nous coucher alors que le courant n’était pas encore rétabli. Mon père, marchant en tête, la lampe à la main, nous éclairait dans l’escalier. Il m’accompagnait dans le rituel du coucher, m’éclairant du faible halo jaune, puis, m’ayant souhaité une bonne nuit, emportait la lampe, me livrant à l’obscurité et à mes rêves.
Ces soirs-là, j’avais l’impression de vivre au siècle dernier, et je m’imaginais un quotidien romanesque, fait de chandeliers scintillants portant des bougies colorées, de costumes chamarrés, de duels au champ d’honneur, de perruques et de voitures tirées par de magnifiques chevaux blancs. J’étais un marquis, ou mieux, un duc, ou pourquoi pas, un Prince. On m’appelait « Monsieur », j’avais des serviteurs, et je m’endormais, bercé par l’orage, rêvant au destin fabuleux qui m’attendait.

2 commentaires:

  1. Bienvenue à ce blog porteur d'images et de souvenirs, je lui souhaite un long périple sur la toile et de belles rencontres !

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